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Chapitre 1. Introduction

1.2. Carcinome de l’ovaire

1.2.7. Avenues thérapeutiques potentielles

1.2.7.2. Thé vert

Compte tenu des limitations des thérapies standards et ciblées, d’autres alternatives se doivent d’être envisagées. Parmi celles-ci, on identifie un traitement potentiel pour lequel l’intérêt scientifique grandit, passant de moins de 10 articles par année répertoriés sur PubMed en 1990 à 100-150 articles par année depuis 2010 : le thé vert. Plusieurs raisons biologiques sous-tendent cet intérêt, les résultats des études épidémiologiques corroborant les résultats des études in vitro et in vivo.

Le thé est le deuxième breuvage le plus consommé au monde, et ce depuis les temps les plus anciens. Les différents traitements des feuilles de camellia sinensis avant leur infusion détermine le type de thé qui sera obtenu. Alors que le thé noir provient de feuilles fermentées, ce qui mène à l’oxydation des polyphénols, le thé vert provient de feuilles traitées à la vapeur, ce qui préserve l’intégrité de ces polyphénols (Thakur, Gupta et al. 2012). Pour sa part, le thé oolong se situe entre le thé noir et le thé vert (Thakur, Gupta et al. 2012). De tous les thés, le thé noir est le plus consommé (80% de la production mondiale), suivi du thé vert (20%) et du thé oolong (2%) (Thakur, Gupta et al. 2012). Par contre, le thé vert est celui qui contient le plus de catéchines, les éléments actifs suggérés du thé (Singh, Shankar et al. 2011; Thakur, Gupta et al. 2012). Le thé vert contient des catéchines (30-42%), des flavonols (5-10%) et d’autres flavonoïdes (15,5-20,5%) (Thakur, Gupta et al. 2012). L’(-)-épigallocatéchine-3-gallate (EGCG), représente 50-65% de toutes les catéchines du thé vert (Singh, Shankar et al. 2011; Thakur, Gupta et al. 2012). Les autres catéchines majeures sont l’(-)-épicatéchine-3-gallate (ECG), l’(-)-épigallocatéchine (EGC) et l’(-)-épicatéchine (EC).

1.2.7.2.1. Thé vert et cancers

Les études in vitro et in vivo peuvent fournir des indications sur l’efficacité du thé vert dans le traitement du cancer. Dans plusieurs lignées cellulaires, l’EGCG induit un arrêt du cycle cellulaire via la modulation de protéines telles que p53, Rb, les cyclines et les kinases dépendantes des cyclines (Singh, Shankar et al. 2011; Thakur, Gupta et al. 2012). De plus, l’EGCG induirait l’apoptose, entre autres via la modulation de la p53 et des caspases (Russo, Spagnuolo et al. 2010; Singh, Shankar et al. 2011; Thakur, Gupta et al. 2012). Outre l’effet du thé vert sur le cycle cellulaire et l’apoptose, bien d’autres protéines ayant un rôle majeur dans le cancer sont modulées par l’EGCG. On rapporte notamment des effets sur le VEGF, sur la voie de signalisation du facteur de croissance de l’insuline (IGF), sur le facteur de croissance tumoral β2 (tumor growth factor- β2, TGF-β2) ainsi que sur les MMPs (Russo, Spagnuolo et al. 2010; Singh, Shankar et al. 2011; Thakur, Gupta et al. 2012). Ces effets ont été montrés dans plusieurs types de cancers (Singh, Shankar et al. 2011; Thakur, Gupta et al. 2012). Les effets du thé vert et de ses composantes – l’EGCG étant la plus étudiée – semblent donc vastes et toucher plusieurs éléments clés du cancer. Aussi, quelques études orientent aussi vers l’effet cumulatif des différentes catéchines (Bode and Dong 2009).

Chez l’humain, l’intérêt pour le thé vert se situe à deux pôles de l’oncologie : la prévention et le traitement. Une revue systématique de Cochrane conclut que les évidences ne sont pas suffisantes pour recommander la consommation du thé vert en prévention du cancer, mais que ce breuvage n’est pas toxique (Boehm, Borrelli et al. 2009). Cette étude incluait un seul essai clinique randomisé, portant sur la prévention du cancer de la prostate (Bettuzzi, Brausi et al. 2006). Cet essai randomisé à double insu a exposé 30 hommes avec des lésions prénéoplasiques (néoplasie intraprostatique de grade élevé) à des doses quotidiennes d’extraits de thé vert en gélules (600 mg/jour) et les a comparé à 30 hommes avec des lésions prénéoplasiques exposés à un placebo (Bettuzzi, Brausi et al. 2006). Au terme de cet essai clinique (un an de suivi), 30% des hommes du bras placebo ont été diagnostiqués avec un cancer de la prostate, contre 3% des hommes dans le bras traitement (Bettuzzi, Brausi et al. 2006). Deux ans après l’arrêt des traitements, cette différence était maintenue (Brausi, Rizzi et al. 2008). Des résultats similaires ont été obtenus dans des essais cliniques testant l’effet du thé vert sur des polypes gastro-intestinaux (Shimizu, Fukutomi et al. 2008) et des lésions prénéoplasiques de la sphère ORL (Tsao, Liu et al. 2009). De façon générale, le petit nombre d’études expérimentales et les limites méthodologiques des études épidémiologiques rendent ardue la tâche de confirmer ou d’infirmer les effets de la consommation du thé vert sur l’incidence du cancer. Compte tenu du nombre restreints d’études expérimentales, l’efficacité du thé vert à diminuer la survenue de cancers reste à être démontrée.

1.2.7.2.2. Thé vert et carcinome de l’ovaire

Les effets du thé vert sur le carcinome de l’ovaire ont récemment fait l’objet d’une revue de littérature systématique menée par notre équipe (Trudel, Labbé et al. 2012) (Chapitre 2.1). Vingt-deux articles, incluant cinq études épidémiologiques, ont été répertoriés. Brièvement, selon les données résumées dans la revue de littérature, le thé vert et ses composantes diminuent l’expression de protéines impliquées dans l’inflammation, la signalisation cellulaire, la motilité cellulaire et l’angiogenèse dans différentes lignées cellulaires de carcinome de l’ovaire. Le thé vert et ses composantes induiraient l’apoptose et potentialiseraient l’effet du cisplatin, un agent chimiothérapeutique. Les études d’observation chez l’humain rapportent une réduction de l’incidence du carcinome de l’ovaire chez les femmes consommant du thé vert. Une étude d’observation chez l’humain suggère une amélioration du pronostic associé au carcinome de l’ovaire chez les femmes consommant du thé vert après leur diagnostic. Depuis la publication de cette revue, une autre étude épidémiologique est parue (Lee, Su et al. 2013). Cette étude rapporte une réduction de l’incidence du carcinome de l’ovaire chez les femmes consommant du thé vert (Lee, Su et al. 2013).

Les études in vitro et in vivo ont évalués plusieurs aspects de l’effet du thé vert sur le carcinome de l’ovaire. Les concentrations inhibitrices médianes (IC50) de la croissance cellulaire par l’EGCG ont été mesurées dans

14 lignées cellulaires ovariennes. Deux de ces lignées cellulaires ont été étudiées dans plusieurs laboratoires et les IC50 obtenues pour chacune des lignées sont comparables (Trudel, Labbé et al. 2012). Certaines études

ne montrant pas de différence significative, conduites sur une courte période, soulignent l’importance du schéma thérapeutique (Trudel, Labbé et al. 2012). Par exemple, des doses allant jusqu’à 50µM d’EGCG mais pour une courte durée d’exposition de 20 heures n’ont pas été efficaces pour inhiber la croissance des cellules SKOV3 (Yin, Henry et al. 2009). Outre l’EGCG, l’ECG aurait aussi des propriétés inhibitrices sur des lignées cellulaires de carcinome de l’ovaire (Ravindranath, Saravanan et al. 2006). L’apoptose induite par les composantes du thé vert pourrait être à la base de l’inhibition de la croissance des lignées cellulaires de carcinome de l’ovaire, mais de plus amples études sont nécessaires pour le confirmer (Trudel, Labbé et al. 2012). On suggère aussi que les effets de l’EGCG pourraient être médiés par un arrêt du cycle cellulaire (Chen, Landen et al. 2013a, b). Les effets de l’EGCG et du thé vert sur les protéines et leur ARNm semblent aussi être multiples et vastes. On rapporte des effets sur des protéines ayant un effet majeur sur la biologie du carcinome de l’ovaire, notamment l’ET-1 et le VEGF (Trudel, Labbé et al. 2012). À notre connaissance, il n’y a qu’une étude rapportant les effets du thé vert in vivo sur le carcinome de l’ovaire (Spinella, Rosano et al. 2006b). Dans cette étude, on rapporte que les tumeurs injectées à des souris « nues » buvant du thé vert étaient à la fois plus petites, moins vascularisées et moins prolifératives que les tumeurs des souris « nues » buvant seulement de l’eau (Spinella, Rosano et al. 2006b). De façon générale, les études in vitro et in vivo s’intéressant aux effets du thé vert et de ses composantes sur le carcinome de l’ovaire corroborent les études menées dans d’autres types de cancers.

Les études épidémiologiques montrent que la consommation du thé vert semble associée à une diminution de l’incidence du carcinome de l’ovaire. Les résultats de la méta-analyse la plus récente suggèrent que la consommation de thé vert est associée à une diminution de l’incidence du carcinome de l’ovaire (rapport de cotes (RC) : 0,66; IC à 95% : 0,54-0,80) (Butler and Wu 2011). Depuis la publication de cette méta-analyse, l’équipe de Binns a publié une étude cas-témoin évaluant l’association entre la consommation de thé (dont 60% était du thé vert) et l’incidence du carcinome de l’ovaire dans une province du Sud de la Chine (Lee, Su et al. 2013). Les résultats obtenus étaient similaires à ceux d’une de leur étude antérieure portant sur la même question, mais dans une autre province de la Chine (Zhang, Binns et al. 2002). Lee et al rapportent que la consommation de thé vert est associée à une diminution de l’incidence du carcinome de l’ovaire (consommation versus absence de consommation, RC ajusté : 0,29; IC à 95% : 0,22-0,39) (Lee, Su et al. 2013). Dans une étude de cohorte rétrospective incluant 244 femmes, les femmes qui buvaient du thé vert après un diagnostic de carcinome de l’ovaire avaient une meilleure survie à 3 ans (consommation versus absence de consommation, HR ajusté : 0,43; IC à 95% : 0,20-0,92) (Zhang, Lee et al. 2004). Dans cette

étude, la consommation du thé vert a été associée à une amélioration de 50% de la survie à 18 mois (Zhang, Lee et al. 2004).

Alors que le thé vert semble associé à des propriétés anticancéreuses, il faut se questionner sur l’applicabilité de son utilisation en clinique, notamment en ce qui concerne sa biodisponibilité et sa tolérabilité. Consommés par voie orale, l’EGCG et l’ECG se retrouvent dans le plasma sous forme libre (Chow, Hakim et al. 2005). Après l’ingestion de 800 mg (1,75 mmol) d’EGCG, la concentration plasmatique maximale observée était de 438,5 ± 284,4 ng/mL (environ 1mM) (Chow, Cai et al. 2001). L’EGCG consommée par voie orale est mieux absorbée chez les sujets à jeun (Chow, Hakim et al. 2005). La demi-vie plasmatique de l’EGCG est d’environ 4 heures (Chow, Cai et al. 2003). Toutefois, il faudrait boire de 1 à 1,5 L de thé vert par jour pour obtenir des effets antinéoplasiques (Moyers and Kumar 2004). Dans les études d’observation menées dans des populations asiatiques, ces quantités sont souvent ingérées, mais elles ne le sont que très rarement dans les études menées dans des populations nord-américaines (Boehm, Borrelli et al. 2009). Par ailleurs, deux études de phase I ont démontré que les doses maximales d’extraits de thé vert tolérées étaient de 2,5 à 3 g/m2, ce

qui incluait un apport quotidien d’environ 650 mg d’EGCG (Pisters, Newman et al. 2001; Laurie, Miller et al. 2005). Les effets secondaires rapportés étaient similaires aux effets secondaires rapportés par les sujets ayant consommé un placebo (Chow, Cai et al. 2003). Quand les effets secondaires étaient présents, ils étaient pour la plupart de grade 1 et incluaient des ballonnements abdominaux, des douleurs à la gorge, des nausées, de l’insomnie, des paresthésies et des palpitations (Pisters, Newman et al. 2001). Ces effets ont été principalement attribués à la caféine (Pisters, Newman et al. 2001).

Selon les données de biodisponibilité et de tolérabilité, il semble plausible que les effets observés dans les études conduites avec des lignées cellulaires puissent être reproduits chez l’humain. Par ailleurs, certaines études orientent aussi vers l’effet cumulatif des différentes catéchines (Bode and Dong 2009). Le thé vert entier serait donc plus prometteur que des gélules d’EGCG pur. Le thé vert entier aurait l’avantage d’être un produit disponible, peu dispendieux et non toxique qui pourrait être utilisé dans une étude clinique. Il nous semble toutefois peu pratique d’offrir quotidiennement 1,5 L de thé à un humain dans le cadre d’une étude, puisque cette quantité de liquide nous apparaît incompatible avec un mode de vie nord-américain. Or, une équipe de chercheurs de l’université Laval a développé et breveté une technique d’infusion du thé vert menant à une boisson enrichie en catéchines et à faible teneur en caféine (Labbé, Araya-Farias et al. 2005; Labbé, Tremblay et al. 2006; Labbé, Têtu et al. 2008). Le thé vert ainsi obtenu a un contenu en catéchines qui varie peu dans le temps lorsque conservé à 4oC (Labbé, Têtu et al. 2008; Bazinet, Araya-Farias et al. 2010). Ce thé

vert, appelé thé vert double infusion (double-brewed green tea, DBGT), nous semble une façon prometteuse de mesurer les effets du thé vert chez les femmes atteintes d’un carcinome de l’ovaire.