• Aucun résultat trouvé

Les problèmes liés à l’expérimentation

Le modèle de Davidson (1957) : théorie et « hypothèses expérimentales »

3.5. Les problèmes liés à l’expérimentation

Davidson et Suppes constatent que dans les expériences menées sur la base de la théorie ci-dessus « la difficulté centrale est de déterminer empiriquement quand la relation ≈ ܧ ∗ est vérifiée » (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p.40). Il faudrait pour cela que les personnes, auxquelles on présente plusieurs fois les options 1 et 2

131

choisissent dans (à peu près) la moitié des cas la première – et donc dans (à peu près) la moitié des autres cas la seconde. Or, il n’en est rien : une fois une option choisie parmi les deux, pourtant jugées équivalentes, les sujets des expériences s’y tiennent dans tous les cas où elles leur sont soumises (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p 40). Davidson et Suppes expliquent ce comportement par le caractère très simple des options présentées, ce qui distingue leurs expériences de celle de Mosteller et Nogee (1951), qui utilisent une procédure plus compliquée de génération des événements, et qui portent sur des périodes beaucoup plus longues (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p 41). A quoi s’ajoutent les variations entre les diverses options, qui sont relativement importantes et poussent à toujours s’en tenir à l’une d’entre elles, bien que d’autres lui soient jugées équivalentes.

Quoiqu’il en soit, après avoir constaté qu’ils sont bloqués dès le départ dans la détermination expérimentale de la probabilité, Davidson et Suppes vont proposer une approche approximative, en définissant une nouvelle relation binaire dont ils disent qu’elle est « analogue » à la relation d’indifférence ≈ ܧ ∗ , relation qu’ils notent ≼ ܧ ∗ et qui est telle qui est décrite dans les deux tableaux suivants :

option 1 option 2 E* x1 y1 E* y1 x1 + 1 Tableau 4 et option 1 option 2 E* x1 – 1 y1 E* y1 x1 Tableau 5

C’est l’option 2 qui est choisie dans les deux cas. Rappelons que l’existence même d’une fonction d’utilité implique que l’on ait (cf. tableau 2 et la discussion qui le suit) :

x1 y1 ≈ ܧ ∗ y1 x1. Alors qu’ici on a :

132

x1 y1 ≼ ܧ ∗ y1 x1+1 et x1–1 y1 ≼ ܧ ∗ y1 x1 ,

ce qui montre l’analogie avec ≈ ܧ ∗, qui est en quelque sorte « encadrée », du fait du centime rajouté dans l’option 2 ou enlevé dans l’option 1 (s’il n’y a pas ce centime – qui n’est toutefois pas négligeable dans les expériences menées, où les sommes dépassent rarement la dizaine de centimes – alors on retrouve la relation ≈ ܧ ∗ de l’hypothèse H1).

Davidson et Suppes vont alors montrer comment cette approximation de ≈ ܧ ∗ vérifie les axiomes ayant servi à établir l’existence de la fonction u(·) de leur théorème d’existence, même si cela revient à envisager des intervalles, plutôt que des sommes exactes, en ce qui concerne les sommes de monnaie (encadrées par une borne supérieure et une borne inférieure, que les expériences vont déterminer). En ce qui concerne la relation ≈ ܧ ∗ approchée, Davidson et Suppes se servent de tableaux comme les 4 et 5, en prenant pour les couples (x1, y1) des valeurs telles que (5, - 5), (17,-10), (10,4), (- 4, -3), (-4, -13), etc. (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p.57), comparés à des options où on ajoute 1, puis on enlève 1, à x1 (dans le tableau 6 ci-dessous, les cas 1 et 5 correspondent aux tableaux 4 et 5 ; idem pour 2 et 13 ; 4 et 10 ; 6 et 9 ; … présentés « dans le désordre » pour que les sujets ne réagissent pas en choisissant la même option deux fois de suite, vu leur ressemblance).

Voyons comment Davidson et Suppes réussirent à trouver une procédure permettant de déterminer la relation ≈ ܧ ∗ approchée tout en respectant les treize équivalences exprimées plus haut (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p.42).

La première étape consiste à trouver une quantité de monnaie cl telle que : (1) b, cl

a, a et

(2) a, a

b, cl + 1

En fait, la quantité cl correspond à la valeur ou borne « inférieure » de c. En effet, comme au départ, nous ne disposons que des quantités a et b, il s’agit de déterminer les utilités des autres quantités c, d, g, f expérimentalement par le jeu des équivalences. Mais comme la relation ≈ ܧ ∗ ne peut être qu’encadrée, il faut trouver les bornes inférieure et supérieure des quantités c, d, g, f pour elles aussi les encadrer.

133

Dans l’équation (2), la quantité cl + 1 correspond à la quantité cl à laquelle s’ajoute 1centime. Lorsque l’on remplace les quantités a et b par leurs utilités déterminées arbitrairement on obtient :

(3) 1 + u (cl) ≤ - 2 (puisque u (a) = - 1 et u (b) = 1) et (4) – 2 ≤ 1 + u (cl+1)

On peut donc dire, selon Davidson et Suppes, qu’il existe deux nombres non négatifs ε1 et ε2 tels que

(5) u (cl) + ε1 = - 3 (6) u (cl+1) - ε2 = - 3

Comme on le voit, les relations (1) et (2) correspondent à la première équivalence (i) présentée plus haut.

Les auteurs proposent d’appeler cl + 1, la borne supérieure ch que pourrait prendre c. L’idée étant que c se situe entre cl et ch.

A partir de ces éléments, on peut chercher les bornes inférieure et supérieure de la quantité d, en utilisant cl et ch pour déterminer dh et dl. L’idée étant de déterminer deux relations qui encadrent cette fois l’équivalence (2).

En utilisant cl on doit trouver une quantité dh telle que : (7) b, a ≼ dh, cl

(8) dh -1, cl≼ b, a

De la même manière, on peut utiliser cette fois ch pour déterminer la quantité dl telle que

(9) dl, ch≼ b, a

(10) b, a ≼ dl +1, ch où dl +1 correspond à dh

En utilisant les équations (4) et (5) il est facile de voir que (11) u (dh) ≥ 3 et u (dl) ≤ 3

En effet, comme u (cl) ≤ -3 en vertu de (3), il est possible de déduire que u (dh) ≥ 3 puisque lorsque l’on remplace les quantités de monnaie par les utilités dans (7) on obtient :

1-1 ≤ u (dh) + u (cl) D’où - u (cl) ≤ u (dh)

De là on tire, en multipliant des deux côtés par -1 dans l’inégalité (3) : - u (cl) ≤ 3 Donc u (dh) ≥ 3.

134

De la même manière qu’avec c, on peut donc dire, selon Davidson et Suppes, qu’il existe deux nombres non négatifs δ1 et δ2 tels que :

(12) u (dl) + δ1 = 3 et u (dh) - δ2 = 3 Il s’ensuite que

(13) ε1 ≤ δ1 et ε2 ≤ δ2 et que nous sommes parvenus à encadre la relation d’équivalence (ii).

Comme on peut s’y attendre, la précision de l’encadrement des valeurs s’amenuise à mesure que nous utilisons les bornes inférieure et supérieure des différentes valeurs pour déterminer celles d’une nouvelle valeur. La précision pour d est par exemple plus faible que celle de c comme le mentionnent les auteurs (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p. 44).

L’étape suivante – une fois la détermination de c, d et f achevée – consiste à vérifier les valeurs trouvées avec des nouvelles équivalences. Par exemple, on peut utiliser les valeurs cl et ch pour vérifier les autres équivalences comme (iv) b, f ≈ a, c. Cette procédure permettra de trouver une nouvelle paire cl’ et ch’ qui, du fait de la perte de précision évoquée, sera moins « nette » que la première :

(14) cl’≤ cl ≤ ch ≤ ch’

Autrement dit, comme l’expriment les auteurs, la première paire (cl, ch) sera « nichée » (nest) entre les valeurs (cl’, ch’).

Si cette (14) n’est pas vérifiée, alors il faudra reprendre le processus depuis le départ et obtenir de nouvelles bornes pour c, d, f et g puis revérifier.

Ce processus consistant à déterminer des nouvelles paires pour toutes les bornes de toutes les valeurs peut être répété indéfiniment.

Quoiqu’il en soit, l’important selon les auteurs, est d’avoir une représentation approchée d’une mesure de l’utilité par intervalles qui soit cohérente avec les hypothèses et les axiomes qui en découlent.

Enfin, les auteurs précisent que les équivalences (v), (vi), (vii), (xii) et (xiii) n’ont pas été utilisées pour déterminer les valeurs approchées car ces équivalences impliquaient des comparaisons des paris risqués et de valeurs sûres (a si E*, a si E

*c'est-à-dire a pour sûr). Or, de telles comparaisons constituaient comme on l’a vu

135

Au final, les auteurs sont parvenus à trouver expérimentalement – en partant de deux valeurs posées arbitrairement u (a) et u (b) – quatre quantités de monnaie c, d, f et g dont les utilités pour u (c), u (d) ,u (f) et u (g) sont également espacées sur une échelle d’intervalles et telles que u (f) = -5, u (c) = -3, u (d) = 3 et u (g) = 5 (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p.26).

Parallèlement au processus d’encadrement des quantités monétaires et des utilités, il est possible d’utiliser une méthode similaire pour encadre la probabilité subjective (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p.47).

Les auteurs proposent une « théorie de l’approximation utilisée pour la mesure de la probabilité subjective d’un événement probable E’ dont la probabilité objective est ¼ » (ibid.).

Le point de départ consiste à supposer l’hypothèse usuelle concernant les probabilités :

p (E) + p (Ē) = 1. On considère en outre les valeurs a, b, c, d, f, et g également

espacées sur une échelle d’utilité comme on l’a montré plus haut ainsi que leurs bornes inférieure et supérieure.

L’idée des auteurs est que si une mesure parfaite est possible et que la probabilité subjective qu’un sujet accorde à l’événement E’ est ¼, alors les relations suivantes sont valides :

(15) d, a ≈ (E’) c, b

(16) g, c ≈ (E’) a, a

(17) f, d ≈ (E’) b, b.

Mais comme nous ne pouvons avoir accès à la relation d’équivalence – comme on l’a expliqué plus haut – nous devons comme pour les utilités faire une approximation de cette relation.

A partir de (15) il est possible de trouver une quantité a’ telle que : (18) dh , a’ ≼ (E’) cl , bl et cl , bl≼ (E’) dh , a’+1

En transcrivant cette écrire sous la forme de l’utilité espérée on obtient : (19) p (E’) u (dh) + [1 - p (E’)] u (a’) ≤ p (E’) u (cl) + [1 - p (E’)] u (bl)

A partir des valeurs trouvées pour u (dh), u (cl) et u (bl) (u (bl) ≤ 1 puisque arbitrairement u (b) = 1), on peut en déduire que :

136 (20) p (E’) ≤ 1-u (a')

7-u (a')

Symétriquement, en utilisant

(21) ch, bh ≼ (E’) dl , a’’ et dl , a’’- 1 ≼ (E’) ch, bh On en déduit :

(22) 1-u (a'')

7- u (a'') ≤ p (E’) D’où l’on tire :

(23) 1-u (a'')

7- u (a'') ≤ p (E’) ≤

1- u (a') 7- u (a')

Il ne reste qu’à déterminer les valeurs de u (a’) et de u (a’’) dont on sait déjà quelles sont fonction de a (les auteurs évoquent la possibilité de procéder à des interpolations linéaires (Davidson, Suppes, Siegel [1957], p. 48).

Il reste à présent à détailler le protocole expérimental (constitué d’une étude pilote et d’un protocole final) pour présenter en suite les résultats de ces expériences.