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Une mesure faible fondée sur un quasi-ordre et un classement de préférences rationnelles

Le modèle de Davidson (1957) : théorie et « hypothèses expérimentales »

3.1.1 Une mesure faible fondée sur un quasi-ordre et un classement de préférences rationnelles

Les auteurs commencent par définir un « quasi-ordre ». Il s’agit pour eux d’une relation R réflexive et transitive, dans un ensemble K d’issues rangées par ordre de préférences (préférences asymétriques et transitives).

La relation R se décompose en deux relations : la relation de préférence P et la relation d’équivalence E. L’expression x P y décrit le fait que x est préféré à y, et la relation E décrit une relation d’équivalence en termes de préférence. E est transitive et symétrique.

Ils définissent ensuite « un classement de préférences rationnelles » (« Rational Preference Ranking »)69:

Définition 1 : Le triplet <K, P, E> est un classement de préférences rationnelles si et seulement si :

P1. La relation P est transitive ; P2. La relation E est transitive ;

P3. Si x et y sont dans K, alors on a exactement l’une de ces relations : x P y, y P x, x E y.

Cette définition vise à décrire les conditions nécessaires de rationalité inhérentes à toute attribution de valeur. Elle n’a pas valeur de prescription selon les auteurs (Davidson, McKinsey, Suppes [1955], p.141) mais sert plutôt de point d’ancrage pour caractériser une préférence rationnelle.

Ainsi les auteurs considèrent-ils qu’un classement des préférences rationnelles dans le sens de la Définition 1 correspond à un classement ordinal représentant une

69 Les auteurs expliquent que cette définition est « neutre » (Davidson, McKinsey, Suppes [1955], p.144) dans le sens où elle n’impose aucune restriction sur le contenu de K.

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mesure « faible » de la valeur contrairement aux mesures cardinales qui sont qualifiées de mesures fortes.

Les auteurs reconnaissent que cette première mesure de la valeur fondée sur la définition comporte des limites car P1, P2 et P3 peuvent être tour à tour critiqués comme c’est le cas dans la littérature sur ce thème.

L’une des objections les plus sérieuses qui puisse être faite à la Définition 1 et plus précisément à P1 est l’argument de la pompe à finance, déjà présent chez Ramsey [1931] et qu’ils présentent sous la forme d’un exemple :

« Mr S se voit offrir trois opportunités d’emploi par un directeur de département : il peut être professeur à plein temps pour 5000$ (issue a), professeur associé pour 5500$ (issue b) ou assistant professeur pour 6000$ (issue c). Les raisonnements de Mr S sont les suivants : a P b puisque l’avantage en gloire l’emporte sur la petite différence de salaire, b P c pour la même raison, et c P a puisque la différence de salaire est maintenant suffisamment importante pour l’emporter sur une question de rang » (Davidson, McKinsey, Suppes [1955], p.155).

Pour les auteurs, il s’agit de démontrer que l’ensemble des préférences présenté dans l’exemple est irrationnel car intransitif. La transitivité apparaît alors comme une condition de rationalité. Pour le montrer, ils poursuivent leur exemple en imaginant la scène suivante :

« Le directeur du département, avisé des préférences de Mr S, dit : ‘ Je vois que vous préférez b à c, alors je vais vous laisser avoir la chaire de professeur associé pour une petite rémunération. La différence doit valoir quelque chose pour vous’. Mr S accepte de glisser 25$ au directeur de département pour obtenir son issue préférée. A présent le directeur du département dit : ‘ Puisque vous préférez a à b, je suis prêt, si vous me payer pour le dérangement, à vous laisser avoir la chaire entière’. Mr S remet 25 autres dollars et commence à partir, satisfait. ‘Attendez’ dit le directeur du département, ‘Je viens de m’apercevoir que vous préférez avoir c à a, et je peux arranger cela…’ »70. (ibid.)

70 On retrouve ici la référence au pari hollandais, encore appelé pompe à finance, cette idée est notamment présentée par Ramsey [1926].

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Ici, l’irrationalité provient de la cyclicité de la relation de préférence de Mr S, de l’intransitivité de ses préférences, ce qui constitue une violation de P1 : en poussant Mr S à faire plusieurs échanges et en le laissant payer pour chaque échange, il peut être ramené à sa position initiale mais avec moins d’argent dans les poches qu’au départ.

Une deuxième objection importante qui peut être formulée à l’encontre de la Définition 1 est relative à P2. Il est en effet d’usage de considérer comme Amstrong [1950] et plus tard Duncan Luce [1956] que la relation d’équivalence n’est pas transitive du fait d’un problème de discrimination entre les différents objets soumis à la comparaison. Ainsi, comme le suggèrent Davidson, McKinsey et Suppes, imaginons une relation d’ordre sur des éléments (x1…xn) dans laquelle x1 a plus de valeur que xn. Il se peut qu’il n’y ait pas de manière directe de détecter une différence de valeur entre les membres adjacents de la séquence x1, x2, …, xn, de telle sorte que x1 E x2, x2 E x3. Puisque la transitivité de E entraîne que x1 E xn et donc non x1 P x n, on peut dire que l’axiome P2 demande inutilement une discrimination infinie entre les issues.

Mais selon les auteurs, « la Définition 1 n’implique pas que si nous croyons que l’on peut voir une différence entre x1 et xn, alors, pour être rationnel, on devrait être capable de voir une différence entre au moins deux membres adjacents de la séquence x1, x2, …, xn ; elle implique simplement que si x1 est considéré comme ayant plus de valeur que xn, il doit être rationnellement considéré qu’il y a une différence de valeur entre au moins deux membres adjacents de la séquence » (Davidson, McKinsey, Suppes [1955], p.146).

Enfin, une troisième objection peut relativiser la portée de P3 dans la Définition 1. P3 postule que toutes les issues prises deux à deux dans un classement rationnel peuvent être comparables. Or il est tout à fait possible, selon les auteurs, que deux ensembles possibles d’issues K1 et K2, chacun ordonné rationnellement, peuvent se chevaucher sans nécessairement impliquer que chaque membre de K1 soit comparable avec chaque membre de K2.

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3.1.2 Une interprétation empirique difficile du classement des préférences