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Pour s’affranchir des effets d’échelle et conférer généralité à l’étude d’un écoulement,

il est pertinent de décrire cet écoulement uniquement avec des variables adimensionnées.

L’adimensionnement d’une variable se fait en normalisant cette variable par son échelle

caractéristique.

Pour les équations de Navier–Stokes, on se donne généralement une échelle de longueur

3.2Théorie de base des écoulements en rotation 33

de toutes les variables intervenant dans l’équation

2

:

u=Uue ; x=Lxe ; t= L

Uet ; p=ρU

2

p.e

e

u, xe, et et pesont donc des variables sans dimension. En utilisant ces adimensionnements

dans l’équation de Navier–Stokes, on obtient :

∂eu

∂et +∇e ·(ue⊗ue) =−∇epe+ 1

Ref

2

ue,

avecRe=U L/νlenombre de Reynolds, sans dimension. Le nombre de Reynolds représente

le ratio entre les ordres de grandeur du terme convectif (U

2

/L) et du terme diffusif (νU/L

2

).

Il caractérise donc le « régime » d’un écoulement en donnant le poids relatif d’un mécanisme

sur l’autre.

Lorsque le fluide est animé d’un mouvement de rotation global, on dissocie l’accélération

liée à la rotation du fluide et l’accélération « relative » en considérant l’équation de Navier–

Stokes en référentiel tournant (3.23). Pour adimensionner l’équation, il reste à donner

l’ordre de grandeur du terme de Coriolis. Ce terme a sa fréquence propre 2Ω avec Ω =

kΩk; son ordre de grandeur est donc 2ΩU. L’équation adimensionnelle dans un référentiel

tournant est donc :

∂ue

∂et +∇e ·(ue⊗ue) =−∇epe

e

+ 1

Ref

2

ue−Ro

Ω ∧eu,

avec :

Ro= 2ΩL/U, (3.36)

le nombre de rotation, sans dimension. Ce nombre représente le ratio entre les ordres de

grandeur du terme de Coriolis et du terme convectif. Dans la littérature, on trouve

égale-ment le nombre de Rossby, l’inverse du nombre de rotation, pour caractériser l’importance

relative des mécanismes de rotation et de convection ; on utilisera pour notre part le nombre

de rotation.

Deux nombres sans dimension, le nombre de Reynolds Reet le nombre de rotation Ro,

permettent donc de caractériser un écoulement incompressible isotherme en rotation. Cela

signifie que des écoulements de même géométrie mais d’échellesU,ΩetL différentes sont

néanmoins structurellement identiques lorsque les nombres ReetRosont les mêmes pour

chaque écoulement, c’est-à-dire lorsque les poids relatifs entre les différents mécanismes de

la dynamique sont respectés pour chaque écoulement.

Pour étudier les effets de la rotation dans des zones de l’écoulement où les effets diffusifs

sont également importants (couche limite par exemple), il est assez naturel d’introduire le

nombre d’EkmanEk =ν/2ΩL

2

, c’est-à-dire le ratio entre les ordres de grandeur du terme

diffusif et du terme de Coriolis. Notons qu’on aEk = (ReRo)

1

. Les couples (Re, Ek) ou

(Ro, Ek) peuvent donc également être utilisés pour caractériser l’écoulement d’un fluide

en rotation.

3.2.2 Théorème de Taylor–Proudman

Le résultat le plus connu probablement sur la dynamique des fluides en rotation est

appelé théorème de Taylor–Proudman. Ce théorème nous dit que si les effets de rotation

dans un écoulement incompressible sont dominants devant les effets inertiels (Ro ≫ 1),

2. On rappelle qu’on s’est placé dans le cas incompressible : la masse volumiqueρn’est pas considérée

comme une variable.

visqueux (Ek ≪ 1) et instationnaires, alors cet écoulement ne présente aucune variation

dans la direction de l’axe de rotation.

Sous les hypothèses du théorème, on peut négliger dans l’équation (3.23) le terme

ins-tationnaire, le terme non linéaire et le terme visqueux, de sorte que le comportement du

fluide est décrit par l’équation :

0 =−1

ρp

e

−2Ω∧u. (3.37)

En prenant le rotationnel de cette équation

3

, il vient (on utilise l’identité ∇∧(a∧b) =

a(∇·b)−(a·∇)b+ (b·∇)a−b(∇·a)poura,bdes vecteurs quelconques et la condition

d’incompressibilité 2.9) :

Ω·∇u= 0. (3.38)

La pression n’apparaît plus dans cette équation car le rotationnel d’un champ potentiel est

nul.

L’équation (3.38) montre que l’écoulement ne présente pas de variation dans la direction

le l’axe de rotation. Par exemple, si Ω= Ωe

z

, (3.38) se réduit alors à :

∂u

∂z = 0.

La vitesse est donc constante dans la direction de l’axe de rotation. De plus, si une condition

limite d’imperméabilité dans la direction de l’axe de rotation u·e

z

=w= 0 s’applique à

la paroi, l’écoulement est bidimensionnel, w≡0.

Ce résultat est à l’origine de la formation des colonnes de Taylor (figure 3.1) dans les

fluides en rotation. L’ouvrage de Guyonet al.(2001) reporte deux autres résultats contenus

dans le théorème de Taylor–Proudman : d’abord l’écoulement est normal au gradient de

pression, ce qui apparaît directement en multipliant scalairement par u l’équation (3.37),

ensuite la section des tubes de vorticité dans le plan normal à Ωest constante.

Un écoulement qui satisfait les hypothèses du théorème de Taylor–Proudman et qui a

donc les propriétés énoncées ci-dessus est qualifié de géostrophique.

3.2.3 Ondes inertielles dans les fluides en rotation

Une autre caractéristique importante des écoulements en rotation est l’existence, aux

grands nombres de rotation, de solutions sous forme d’ondes dites ondes inertielles (voir

Greenspan, 1990; Sagaut, 2007). Ces ondes sont mises en évidence expérimentalement en

étudiant l’évolution d’un écoulement géostrophique perturbé. La « contrainte » de

bidi-mensionnalité de l’écoulement aux grands nombres de rotation induit alors la propagation

des ondes inertielles pour ramener l’écoulement vers un état géostrophique.

À partir de l’équation d’évolution de la vorticité sous les hypothèsesRo≫1etEk ≪1

(cf note de pied de page 34), on observe que si l’on cherche une solution sous forme d’ondes

planes u=e

i(κ·x+σt)

h, avec h indépendant de xet de t, alors on a la relation :

σiκ∧h= 2(Ω·κ)h.

Par suite la solution d’onde plane existe pourhun vecteur propre de l’opérateur rotationnel

(iκ∧). En notantα le vecteur propre associé, on a de plus la relation de dispersion :

σ= 2·κ

α .

3. Si l’on ne néglige pas le terme instationnaire, on obtient l’équation d’évolution de la vorticité sous

les hypothèsesRo≫1etEk≪1:

∂ω

3.2Théorie de base des écoulements en rotation 35

a) b)

Figure 3.1 –Visualisation decolonnes de Taylordans des écoulements quasi-géostrophiques.

a)Remontée d’une bulle de silicone dans un bocal en rotation (d’après Bush et al., 1995). Le

caractère bidimensionnel de l’écoulement implique que l’écoulement est affecté dans toute la

colonne de fluide au dessus et en dessous de la bulle.a)Image satellite au large de la Guadeloupe.

La colonne d’air au dessus de l’île se comporte comme un obstacle, impliquant la formation

d’une allée de Von Kármán dans les nuages largement au dessus de l’île.

La contrainte d’incompressibilité implique en outre que κ·h = 0, c’est-à-dire κ ⊥u; on

dit que l’onde est transverse.

On reconnaît en h les propriétés des vecteurs h

s

de la base hélicitaire introduite au

paragraphe 3.2.3 (p. 22) comme les vecteurs propres de l’opérateur rotationnel associés aux

valeurs propressκ, avecs=±1. Cette base est donc commode non seulement pour l’étude

des transferts énergétiques par effets non linéaires mais aussi pour l’étude des écoulements

en rotation, cette dernière vertu lui ayant été reconnue historiquement avant la première.

Donnons donc l’équation d’évolution des coefficients modaux a

s

dans cette base, dans

un référentiel en rotation cette fois. Pour cela, on construit d’abord l’équation de Navier–

Stokes en référentiel tournant dans l’espace spectral. Comme on l’a fait au paragraphe (p.

20), on commence par prendre la divergence de l’équation de quantité de mouvement de

manière à obtenir une expression pour la pression effective modalepb

e

. En substituant cette

expression dans le bilan de quantité de mouvement, on obtient :

∂t +νκ

2

b

u

i

+ 2P

ij

Ω∧ub

j

=−iP

ij

κ

l

Z

κ+p+q=0

ub

j

(p)ub

l

(q)dpdq. (3.39)

avec P

ij

l’opérateur de projection sur le plan orthogonal à κ défini par (2.43). Bien que

linéaire, le terme de Coriolis2Ω∧ubn’a aucune raison d’être orthogonal au vecteur d’ondeκ.

On voit cependant que, de même que le terme convectif (dont le terme de Coriolis provient),

l’élimination de la pression effective du bilan a pour effet de projeter ces termes sur le plan

solénoïdéal, c’est-à-dire de maintenir la contrainte d’incompressibilité. La projection sur

le plan orthogonal à un axe peut se faire en multipliant vectoriellement à gauche et deux

fois successivement par un vecteur unitaire portant cet axe. On utilisera donc la forme

équivalente :

P

ij

=

κ

κ ∧κ

κ ∧

ij

,

de sorte qu’en exploitant l’identitéǫ

ijk

ǫ

lmk

il

δ

jm

−δ

im

δ

jl

, il vient (Cambon et Jacquin,

1989) :

∂t +νκ

2

b

u

i

+ 2·κ

κ

2

κ∧u

i

=−iP

ij

κ

l

Z

κ+p+q=0

ub

j∗

(p)ub

l

(q)dpdq. (3.40)

C’est sous cette forme qu’on retiendra l’équation de Navier–Stokes en référentiel tournant

dans l’espace spectral.

On décompose maintenant la vitesse suivant ses deux modes hélicitaires ub = a

+

h

+

+

a

h

. En utilisant le fait qu’ils sont des vecteurs propres de l’opérateur rotationnel

(pro-priété 2.57) on en déduit la dynamique des coefficients modaux a

sκ

=a

s

(κ),s=±1 :

∂t −2is

κ

Ω·κ

κ +νκ

2

a

sκ

=−1

4

Z

κ+p+q=0

X

sp,sq

C

sκspsq κpq

a

sp

a

sq

dpdq, (3.41)

avec C

sκspsq

κpq

les coefficients géométriques définis au paragraphe 3.2.3 par (2.60) (Cambon

et al., 1997) ou (2.68) si le terme non linéaire a préalablement été décomposé suivant (2.65)

(Waleffe, 1993).

L’existence des ondes d’inertie « transparaît » déjà au membre de gauche, c’est-à-dire

la partie linéaire du système. Celles-ci sont recouvrées en faisant l’hypothèse Ro≫ 1 qui

permet de négliger le membre de droite. On obtient une équation différentielle ordinaire

sur les coefficients modaux a

sκ

(t)dont la solution est :

a

sκ

=Ce

(νκ2+2isκΩ cosθ)t

,

avec C=a

sκ

(0)etθl’angle(Ω,κ). En prenant la transformée de Fourier inverse debu, on

trouve la solution en ondes d’inertie du problème linéaire :

u(x, t) =

Z

R3

C e

i(κ·x+σt)

h

+

+e

i(κ·xσt)

h

e

νκ2t

dκ, (3.42)

avec σ= 2Ω cosθ.

Au début du paragraphe, on avait présupposé l’existence d’une solution sous forme

d’ondes planes à une formulation simplifiée de l’équation de la vorticité, ce qui nous

per-mettait ensuite de caractériser cette solution. Maintenant, on voit que les ondes inertielles

apparaissent directement en résolvant la partie linéaire du bilan de quantité de mouvement.

On retrouve une solution sous forme d’ondes planes transverses. La relation de dispersion :

σ

sκ

= 2s

κ

·κ

κ , s

κ

=±1, (3.43)

montre que la fréquence des ondes dépend seulement de l’orientation des vecteurs d’onde

κ et pas de leur module. On voit en outre que les modes e

i(κ·x+σt)

h

sκ

de fréquence

opposée ont également une hélicité opposée (Waleffe, 1993). Enfin ces ondes sont également

dissipatives puisqu’elles font apparaître le facteur e

−νκ2t

.

3.3 Modification des transferts énergétiques sous l’effet de la

rotation

Après avoir décrit quelques caractéristiques notables des écoulements en rotation, on

s’intéresse maintenant plus spécifiquement aux effets de la rotation sur la turbulence. Ici,

on se place dans le cadre de la turbulence homogène et on donne quelques résultats et

éléments de description lorsque le champ moyen est simplement animé d’un mouvement

de rotation solide.

Cet écoulement a été étudié expérimentalement par Jacquin et al. (1990). Le dispositif

expérimental consiste en une turbulence initialement isotrope générée au passage d’une

grille et à laquelle on imprime un mouvement de rotation solide à l’aide d’une section