• Aucun résultat trouvé

2.7. LA RÉTENTION DE LA TRÉSORERIE ET LA PERCEPTION DU RISQUE

2.7.2. Le risque

2.7.2.1. Généralités sur le risque

Selon Maurer (2005), le risque correspond à une situation dont l’issue n’est pas totalement maîtrisée par son initiateur et qui peut en conséquence réserver des surprises tout autant fâcheuses que plaisantes. Bertrand et St-Pierre (2011) abondent dans ce sens en affirmant que le risque c’est la possibilité que les résultats attendus à la suite d’une décision (comme celle de la rétention de la trésorerie) ne se réalisent pas comme prévus et génèrent des conséquences indésirables à son initiateur. Cependant, il ne semble pas avoir un consensus dans la littérature en ce qui concerne la conceptualisation du risque notamment à en ce qui a trait au rapprochement avec à la notion d’incertitude et d’attitude face à la perception du risque.

2.7.2.2. Les paradigmes de recherche dans la conceptualisation du risque Selon Broihanne et al. (2005), Bertrand et St-Pierre (2011), deux paradigmes s’opposent en matière de conceptualisation des risques : un courant positiviste selon lequel le risque serait objectif et son analyse pouvant se faire par le biais de modèles normatifs probabilistes et quantitatifs; un courant constructiviste selon lequel le risque serait subjectif (approche empirique mettant en lumière les mécanismes psychologiques). Si nous nous penchons plus du côté subjectif, nous apprécions le rôle central de l’évaluateur dans le processus d’évaluation des risques qui est un acteur non indépendant influençant le processus et les résultats. Selon le courant objectif, l’impact de la décision de rétention de la trésorerie sur la création de la valeur serait probabilisable et quantifiable à l’aide des modèles financiers normatifs alors que cet impact serait plutôt relatif selon la perception individuelle des investisseurs sujet à biais comportementaux dans le courant subjectif.

À cause de l’incertitude et la turbulence qui caractérise le monde des affaires qui devient de plus en plus complexe, St-Pierre et al. (2011) affirment qu’on ne peut pas dissocier l’attitude face au risque du processus d’évaluation du risque compte tenu de l’importance de la subjectivité des individus, contrairement à la tendance dans l’approche objective. L’incertitude et la turbulence augmentent les critiques à l’égard des modèles traditionnels rationnels dominants fondés sur l’objectivité. Malgré une bonne audience auprès des analystes financiers et des praticiens, Sicotte et al. (1999) font observer que de nombreuses critiques ont été formulées à l’égard de cette conception plutôt rationnelle qui ne tient pas compte de l’évolution de la perception et des difficultés de la conceptualisation des organisations et de leur but qui demeurent la plupart du temps multiples et souvent intangibles. Reconnaissons que même si ces critiques contribuent à donner un grand écho à une conceptualisation plus subjective du risque, si nous nous fions au principe de sélectivité des mécanismes selon Morin et al. (1996), il serait difficile de normaliser les facteurs influençant l’attitude face au risque afin d’arriver à un consensus sur un modèle de normalisation du risque subjectif (comme c’est le cas dans l’approche objective), chaque individu ayant sa propre perception et ses valeurs. Au demeurant, pour Bertrand et St-Pierre (2011), l’évaluation sera fonction entre autres du jugement, de l’expérience, de l’attitude, de la perception, de la capacité à prédire l’ensemble des scénarios futurs et de la perception des facteurs influençant l’environnement des affaires.

2.7.2.3. Le processus d’évaluation du risque et l’incertitude

Une zone d’ombre existe dans la littérature en ce qui concerne la prise en compte de l’incertitude dans la conceptualisation du risque. A cet effet, alors que pour Maurer (2005) la notion de risque est proche de celle d’incertitude, pour St-Pierre et al. (2014), l’incertitude est une notion complexe qui se démarque de la notion de risque. En effet pour St-Pierre et al. (2014) « on parle de risque quand il y a possibilité d’attribuer des probabilités aux conséquences de chacune des alternatives envisagées et d’incertitude lorsqu’il est impossible de leur en attribuer définitivement ». Aux dires de St-Pierre et

al (2014), l’incertitude justifierait la difficulté à prendre une décision voire l’absence de prise de décision à cause du doute, de l’hésitation, de l’indécision ou de la procrastination dans la décision qu’elle induit, influençant par le fait même la création de valeur (décision de rétention de la trésorerie, développement de nouveau marché, innovation).

Pour mieux mettre en évidence la démarcation entre le risque et l’incertitude, St-Pierre et al. (2014) ont réalisé une étude visant à comprendre pourquoi certains propriétaires d’entreprise se limitent aux marchés plus restreints ou innovent moins surtout dans le contexte de transformation de l’économie mondiale d’une économie de ressources à celle de la connaissance. Cette transformation de l’économie a permis l’amélioration des moyens de production dans les pays émergents et les nouvelles technologies de l’information et de communication. Cette limitation aux marchés plus restreints et moins lucratifs est d’autant plus questionnable lorsque nous savons qu’une partie des dépenses en innovation ou certains investissements visant les opportunités qu’offrent certains marchés à plus forte croissance sont subventionnés par les aides publiques à travers les crédits directs ou indirects. Pour comprendre cette réticence à l’expansion vers les marchés plus porteurs, St-Pierre et al. (2014) nous apprennent que la propension aux risques des agents économiques serait une piste d’explication. En effet dans le processus de prise de décision, chaque décideur a sa propre perception de l’environnement des affaires. Cette perception est teintée par les traits comportementaux intrinsèques à chaque décideur. Ainsi, l’attitude de chaque décideur face à l’incertitude va donc influencer sa capacité à prendre les décisions risquées. Si nous faisons un rapprochement avec notre thème de recherche, il est plausible de penser que la décision des investisseurs (évaluation de la trésorerie détenue - à prime ou à escompte) ou des dirigeants (rétention ou non de la trésorerie) dépendra de leur attitude ou perception face au risque qui serait influencée par les traits comportementaux intrinsèques et variant d’un agent à l’autre. À cause de la subjectivité, les modèles normatifs en finance pourraient ne pas être totalement adaptés pour tenir compte de l’impact de la subjectivité associé aux comportements individuels.

Le processus de la prise de décision serait ainsi fortement influencé par les contraintes et incertitudes de l’environnement des affaires. Pour St-Pierre et al (2014), alors que l’incertitude objective pourrait être une caractéristique immuable du contexte dans lequel évolue l’entreprise, l’incertitude subjective résulte de l’incapacité des individus à prévoir, avec une certaine précision, les changements, les évènements à venir et les conséquences sur eux ou sur leur organisation. Selon Milliken (1987), l’incertitude subjective pourrait se décomposer en trois volets:

a) L’incertitude quant à l’état qui réfère à l’incapacité à prévoir les changements dans l’environnement d’affaires;

b) L’incertitude quant à l’effet est l’incapacité à savoir les conséquences qu’auront les changements de l’environnement;

c) L’incertitude quant à la réponse qui est l’incapacité à savoir quelles sont les réponses à apporter à ces changements et les conséquences de chacune d’elles. 2.7.2.4. Les perceptions et le processus d’évaluation du risque

Face à l’information limitée et imparfaite par rapport à la décision des dirigeants d’une entreprise de retenir de la trésorerie, l’incertitude qui en résulte accroît l’importance de la perception du risque pour l’investisseur à l’égard de l’entreprise concernée. À cause de l’asymétrie de l’information, face à la décision de rétention de la trésorerie, les risques inhérents qu’identifieront les dirigeants pourraient diverger de ceux que percevront les investisseurs externes ayant leur propre attitude. D’ailleurs Bertrand et St-Pierre (2011) en citant Hillson et Murray-Webster (2005) affirment que même si les dirigeants et les investisseurs étaient soumis aux mêmes informations à l’égard de la rétention de la trésorerie comme pour toute autre décision, il semblerait que ces derniers n’identifieront pas les mêmes risques à cause de l'attitude individuelle face à leur perception du risque qui peut être ou non réfractaire. Ainsi, les agents réfractaires au risque seraient plus sensibles aux menaces et verraient les risques partout tandis que

les agents preneurs de risque pourraient négliger certaines menaces et ignorer certains dangers pour la création de la valeur que pourraient engendrer certaines décisions. Pour Bertrand et St-Pierre (2011), certains facteurs sociodémographiques tels que l’âge, l’éducation, le genre, le niveau de revenu, l’expertise, l’expérience, etc. influenceraient l’attitude face au risque. Par exemple, une personne ayant une expertise financière pourrait mieux analyser les risques financiers qu’une personne non avertie n’ayant ni cette expertise ni une expérience adéquate. Hirshleifer (2001) et Broihanne et al (2005) indiquent que l’incertitude va aussi pousser les individus à faire recourt à des règles simplifiées (choix heuristiques) dans leurs processus de prise de décision pouvant ainsi créer des déviations par rapport aux préceptes de rationalité ou d’objectivité. En outre, les perceptions individuelles ou collectives de même que les contraintes au niveau des ressources cognitives vont aussi forcer l’usage des simplifications heuristiques pour la prise de décision. Pour Hirshleifer (2001), la complexité de l’environnement actuel tout en favorisant de telles simplifications, semble aussi être à la base de plusieurs déviations observées par rapport aux prévisions des modèles financiers fondés sur la rationalité. Certaines déviations pourraient aussi se justifier par les mauvaises perceptions.

Selon Hirshleifer (2001), les mauvaises perceptions sont d’ordre idiosyncratique et systématique. Les erreurs d’évaluation idiosyncratiques (en rapport avec l’être évaluateur) auxquelles nous faisons le lien avec l’incertitude subjective selon St-Pierre et al. (2014), sont très répandues et liées au style ou au comportement. Ritter (2002) indique que ces erreurs idiosyncratiques dont personne n’est immunisée ne deviennent apparentes qu’ex post. Les biais systématiques auxquelles nous faisons le lien avec l’incertitude objective selon St-Pierre et al. (2014) sont basés sur les erreurs du système de décision (en rapport avec l’objet de l’évaluation ou le contexte dans lequel évolue l’entreprise). Pour Hirshleifer (2001), ces biais systématiques sont communs à la plupart des gens et prévisibles en fonction de la nature du problème de décision. Nous transigeons en nous fondant sur nos perceptions d’information que nous jugeons supérieures. Dans l’optique d’avoir accès à l’information privilégiées, les investisseurs

(rationnels ou irrationnels) achètent les prévisions macroéconomiques (ce qui entraine les coûts de l’information). S’ils font une mauvaise interprétation des informations, ils feront des erreurs systématiques, en plus des erreurs dites idiosyncratiques qui sont intrinsèques à tout être humain. Selon St-Pierre et al. (2014), il semblerait que les modèles actuels d’évaluation des risques sous-évaluent l’importance des risques systématiques extrêmes (en termes d’ampleur et de conséquence) qui sont habituellement considérés comme peu probables alors que ces évènements extrêmes entraînent les pertes les plus importantes contribuant à considérer comme possible les éléments jadis impensables dans les prévisions des analystes. Par exemple, le risque qu’un avion vienne percuter une tour du World Trade Center était très peu probable et donc négligé, toutefois l’ampleur des conséquences sur le monde entier d’un tel incident quand il survient est très significatifs.