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LA THÉORIE D’AGENCE ET LA DÉTENTION DE LA TRÉSORERIE

Notre préoccupation ici est de savoir si le niveau de trésorerie détenu par une firme pourrait avoir un lien avec la théorie d’agence (Jensen et Meckling, 1976) entre le dirigeant (agent) et l’actionnaire (le principal). Le problème fondamental ici tel que nous verrons est l’absence de symétrie de l’information et les coûts d’agences liés aux intérêts parfois conflictuels entre agent et principal.

2.8.1. L’asymétrie de l’information et le coût du capital

La décision de retenir de la trésorerie pourrait dépendre de la difficulté d’accès et du coût des fonds externes. Opler et al. (1999) affirment que selon les prévisions de la relation d’agence, les coûts de collecte de fonds externes augmentent lorsque les titres vendus sont très sensibles à l’information et lorsque l’asymétrie de l’information est plus importante. Ils affirment que l’asymétrie de l’information rend difficile la collecte de fonds à l’externe. Les investisseurs externes veulent être sûrs que la valeur des titres achetés n’est pas surévaluée et les escomptent adéquatement. Puisque les investisseurs externes connaissent moins les activités que les gestionnaires internes, leur escompte peut être sous-évalué sur la base de l’information présentée par les gestionnaires. En effet, les investisseurs pourraient exiger un escompte si important qu’il pourrait être plus profitable pour les gestionnaires de ne pas vendre le titre et de plutôt retenir de la trésorerie à l’interne ou réduire l’investissement anticipé.

Ces prévisions nous semblent compréhensibles puisque nous avons déjà évoqué le caractère incomplet de l’information utilisée dans la prise de décision et de même, le caractère conflictuel des intérêts des gestionnaires et des actionnaires a été bien documenté (Jensen et Meckling, 1976). Le coût du capital augmente parce que les investisseurs vont exiger un rendement plus élevé pour compenser ce déséquilibre dans la structure de l’information. La nature de la relation entre gestionnaire et investisseur va influencer la prime ou l’escompte de liquidité qui sera liée à la trésorerie retenue.

2.8.2. La relation d’agence et le niveau de la trésorerie détenu

La théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976) pourrait contribuer à expliquer pourquoi les entreprises ne détiennent pas toujours le niveau de trésorerie qui maximise la valeur pour les actionnaires, et aider à identifier les entreprises qui sont plus susceptibles de détenir beaucoup plus de trésorerie. Le courant rationnel de la finance suppose, comme le dit Opler, et al. (1999), que le gestionnaire qui maximise la valeur

pour l’actionnaire doit détenir un niveau de trésorerie tel que le bénéfice marginal et le coût marginal de la trésorerie détenue soient égaux. Ces théories financières qui sont en toile de fond et que véhiculent la rationalité économique sont, comme le mentionne Diemer (2011) de nature normative dans la mesure où les équilibres ne sont pas ce qui est, mais ce qui doit être. La question de savoir si les gestionnaires détiennent plus ou moins de trésorerie dans la perspective de maximisation de l’utilité pour les actionnaires mérite qu’on s’y attarde de plus près. En réalité disent Opler et al, (1999), les gestionnaires et les actionnaires ont en général des perspectives différentes des coûts et des bénéfices de la rétention de la trésorerie.

2.8.2.1. La perspective d’agent ou des gestionnaires

Opler et al. (1999) mentionnent que les gestionnaires ont une plus grande préférence pour la trésorerie parce que cette liquidité disponible sans contrainte permet de réduire le risque de sous financement pour l’entreprise et d’augmenter le pouvoir discrétionnaire des gestionnaires dans la prise de décision et les choix d’investissement, en l’absence du droit de regard des pourvoyeurs de fonds le cas échéant. La liquidité accumulée par les gestionnaires sert de précaution face au coût, au contrôle ou à la rigueur qui s’impose si les gestionnaires avaient eu recourt au financement externe.

Harford (1999) dans une étude sur la relation entre la politique d’investissement et le niveau de trésorerie a constaté que les dirigeants des entreprises avec un excès de trésorerie avaient tendance à réaliser plus d’acquisitions, que leurs acquisitions étaient plus des acquisitions de diversification, et qu’elles étaient plus susceptibles de diminuer la valeur pour les actionnaires.

2.8.2.2. La perspective du principal ou des actionnaires

Dans la perspective des actionnaires, Opler et al. (1999) pensent que l’excédent de liquidité qui ne maximise pas leur valeur devrait leur être redistribué soit à travers le

paiement de dividendes ou de rachat d’actions. La présence de liquidité qui donne plus de pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires à leur détriment irait à l’encontre du principe de délégation qui voudrait que les agents prennent les décisions pour le compte et dans l’intérêt unique du principal. En effet, selon la théorie de la relation d’agence, les gestionnaires ne sont simplement que les mandatés des actionnaires (Jensen et Meckling, 1976). Les décisions qui serviraient plus les intérêts des gestionnaires que ceux des actionnaires pourraient nuire à l’objectif de création de la valeur selon cette perspective.

2.8.3. Conclusion sur relation d’agence

À cause de ces conflits dans la nature de la relation entre les parties (agent et principal), l’entreprise qui est ici dépersonnalisée, serait un ensemble de contrats entre les groupes aux intérêts divergents (actionnaires, gestionnaires, employés, créanciers, etc.) ayant des désirs et besoins différents à l’égard des risques et rendements. Dans une optique rationnelle, selon Horrigan (1987) et Opler et al. (1999), l’absence de la prise en compte des conflits possibles dans la relation entre agent et principale cause des écarts comportementaux ou de rendement par rapport aux prévisions de la théorie. Malgré l’impression d’équilibre dans la relation, ces écarts peuvent d’ailleurs persister à cause du phénomène de sujétion (Morin et al. 1996) qui, rappelons-le, stipule que lorsqu’il y a partage d’intérêt entre les parties, que ces intérêts soient partiellement communs ou incompatibles, la relation ne sera stabilisée que si une des parties prend l’ascendance sur l’autre.

Les coûts d’agence, qui n’auraient pas existés n’eut été le caractère conflictuel et divergents des intérêts des partie prenantes, peuvent contribuer à creuser le fossé entre le prix et la valeur fondamentale et donc l’écart entre les prévisions des modèles classiques en finance et les observations que des auteurs béhavioristes comme Ritter (2002) qualifient d’anomalies. Les actions visant à juguler ces conflits entre agents peuvent être très coûteuses et réduire significativement la valeur totale de l’entreprise

et par ricochet la valeur spécifique des actions, accentuant ainsi l’écart observé entre le prix et la valeur. Au sens d’Aktas (2004), la persistance de cet écart serait le fait d’une vision statique perpétuée par les modèles historiques du courant dominant en finance avec une perspective traditionnelle rationnelle de la relation d’agence où les parties (agents et principales) se livrent à un jeu de domination où le bonheur des uns fait le malheur des autres. Dans la vision dynamique de l’entreprise, à travers les relations d’agences, les parties reconnaissent que le bien-être individuel dépend du succès du groupe. Selon nous, dans vision dynamique de la relation d’agence, le niveau optimal de la trésorerie correspondrait au seuil de liquidité contribuant de façon satisfaisante au succès du groupe des parties prenantes.