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La théorie de la décision comme théorie sophistiquée des attitudes propositionnelles

décision : l’introduction de la signification dans la théorie unifiée (Davidson, 1980)

Chapitre 1. Les critiques de Donald Davidson à la théorie de la décision

1.1 Une conception de l’action qui éclaire les critiques faites à la théorie de la décision

1.1.2. Théorie de l’action et théorie de la décision : analogie et différences

1.1.2.4 La théorie de la décision comme théorie sophistiquée des attitudes propositionnelles

La théorie de l’action développée par Davidson dans les années 1960-1970 procède d’une description et d’une explication de l’actions par des raisons qui en sont les causes. En 1976, Davidson décrit la théorie de la décision comme « une théorie sophistiquée des explications par les raisons » ([1976, 1993a], pp. 354-355). Ceci pourrait constituer une différence centrale entre théorie de l’action et théorie de la décision.

Afin de comprendre la spécificité de la théorie de la décision par rapport à la théorie de l’action, nous nous attardons sur l’usage du terme « sophistiqué » utilisé à plusieurs reprises par Davidson110. Nous identifions au moins deux explications de cet usage dans son travail :

i) La première est que contrairement à la théorie de l’action, la théorie de la décision est de part en part axiomatisée à l’aide d’outils mathématiques. Plus précisément, les concepts fondamentaux comme les désirs et les croyances sont insérés dans une structure axiomatique cohérente et traduits sous forme numérique. Cette structure axiomatisée a de nombreux attraits comme le souligne Davidson : « en posant des conditions formelles sur des concepts simples et sur leurs relations les uns aux autres,

110 Le terme « sophistiqué » se retrouve au moins dans deux articles : « La psychologie comme philosophie » p.312, et dans « Explication de l’action selon Hempel » (1976), p. 355.

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une structure puissante peut être définie » (Davidson [1999], p.32). La théorie de l’action n’a pas de tels attraits ; ses prémisses et ses raisons se prêtent moins facilement à une telle axiomatique. Une étape structurelle semble donc ne pouvoir être franchie par la théorie de l’action.

ii) La seconde raison repose sur les difficultés liées à la quantification des prémisses et raisons de la théorie de l’action alors que la théorie de la décision dans la version de Ramsey repose sur une quantification de la force de la préférence et du degré de croyance. Comme le dit Davidson, « La théorie [de l’action] ne part pas du principe que nous pouvons évaluer les degrés de croyance ou établir des comparaisons de valeur directement. Elle postule plutôt qu’il existe une structure de préférences raisonnables parmi les diverses actions possibles, et elle montre comment on peut construire un système de croyances quantifiées afin d’expliquer les choix » (Davidson [1975, 1993b] p. 236). Au contraire, la théorie de la décision de Davidson construite autour des modèles et expérimentations de 1957 et 1959 a montré que les désirs et les croyances pouvaient être identifiés, isolés et calculés, ce qui n’est pas possible en théorie de l’action : « Etant donné les conditions idéalisées que postule la théorie [de la décision], la méthode de Ramsey permet d’identifier et d’individualiser les croyances et désirs pertinents. Plutôt que de dire qu’il s’agit d’un postulat, il vaudrait peut-être mieux dire ceci : dans la mesure où nous pouvons considérer que les actions d’un agent correspondent à une certaine structure (rationnelle), nous pouvons expliquer ces actions dans les termes d’un système de croyances et de désirs quantifiés » (Davidson [1975, 1993b], p. 236).

La théorie de l’action ne permet pas un tel raffinement en raison de sa structure et des concepts sur lesquels elle s’appuie et en particulier le concept de rationalité : « Le concept d’action effectuée pour une raison (et par conséquent le concept de comportement en général) fait intervenir deux notions : la notion de cause, et la notion de rationalité. Une raison est une cause rationnelle. L’une des façons dont la rationalité intervient est claire : la cause doit être un désir et une croyance à la lumière desquelles l’action est raisonnable. Mais la rationalité entre en ligne de compte de façon plus subtile, parce que la manière dont le désir et la croyance fonctionnent afin de causer l’action doit satisfaire d’autres conditions, qui ne sont pas spécifiées. L’avantage de ce

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mode d’explication est clair : nous pouvons expliquer le comportement sans avoir à connaître trop de choses sur la manière dont il a été causé. Et le prix que nous payons pour avoir des explications est justifié : nous ne pouvons pas transformer ce mode d’explication en quelque chose qui aurait des allures plus scientifiques » (Davidson [1974, 1993a], p. 311). Autrement dit, la structure qui sert de base à la théorie de l’action fait appel à une conception de la causalité et de la rationalité permettant de décrire des corrélations qui ne s’assimilent pas à des raisons nécessaires et suffisantes.

La différence centrale entre la théorie de l’action et celle de la décision chez Davidson tient au fait que la théorie de l’action proposée par l’auteur est une forme particulièrement simple d’explication par les raisons qui ne tient pas compte de la manière dont un agent fait des choix parmi plusieurs actions, actions « qu’il a toutes de bonnes raisons de faire » (Davidson [1976, 1993a], p. 354).

La théorie de l’action de Davidson semble occuper une position antérieure dans la chronologie d’un choix quelconque puisqu’elle se focalise essentiellement sur la manière dont un agent décide de faire telle action et les mécanismes mentaux qui sont en jeu à ce stade.

De même, la théorie de l’action n’intègre pas les variations dans la force des désirs ou dans les degrés de croyance, car ces questions relèvent de la théorie de la décision. Toutefois, pour Davidson, la théorie de la décision est une théorie sophistiquée de l’action parce qu’elle fait un pas en direction de la « respectabilité scientifique » : « Elle abandonne le projet d’expliquer les actions une à une en faisant appel à quelque chose de plus fondamental, et postule à la place une structure sous-jacente au comportement à partir de laquelle on peut inférer les croyances et les désirs » (Davidson [1974, 1993a], p.313).

En effet, ce qui semble constitué un atout majeur de la théorie de la décision, selon Davidson, est que celle-ci utilise un mécanisme d’attribution d’attitudes comme des désirs et des croyances d’une portée empirique significative. Autrement dit, la théorie de la décision a accès à des données psychologiques sophistiquées comme des intensités de préférences qui sont significatives (ont du sens) selon Davidson car elles ne présupposent pas ce qu’elles veulent expliquer, elles sont accessibles immédiatement à l’observation durant une expérience (attention pas à l’observation pure). Ainsi, la

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théorie de la décision, telle que la perçoit Davidson, postule une structure explicative reliée à l’observation expérimentale. Davidson poursuit : « On écarte du même coup toute nécessité d’établir l’existence des croyances et des attitudes indépendamment du comportement, et on prend en compte (comme relevant d’une construction théorique) l’ensemble du réseau pertinent des facteurs cognitifs et motivationnels » (ibid.). En ce sens, la théorie de la décision est – comme la théorie de l’action - intensionnelle111 puisqu’elle est fondée sur le mode de la compréhension et à partir de notions qui expliquent et rationalisent le comportement.

En outre, ce qui différencie une fois de plus théorie de l’action et théorie de la décision est l’idée de « mesure » comme l’explique Davidson : « la théorie [de la décision] assigne des nombres afin de mesurer les degrés de croyance et de désir, ce qui est indispensable si elle doit produire des prédictions adéquates, bien qu’elle ne fasse ces mesures que sur la base de données purement qualitatives (des préférences ou des choix entre des paires d’options) » (ibid.). Nous reviendrons dans les chapitres qui suivent sur l’importance de cette idée de mesure pour Davidson.

Reposant sur des concepts et notions construits au cours des années 1970, la théorie de l’action de Davidson, que nous venons de présenter succinctement, en raison de son point de vue externe, permet de révéler trois grandes critiques adressées à la théorie de la décision que nous détaillons maintenant.

111 L’intension est un concept logique qui s’oppose à l’extension. Toute classe d’éléments peut être définie en extension (en nommant ou en désignant chaque individu qui en fait partie) ou en intension, par une description (spécification d’un certain nombre de prédicats) qui définit la classe.

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1.2 L’absence d’analyse des conflits entre les désirs en théorie de la