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4.2 Modélisation des corrélations statistiques : approche RANS

4.2.4 Évaluation de modèles au second ordre pour la rotation

4.2.4.1 Comparaison entre les modèles LRR et SSG

Les modèles LRR (Launderet al., 1975) et SSG (Spezialeet al., 1991) sont deux modèles

emblématiques de fermeture au second ordre. Ce sont les deux modèles au second ordre

proposés dansCode_Saturne. Pour comparer ces modèles pour les écoulements en rotation,

on se réfère à l’analyse des solutions d’équilibre d’un modèle en turbulence homogène

(Speziale et Mac Giolla Mhuiris, 1989a; Durbin et Pettersson Reif, 1999). Cette approche

se révèle particulièrement fructueuse pour « préjuger » des performances de ces modèles

dans un canal tournant, ce que l’on vérifiera par le calcul. De fait, des analyses similaires

ont été reprises par plusieurs auteurs, pour sensibiliser des modèles de viscosité turbulente

à l’instabilité Coriolis–cisaillement notamment (cf paragraphe 4.2.5), mais également dans

le cadre d’autre type d’instabilité (Speziale et al., 1996; Ji et Durbin, 2004).

Modèle LRR

Le modèle LRR (Launder et al., 1975) s’inspire de l’état de l’art en modélisation de la

turbulence au milieu des années 1970 pour proposer de manière unifiée un modèle simple

pour les termesφ

ij

,D

ijT

etε

ij

, qui demandent à être modélisés dans le cadre d’une fermeture

au second ordre.

Pour la contribution rapide du terme de pression–déformation, l’hypothèse est que ce

terme compense en partie l’anisotropie induite par la production (modèle IP pour

isotro-pisation de la production) :

φ

(1)ij

=−c

1

P

ij

2

3P δ

ij

. (4.29)

Le tenseur de dissipation est supposé isotrope :

ε

ij

= 2

3εδ

ij

, (4.30)

etεest donnée par l’équation de transport modélisée suivante, similaire à celle du modèle

k−ε:

Dt =

C

ε1

P −C

ε2

ε

τ +

∂x

j

(ν+C

ε

k

εu

j

u

l

)∂ε

∂x

l

, (4.31)

avec τ =k/εl’échelle intégrale de temps de la turbulence. La contribution lente du terme

de pression–déformation est modélisée, d’après Rotta (1951), par :

φ

(2)ij

=−c

2

ε

k u

i

u

j

2

3

ij

. (4.32)

4.2Modélisation des corrélations statistiques : approche RANS 61

Avec ce modèle, le retour « libre » à l’isotropie est d’autant plus rapide que l’anisotropie

initiale est grande et que le temps caractéristique τ est court. Enfin, le terme de diffusion

turbulente est modélisé, suivant la proposition de Daly et Harlow (1970), par :

D

ijT

=C

D

∂x

l

k

εu

k

u

l

∂u

′ i

u

′ j

∂x

k

. (4.33)

Le jeu de constante retenu pour le modèle LRR est le suivant :

c

1

= 0.6, c

2

= 1.8, C

D

= 0.22, C

ε1

= 1.45, C

ε2

= 1.9, C

ε

= 0.18. (4.34)

L’extension du modèle LRR dans un référentiel tournant R

et sa validation pour un

canal en rotation a été réalisée par Launder et al.(1987). Les auteurs notent que le terme

de productionP

ij

n’est associé qu’à la moitié du terme de production de Coriolis G

ij

(voir

équations 3.32, 3.33 p. 32) de sorte que la formulation du modèle IP dans un référentiel en

rotation, suivant le principe de modélisation (I) (p. 45), est (l’exposant ⋆ est omis) :

φ

(1)ij

=−c

1

P

ij

+1

2G

ij

2

3P δ

ij

. (4.35)

Modulo le fait que le transport des tensions de Reynolds est donné par (4.27) et non plus

(4.26), c’est la seule modification à apporter au modèle LRR lorsqu’on l’utilise dans un

référentiel non inertiel, car l’ensemble des termes dans les équations (4.31)–(4.33) sont

objectifs.

Modèle SSG

Le modèle SSG (Speziale et al., 1991), de conception plus « systématique » que celle

« phénoménologique » du modèle LRR, est un modèle pour le terme de pression–déformation

φ

ij

. Il est souvent associé à une dissipation isotrope (4.30), à l’équation (4.31) pour la trace

du tenseur de dissipation et au modèle (4.33) pour la diffusion turbulente.

7

À partir de la

relation (4.18), les auteurs ramènent le problème à la recherche d’une fonction tensorielle

isotropef satisfaisant :

φ

ij

=εf

ij

(b,Se,Wf),

linéaire enSe etWf, ces derniers désignant les adimentionnements deS etW parτ =k/ε.

En utilisant le théorème de représentation de Smith (1971) et en respectant la structure

matricielle deφ

ij

, puis en restreignant l’analyse aux solutions d’équilibre d’une turbulence

plane homogène (voir plus bas), les auteurs donnent la forme générale de la fonctionnelle

f pour ces solutions d’équilibre :

φ

ij

=−C

1

εb

ij

+C

2

ε(b

ik

b

kj

13

b

mn

b

mn

δ

ij

) +C

3

kS

ij

+C

4

k(b

ik

S

jk

+b

jk

S

ik

23

b

mn

S

mn

δ

ij

) +C

5

k(b

ik

W

jk

+b

jk

W

ik

), (4.36)

avec C

i

des coefficients variables dépendants des invariants qu’on construit à partir des

arguments b,Se etWf (parmi lesquels le ratioP/εet le second invariant du tenseur

d’ani-sotropieII

b

=b

ij

b

ij

). Par accord avec plusieurs cas tests canoniques, les coefficients retenus

pour le modèle SSG sont :

C

1

= 3.4 + 1.8P/ε, C

2

= 4.2, C

3

= 0.8−1.3II

b1/2

, C

4

= 1.25, C

5

= 0.4,

C

ε1

= 1.44, C

ε2

= 1.83. (4.37)

7. Ce n’est pas le cas lorsque le modèle SSG est utilisé dans le cadre d’une modélisation algébrique des

tensions de Reynolds (voir note de pied de page 53).

Comme précisé dans Speziale et al. (1991), pour utiliser le modèle SSG dans un

réfé-rentiel non inertiel, il suffit de respecter la relation (3.19), c’est-à-dire de remplacer dans

(4.36) le tenseur de vorticité W par le tenseur de vorticité « absolue » :

W

ija def

= W

ij

imj

m

, (4.38)

avec Ωle vecteur rotation du référentiel non intertiel par rapport au référentiel galiléen.

Notons enfin que modèle LRR appartient à la famille générale de modèle (4.36) pour :

C

1

= 3.6, C

2

= 0.0, C

3

= 0.8, C

4

= 1.2, C

5

= 1.2,

et l’extension en référentiel quelconque (4.35) correspond alors au remplacement deW par

W

a

dans (4.36).

Solutions d’équilibre d’une turbulence homogène

Les solutions d’équilibre d’un modèle de fermeture sont définies par (voir Speziale et

Mac Giolla Mhuiris, 1989a) :

D

ε

Sk

= 0, (4.39)

Db

ij

= 0, (4.40)

avecσ

def

= Stun adimensionnement det(Sconstant). Par rapport à l’hypothèse d’équilibre

faible sur laquelle sont bâtis les modèles de fermeture au second ordre algébriques, les

solutions d’équilibre sont caractérisées par la condition (4.39) supplémentaire, qui s’écrit,

pour une turbulence homogène et à partir des équations (2.24) et (4.11) :

P

ε −C

ε2

−1

C

ε1

−1

ε

Sk

2

(C

ε1

−1) = 0. (4.41)

Deux types de points fixes sont possibles pour le ratio d’échelle de temps ε/Sk : un point

fixe trivial (ε/Sk)

= 0 et un second point fixe (ε/Sk)

>0 tel que (P/ε)

= (C

ε2

1)/(C

ε1

−1). Dans ce second cas, on a, pour les solutions d’équilibre :

k∼e

λt

avec λ= C

ε2

−C

ε1

C

ε1

−1

ε

Sk

. (4.42)

Commeλ >0, le point fixe(ε/Sk)

>0correspond à un écoulement instable. Le point fixe

trivial (ε/Sk)

= 0 conduit à une évolution algébrique de l’énergie cinétique turbulente,

dont le régime est donné par (Pettersson Reif et al., 1999) :

k∼σ

λ

t avec λ= (P/ε)

−1

C

ε2

−1−(P/ε)

(C

ε1

−1). (4.43)

Ce point fixe correspond donc à un écoulement stable ou instable selon la valeur de(P/ε)

,

et notamment l’écoulement est stable quand (P/ε)

<1.

Lorsqu’un modèle de fermeture est utilisé pour exprimer les membres de gauche de

(4.39) et (4.40), on obtient un système fermé d’équations algébriques, dont les solutions

sont les valeurs d’équilibre (ε/Sk)

et (b

ij

)

. La connaissance de ces valeurs d’équilibre

est un moyen puissant d’évaluation ou de calibration d’un modèle de turbulence, pour

reproduire une instabilité donnée. Cela permet de voir sous quelle condition le point fixe

(ε/Sk)

>0 est atteint, ce qui garantit que l’écoulement soit instable et également sous

quelle condition le point fixe(ε/Sk)

>0atteint sa valeur maximale, ce qui correspond à

une « déstabilisation maximale » de l’écoulement (pour C

ε1

,C

ε2

constants, équation 4.42).

4.2Modélisation des corrélations statistiques : approche RANS 63

Modèles LRR et SSG pour les écoulements cisaillés en rotation

Dans le cas de l’instabilité Coriolis–cisaillement, le modèle doit prédire un écoulement

instable dans la zone 0 < Ω/S < 0.5, conformément au critère de stabilité de Bradshaw

(équation 3.47, paragraphe 3.4), et une déstabilisation maximale pour Ω/S ≈ 0.25. Les

solutions d’équilibre de l’écoulement homogène cisaillé en rotation sont obtenues en prenant

S = ∂u

1

/∂x

2

, ∂u

i

/∂x

j

= 0 pour (i, j) 6= (1,2) et Ω = Ωe

3

le taux de rotation du

référentiel dans lequel (4.40) s’applique (voir annexe C). Pour tous les modèles de type

(4.36) – LRR et SSG en particulier – les solutions d’équilibre(ε/Sk)

sont structurellement

identiques (représentées sur la figure 4.3). Le point fixe trivial (ε/Sk)

= 0 existe pour

tous les ratios Ω/S, mais il est stable uniquement à l’extérieur d’un intervalle [A, B].

Le point fixe (ε/Sk)

> 0 n’est défini que pour Ω/S ∈ [A, B] et il est stable. Il est

donné par(ε/Sk)

=g(Ω/S) avecg une fonction parabolique. On a donc une bifurcation

entre deux points fixes stables (rappelons que la stabilité du point fixe ne signifie pas que

l’écoulement est stable ; voir les équations 4.42 et 4.43). Du point de vue de la modélisation,

l’important est que les points de bifurcationAetB et la forme de la fonctiongdépendent

des coefficientsC

1

–C

5

du modèle (4.36) (Speziale et Mac Giolla Mhuiris, 1989a).

Figure 4.3 – Allure du diagramme de bifurcation des modèles au second ordre basés sur

(4.36) pour l’écoulement homogène cisaillé en rotation (d’après Speziale et al., 1996)

.

Pour les modèle LRR et SSG, on a (C =A+ (B−A)/2est l’argumentΩ/S pour lequel

g atteint son maximum) :

– LRR : A=−0.09,B = 0.37,C= 0.14.

– SSG : A=−0.09, B= 0.53,C= 0.22.

Le modèle LRR prédit donc une déstabilisation maximale de l’écoulement pour Ω/S =

0.14, assez loin de la valeur Ω/S ≈ 0.25 attendue. Le modèle SSG est calibré de telle

sorte que A et B soient proches des bornes Ω/S = 0 et Ω/S = 0.5 correspondant au

critère de Bradshaw, quoique légèrement décalés à l’extérieur, notamment A car il est

reconnu que l’écoulement homogène cisaillé sans rotation est de stabilité linéaire neutre,

mais instable dans la réalité (non linéaire, voir Drazin et Reid, 1981). De plus, rappelons

que la bifurcation sur la branche triviale (ε/Sk)

= 0 du diagrame n’implique pas la

stabilisation directe de l’écoulement. Il existe des incréments δA et δB à l’extérieur de

[A, B] où P/ε > 1 (λ > 1 dans l’équation 4.43). Speziale et Mac Giolla Mhuiris (1989a)

indiquent toutefois que ces incréments sont très faibles.

Sur la figure 4.4, les profils de vitesse moyenne obtenus avec les modèles LRR et SSG

dans un canal plan en rotation sont tracés, pourRe

τ

= 1500et deux nombres de rotation

-1 -0,5 0 0,5 1 10 15 20 25 30 35 40 -1 -0,5 0 0,5 1 10 15 20 25 30 35 40

y/h

y/h

U

+

a) b)

Figure 4.4 –Canal plan en rotation transverse,Re

τ

= 1500,Ro

τ

= 5et7(profils décalés vers

le haut). Vitesse moyenne (---) et penteS = Ω/Bsuggérée par le diagramme de bifurcation

(-----).a) LRR etb) SSG.

pour cette application (ce point est mentionné par Cazalbou et al., 2005 notamment).

En effet, on voit que la pente du profil de vitesse moyenne au centre du canal est très

proche de S = Ω/B, pour les deux modèles. En considérant que l’incrément δB est faible,

cela indique que les modèles au second ordre LRR et SSG reproduisent un écoulement

proche du régime de stabilité neutre au cœur de l’écoulement. Par conséquent, la position

du point de bifurcation B est déterminante pour reproduire un cisaillement proche de

S = 2Ω, correspondant à l’écoulement de vorticité absolue nulle observé expérimentalement

(paragraphe 3.4). À ce titre, le modèle SSG montre un meilleur accord avec l’expérience.

En conclusion, l’examen des solutions d’équilibre d’un modèle de turbulence est un outil

important de qualification et de calibration du modèle. On a vérifié, sur le cas test du

canal en rotation transverse, que ce type d’analyse permet de juger correctement des

per-formances d’un modèle, au moins loin des parois, pour les écoulement cisaillés en rotation.

Des deux modèles « classiques » LRR et SSG, le modèle SSG est le plus performant pour

ces écoulements. C’est ce modèle qui sert de base au modèle EB–RSM (Manceau et

Han-jalić, 2002). L’examen de l’aptitude de ce modèle à conserver les qualités du modèle SSG

loin des parois et à correctement prendre en compte les effets de la rotation proche des

parois fait l’objet du paragraphe suivant.

Complément. Pettersson Reif et al. (1999) et Durbin et Pettersson Reif (1999) ont

développé l’analyse des solutions d’équilibre de la turbulence homogène initiée par Speziale

et Mac Giolla Mhuiris (1989a). Les auteurs proposent de caractériser la branche « triviale »

du diagramme en étudiant la limite deb

ij

Se

ij

=−

12

P/ε, pourb

ij

une modélisation algébrique

explicite du tenseur d’anisotropie, quand l’invariant η

1 def

= Se

ij

Se

ij

tend vers l’infini. En

notant que cette limite doit être finie (égale à(C

ε2

−1)/(C

ε1

−1)au point de bifurcation), les

auteurs obtiennent des conditions nécessaires pour qu’un écoulement suscite la bifurcation

d’un modèle de fermeture. Les points de bifurcation donnés par(P/ε)

= (C

ε2

−1)/(C

ε1

4.2Modélisation des corrélations statistiques : approche RANS 65

se plaçant sur cette branche triviale(ε/Sk)

= 0 – mais(P/ε)

variable – du diagramme

de la figure 4.3.