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Notre recherche se fonde sur la prémisse selon laquelle décider de retenir de la trésorerie, ce qui peut émettre un signal économique sur le marché, sans s’intéresser à la perception ou aux attentes des analystes financiers face à une telle décision, équivaudrait à décider de produire un bien sur le marché sans tenir compte des habitudes de consommation des clients. Rappelons que pour Myers et Rajan (1998), les actifs liquides représentent un paradoxe tant en gestion qu’en recherche. Myers et Rajan (1998) mentionnent que même s’il est en général plus facile d’obtenir du financement externe lorsque l’on détient des actifs plus liquides ou même s’il est admis que plus les actifs d’une entreprise sont liquides, plus grande est leurs valeurs dans la perspective d’une liquidation à court terme, il n’en demeure pas moins vrai que de tels actifs liquides peuvent être perçus comme donnant aux emprunteurs (internes à l’entreprise) plus de liberté discrétionnaire pour agir contre les intérêts des pourvoyeurs de fonds (externes à l’entreprise). Les pourvoyeurs de fonds pour se protéger de ce pouvoir discrétionnaire des emprunteurs (gestionnaires internes) pourraient alors escompter la valeur de la trésorerie retenue, contribuant ainsi à réduire la VEA pour l’entreprise.

Nous constatons également que les modèles classiques dominants d’évaluation de la VEA, en accordant une place prépondérante à la rationalité économique des agents ou aux préceptes d’efficience des marchés, ne tiennent pas toujours bien compte de l’impact du signal qu’émet sur le marché la rétention de la trésorerie ou l’impact des perceptions subjectives des analystes financiers qui sont pourtant la partie évaluatrice de la performance financière des organisations. Certains biais comportementaux qualifiés d’anomalies pourraient créer des écarts ou inefficiences entre la valeur fondamentale selon les modèles d’évaluation et les observations réelles comme le prix observé, la prime ou l’escompte de liquidité.

Malgré certaines avancées en finance qui suggèrent que les modèles d’évaluation de la valeur ajoutée soient à l’image des organisations aux conceptions multiples telles que définis par les travaux de Morgan (1999), il faut dire que même les modèles plus évolués d’évaluation de performance sont souvent pensés, développés et proposés par les chercheurs ou les acteurs en s’inspirant de leurs propres perceptions, croyances, préférences ou compréhension des besoins ou attentes des analystes financiers. Les modèles d’évaluation de la performance ainsi conçus selon les seuls préceptes de rationalité financière (Fama et French, 2008) ou l’approche actuelle de développement de modèles plus évolués plutôt par les experts ou les parties non-évaluatrices ne semblent pas totalement répondre aux attentes des investisseurs (Debondt et al, 2008) à en croire certains mouvements de contestation du système financier (Le boucher, 2012) ou des situations de sur ou sous-évaluation16 voire des crises sur les marchés boursiers.

À notre connaissance, les modèles d’évaluation de la performance inhérents du sens qu’ont les analystes financiers eux-mêmes de la performance financière qui s’inspirent des préceptes du signal sont très rares ou très peu de données empiriques découlant de tels modèles existent. Par exemple, Powell et Baker (2010) ont étudié la perception plutôt des chefs de la direction financière (CFO) par rapport aux déterminants de la rétention de la trésorerie, faisant ainsi abstraction de la partie évaluatrice que représentent les analystes financiers. Par ailleurs, les connaissances semblent très limitées quant aux i) déterminants fondamentaux de la variation du niveau d’actifs liquides perçus par les analystes financiers qui justifient ou se reflètent dans l’escompte ou la prime de liquidité ou ii) les facteurs qui font varier la VEA selon les modèles courants d’évaluation de performance et qui ne seraient pas corrélés avec les variations de prix telles qu’observées sur le marché. Une étude qui s’intéresse à la réaction des analystes financiers pourrait contribuer à mieux faire comprendre le processus humain

de prise de décision sujet à des inefficiences (Robson, 2002) selon la perspective de la partie évaluatrice.

Alors que les analystes financiers en tant que partie évaluatrice peuvent se protéger en escomptant même significativement la valeur de la trésorerie détenue s’ils jugent son niveau non optimal ou disproportionné, cette situation laisse les gestionnaires quant à eux sans repère fiable auquel ils pourraient se référer pour signaler leurs qualités ou intentions inobservables à travers les publications financières sur leur performance. Pourtant, selon les suggestions de la théorie du signal (Connelly et al, 2011), si certaines qualités intrinsèques ou intentions inobservables étaient perçues et prises en compte par les analystes financiers, elles pourraient avoir une signification, une valeur ou répondre aux attentes de ces derniers en termes de critères de performance, contribuant ainsi à une évaluation à leur juste valeur de la trésorerie retenue et la prime ou l’escompte de liquidité associés, et par ricochet, à une amélioration de l’évaluation de la juste valeur de la VEA.

Dans la perspective de capter et d’émettre un signal valorisable par le marché en termes de création de VEA et d’évolution du prix des titres, l’objectif de notre recherche est donc de mieux comprendre la perception des analystes financiers à l’égard des déterminants de la rétention de la trésorerie dans leur processus d’évaluation de la performance.