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3.3 Favoriser l’apprentissage grâce aux connaissances primaires

3.3.3 La cognition incarnée

Les neurones miroirs sont la preuve que les humains ont évolué pour avoir une cognition incarnée, c’est-à-dire une architecture cognitive qui associe la perception et les actions corporelles pour permettre la maîtrise de l’environnement (Barsalou, 2010). Les processus cognitifs se développent à partir d’interactions entre les organismes et leur environnement et sont orientés par les buts (Rueschemeyer, Lindermann, Van Elk & Bekkering, 2009). Ces processus sont considérés comme davantage ancrés dans la perception et dans l’action que dans la manipulation d’objets abstraits. Or les expériences sensori-motrices comme le geste ou la manipulation directe d’objets sont des connaissances primaires qui pourraient faciliter l’acquisition des connaissances secondaires.

Par exemple, l’implication du système moteur le plus basique comme le geste diminue la charge cognitive durant l’apprentissage lorsqu’un objet est absent ou présent (Ping & Goldin- Meadow, 2010). Ce qui est important est partagé par le geste qui servirait d’aide-mémoire externe et libérerait la mémoire de travail. On pourrait également augmenter les compétences de lecture grâce au mouvement (Glenberg, Goldberg & Zhu, 2011). Dans cette étude, des enfants écoutent la lecture d’un texte décrivant certaines activités au sein d’une ferme et doivent imaginer les scènes ou les reproduire (mouvements des personnages) sur un support type playmobil ou sur un ordinateur. Les conditions dans lesquelles les enfants manipulent les objets (réellement avec les jouets ou virtuellement avec l’ordinateur) entraînent une meilleure compréhension du texte que l’imagination seule. Le besoin de manipuler (connaissance primaire) est efficace car il s’applique à un texte écrit (connaissance secondaire). Les auteurs ne discutent pas l’influence de la manipulation d’objet sur la charge cognitive en mémoire de travail, mais on peut imaginer que l’action de manipuler permettrait une réduction de la charge cognitive (Paas & Sweller, 2012). En tant que compétences primaires, le geste et la manipulation d’objets peuvent donc être utilisés pour acquérir les compétences secondaires associées au contenu pédagogique.

Le fait que l’environnement soit réel (manipulation directe des objets) ou virtuel (manipulation via un ordinateur par exemple) n’influence pas l’apprentissage : les conditions sont équivalentes (Baki, Kosa & Guven, 2011 ; de Jong, Linn & Zacharia, 2013 ; Zacharia & Olympiou, 2011). La manipulation, et non le caractère physique, est donc primordiale dans l’apprentissage. L’environnement virtuel pourrait même être plus efficace car plus facilement

72 interactif, mettant l’accent sur les éléments pertinents de la tâche comme dans une étude dans le domaine de l’apprentissage de la chimie complexe (Barrett, Stull, Hsu & Hegarty, 2015).

Récemment, des études ont montré que les enfants sont plus motivés et apprennent plus facilement des mots en langue étrangère lorsqu’ils effectuent les mouvements liés ou dépeints par les mots (Mavilidi, Okely, Chandler, Cliff & Paas, 2015 ; Toumpaniari, Loyens, Mavilidi & Paas, 2015). Le geste en tant qu’élément intermédiaire de concrétude entre l’action et la parole serait également favorable à l’apprentissage des matières plus abstraites comme les mathématiques (Novack, Congdon, Hemani-Lopez & Goldin-Meadow, 2014). Plus précisément, une étude montre que pour décrire des algorithmes de résolution de problèmes, les enfants utilisent spontanément le geste et sont moins performants si on les empêche d’utiliser ces gestes. Le geste aurait trois fonctions possibles : (i) transformer la pensée en « action », (ii) constituer une manière inconsciente d’attirer l’attention d’autrui ou (iii) être une aide à la pensée et aux simulations mentales. Le geste semble réduire la demande en mémoire de travail pour décrire les actions et aide les enfants à se souvenir de l’état du problème (Bucciarelli, Mackiewicz, Khemlani & Johnson-Laird, 2016).

Par ailleurs, les systèmes cognitifs incarnés sont davantage activés lorsqu’on regarde des mouvements humains que robotiques (Press, Bird, Flach & Heyes, 2005) ou quand les mouvements présentés sont naturels, fluides et non saccadés (Shimada & Oki, 2012). De la même façon, voir des mains en action aurait des effets positifs sur la perception, l’attention et la mémoire (Brockmole, Davoli, Abrams & Witt, 2013) quand bien même la présentation du mouvement sans les mains serait suffisante pour activer les mécanismes cognitifs incarnés (Wong et al., 2009 ; Castro-Alonso et al., 2014).

Ainsi, les êtres humains pourraient utiliser des habiletés primaires comme la collaboration (mémoire de travail collective), le mouvement humain et le geste pour favoriser leur apprentissage de connaissances secondaires. Ce travail propose de continuer ces recherches et de mettre à l’épreuve les bénéfices que peuvent apporter les connaissances primaires à l’apprentissage.

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4 Synthèse des apports de la revue de littérature

Apprendre des connaissances secondaires est un processus qui demande des efforts conscients, beaucoup de temps et une grande motivation. L’école permet d’apprendre des connaissances culturellement importantes, difficiles à acquérir par soi-même ou par simples interactions sociales. Le problème principal est que les apprenants perdent rapidement leur motivation lorsqu’ils doivent s’exercer à utiliser des règles d’algèbre alors qu’ils sont toujours ravis de pratiquer leurs compétences sociales notamment pendant les pauses. En effet, à l’inverse des connaissances secondaires, les connaissances primaires pour lesquelles notre cerveau aurait évolué, sont intrinsèquement motivantes et ne demandent aucun effort pour être acquises et développées. Ces deux caractéristiques des connaissances primaires sont particulièrement intéressantes lorsqu’on cherche à les utiliser pour favoriser l’apprentissage des connaissances secondaires. La logique comme la capacité de raisonner formellement est une des connaissances secondaires les plus valorisées dans notre société actuelle. Elle est cependant facilement oubliée dans l’enseignement général, alors que les compétences de logique formelle des apprenants sont mises à l’épreuve dans toutes les autres matières enseignées. Les problèmes logiques ont par ailleurs l’avantage méthodologique de pouvoir facilement endosser des habillages différents. De plus, les syllogismes avec biais de croyance permettent d’investiguer les mécanismes de raisonnement liés aux systèmes 1 et 2.

Cette thèse cherche à mettre à l’épreuve l’approche de la psychologie évolutive de l’éducation et la différenciation des connaissances proposée. Elle s’inspire des travaux qui utilisent des mécanismes liés aux connaissances primaires pour faciliter l’acquisition des connaissances secondaires. Ainsi, nous espérons que l’utilisation de connaissances primaires dans un matériel de connaissances secondaires favorisera l’engagement des individus dans la tâche, leurs performances ainsi que leurs capacités de transfert.

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5 Contribution empirique

Ce travail mêle la toute nouvelle psychologie évolutive de l’éducation et l’approche plus ancienne du raisonnement logique dont le changement de paradigme récent ne souligne que davantage l’intérêt de l’approche évolutive. Des tâches de raisonnement (connaissances secondaires) sont utilisées pour mettre à jour l’influence respective des connaissances primaires et secondaires via l’habillage des problèmes. Nos travaux ont un double objectif fondamental et appliqué : (i) mettre à l’épreuve le modèle des connaissances primaires et secondaires dans le cadre de la résolution de problèmes logiques et (ii) élaborer des bases méthodologiques (liées à la façon de présenter des contenus pédagogiques) simples à mettre en œuvre pour favoriser efficacement l’engagement et l’apprentissage des individus. La contribution empirique se découpe en deux parties.

La première partie (chapitre 5.1.) cherche à vérifier le potentiel effet bénéfique des connaissances primaires sur l’engagement émotionnel et cognitif comme sur la performance aux problèmes logiques, le sous-but étant de déterminer les éléments les plus propices à l’apprentissage. Pour cela, huit expériences ont été menées (Annexe A pour une synthèse des variables utilisées par expérience). Les participants répondent à différents types de problèmes logiques (règles conditionnelles, syllogismes avec ou sans biais de croyance selon les expériences). Nous avons fait varier l’habillage des problèmes (connaissances primaires ou secondaires) ainsi que leur ordre de présentation (connaissances primaires présentées en premier ou connaissances secondaires présentées en premier). Les problèmes présentés peuvent maximiser ou minimiser les connaissances antérieures disponibles. L’influence de la charge cognitive (faible ou forte) sur les deux types de connaissances est également étudiée dans les expériences 2 à 7 : les participants doivent remplir l’une des deux tâches cognitives utilisées, l’une interne au problème (les participants lisent le problème logique dont l’ordre des mots dans la phrase est inversé) et l’autre externe au problème (Dot Memory Task). La performance des participants est mesurée mais également leur plaisir à répondre aux questions, leur envie de trouver les bonnes réponses, leur confiance dans les réponses, la charge cognitive perçue ainsi que la vitesse de résolution des problèmes. L’hypothèse principale au regard de la littérature est que les connaissances primaires devraient favoriser la performance, le plaisir à répondre aux questions, l’envie de trouver les bonnes réponses, la confiance dans les réponses et diminuer la

75 charge cognitive perçue. Quant à la vitesse de résolution, elle est renseignée dans la plupart des études pour contrôler que les différences observées entre les connaissances primaires et secondaires ne sont que peu liées au temps passé sur la tâche.

La seconde partie (chapitre 5.2.) met les résultats du premier travail d’exploration (dont une analyse groupée est fournie dans la partie 5.1.10) à l’épreuve. Elle permet de proposer une façon de présenter les contenus pédagogiques peu coûteuse à mettre en œuvre afin de promouvoir l’investissement des individus et soutenir leur apprentissage. Cette méthode de présentation sera utilisée dans de futures études concernant l’apprentissage. Dans cette deuxième partie, l’idée principale est de confronter les participants à des connaissances primaires ou secondaires (en inter-groupe) et d’observer leurs réponses lors d’un test de transfert final. Trois expériences ont été menées. Dans les expériences 8 et 9, les participants sont confrontés à deux phases : une phase d’entraînement habillée de connaissances primaires ou secondaires et une phase de test final. Dans l’expérience 8, la phase d’entraînement est obligatoire alors que dans l’expérience 9, les participants ont le choix de continuer la phase d’entraînement ou de passer directement au test final. Enfin, dans l’expérience 10, les participants sont confrontés à trois phases : (i) une phase d’amorce constituée de problèmes à habillages de connaissances primaires ou secondaires, puis (ii) une phase d’entraînement constituée de connaissances secondaires et (iii) le test final.

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5.1 Influence des connaissances primaires et secondaires dans la résolution de problèmes