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Chapitre 1. Introduction

1.2. Carcinome de l’ovaire

1.2.8. Avenues pronostiques potentielles

1.2.8.1. Métalloprotéases de la matrice extracellulaire

Les métalloprotéases de la matrice extracellulaire (MMPs) ont été identifiées il y a déjà plusieurs décennies (Gross and Lapiere 1962). Depuis, une vingtaine de MMPs ont été caractérisées, toutes possédant un domaine catalytique dépendant des ions zinc pour leur fonction (Figure 1–6) (Sternlicht and Werb 2001; Roy, Yang et al. 2009). Les MMPs sont sécrétées sous forme de zymogène : elles ont un pré-domaine qui dirige leur synthèse vers le réticulum endoplasmique rugueux et qui en font des protéines sécrétées. Entre le pré- domaine et le domaine catalytique des MMPs se trouve le pro-domaine, la portion de la protéine qui maintient l’enzyme inactive jusqu’à ce que ce peptide soit retiré ou modifié pour activer la protéine (Sternlicht and Werb 2001). Six des MMPs ont aussi un domaine qui rend les protéines transmembranaires (Sternlicht and Werb 2001). Une fois actives, les MMPs dégraderont ensemble toutes les protéines de la matrice extracellulaire et libéreront des facteurs de croissance liés à la matrice (Sternlicht and Werb 2001; Gialeli, Theocharis et al. 2011). Notamment, les gélatinases MMP2 et MMP9 dégradent le collagène de type IV, le collagène formant les membranes basales limitant les épithéliums bénins et disparaissant dans les épithéliums malins, ou carcinomes (Sternlicht and Werb 2001; Roy, Yang et al. 2009; Gialeli, Theocharis et al. 2011).

Le rôle des MMPs dans le cancer a été largement étudié : avec les mots clés « MMPs » et « cancer », on retrouve 9450 articles sur PubMed (mars 2013). Plusieurs des caractéristiques clés du cancer (Hanahan and Weinberg 2011) dépendent de la modification du microenvironnement tumoral par les MMPs (Roy, Yang et al. 2009; Gialeli, Theocharis et al. 2011). Ainsi, les MMPs influenceront l’invasion tumorale en brisant la barrière physique qu’est le collagène et en dégradant des protéines des jonctions cellulaires, augmenteront la prolifération cellulaire en activant des facteurs de croissance tels les protéines liant le facteur de croissance de l’insuline (insulin growth factor binding proteins, IGFBP) et favoriseront l’angiogenèse en relarguant le VEGF (Roy, Yang et al. 2009; Gialeli, Theocharis et al. 2011). L’activation du facteur de croissance tumoral β (tumor

growth factor- β, TGF-β) par les MMPs module aussi le comportement tumoral à plusieurs niveaux (Roy, Yang

dans plusieurs types de cancer, notamment dans les cancers du sein et de la prostate (Trudel, Fradet et al. 2003; Têtu, Brisson et al. 2006; Trudel, Fradet et al. 2008; Roy, Yang et al. 2009; Trudel, Fradet et al. 2010). Dans le cancer du sein, nous avons montré que l’expression de l’ARNm de MMP14 est un facteur pronostique uniquement lorsque les analyses sont ajustées pour des facteurs pronostiques cliniques (analyses ajustées pour le stade : HR : 1,36; IC à 95% : 1,03-1,81, analyses ajustées pour le stade et deux marqueurs ancillaires : HR : 1,18; IC à 95% : 0,87-1,59) (Têtu, Brisson et al. 2006). Chez 187 hommes atteints d’un cancer de la prostate de stade T3N0-2M0, nous avons montré que l’expression de la MMP2 par >50% des cellules cancéreuses était un facteur pronostique indépendant (analyses ajustées pour le grade, le stade et les niveaux d’antigène prostatique spécifique, HR : 4,27; IC à 95% : 1,77-10,27) (Trudel, Fradet et al. 2003). Dans cette même cohorte, la MMP9 a été associée au grade mais pas au pronostic (Trudel, Fradet et al. 2010) et la combinaison de l’expression de la MMP2 par >10% des cellules stromales avec l’expression de TIMP2 par <10% des cellules stromales a été associée à la récidive du cancer de la prostate (Trudel, Fradet et al. 2008).

Il serait donc intéressant de connaître l’effet pronostique des MMPs sur le carcinome de l’ovaire. La MMP la plus étudiée dans le carcinome de l’ovaire demeure la MMP2, une des deux gélatinases. L’ARNm de la MMP2 exprimé par les cellules tumorales a été associé à une mauvaise survie spécifique (Hu, Li et al. 2012). De même, l’ARNm de MMP2 retrouvé dans les cellules tumorales métastatiques était associé à un mauvais pronostic, mais dans les analyses bivariées seulement (Davidson, Goldberg et al. 2002). Dans deux études, l’expression de la protéine MMP2 par les cellules tumorales primaires a été associée à un risque plus élevé de récidive/progression (courbes de Kaplan-Meier; N = 21, seuil de positivité 29% (Garzetti, Ciavattini et al. 1995; Westerlund, Apaja-Sarkkinen et al. 1999) et N = 33, seuil de positivité 5% (Westerlund, Apaja-Sarkkinen et al. 1999)). Par ailleurs, un autre groupe a associé l’expression intense de la MMP2 dans plus de 10% des cellules tumorales primaires à une meilleure survie spécifique (N = 295) (Sillanpaa, Anttila et al. 2007). Une autre étude incluant 84 femmes avec carcinome de l’ovaire de stade FIGO III n’a pas démontré d’association statistiquement significative entre le niveau d’activité de la MMP2 et le pronostic (Lengyel, Schmalfeldt et al. 2001). Chez 100 femmes atteintes de carcinome de l’ovaire de stade FIGO III, notre équipe a montré que l’expression de la MMP2 dans plus de 10% des cellules d’implants métastatiques était associée à un risque élevé de décès (HR ajusté : 2,65; IC à 95% : 1,41-4,97) (Périgny, Bairati et al. 2008). Les résultats divergents peuvent s’expliquer de plusieurs façons, notamment par le type d’anticorps utilisé (Sillanpaa, Anttila et al. 2007), par les critères d’évaluation et de définition de l’expression de la MMP2, par le type de tissu évalué (ovarien ou métastatique), de même que par des problèmes méthodologiques et de manque de puissance statistique pour certaines études.

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Figure 1–6. Domain structure of the MMPs.

Pre, signal sequence; Pro, propeptide with a free zinc-ligating thiol (SH) group; F, furin-susceptible site; Zn, zinc-binding site; II, collagen-binding fibronectin type II inserts; H, hinge region; TM, transmembrane domain; C, cytoplasmic tail; GPI, glycophosphatidyl inositol-anchoring domain; C/P, cysteine/proline; IL-1R, interleukin-1 receptor. The hemopexin/vitronectin-like domain contains four repeats with the first and last linked by a disulfide bond.

Reproduced with permission of Annual Reviews, from Sternlicht, M. D. and Z. Werb (2001). "How matrix metalloproteinases regulate cell behavior." Annu Rev Cell Dev Biol 17: 463-516; permission conveyed through Copyright Clearance Center, Inc. ”

Bien que la MMP2 ait été très étudiée dans le carcinome de l’ovaire, son principal activateur (Strongin, Collier et al. 1995; Strongin 2010), la MMP14 ou MT1-MMP (membrane-type-1 MMP), a été peu étudié dans le carcinome de l’ovaire (Tableau 1–4). Chez 45 femmes atteintes de carcinome de l’ovaire de stade avancé, la quantité d’ARNm de MMP14 présent dans les cellules tumorales métastatiques (n = 32), mesuré par hybridation in situ, était associé à un mauvais pronostic, mais seulement dans les analyses bivariées (Davidson, Goldberg et al. 1999). Dans une étude menée chez 90 femmes, l’expression de la MMP14 détectée par immunohistochimie dans les cellules épithéliales et stromales était un facteur pronostique indépendant de la survie spécifique (respectivement, HR : 2,52; IC à 95% : 1,30-4,88 et HR : 1,87; IC à 95% : 1,03-3,39) (Kamat, Fletcher et al. 2006). Dans une cohorte de 69 femmes traitées par chirurgie et chimiothérapie (adjuvante et néoadjuvante), l’expression de la MMP14 détectée par immunohistochimie n’était pas associée à la survie sans maladie à 2 ans (Brun, Cortez et al. 2012). À notre connaissance, aucune autre étude de cohorte n’a été menée pour étudier la relation entre MMP14 et le pronostic du carcinome de l’ovaire.

Tableau 1–4. Études évaluant l’effet de l’expression de la MMP14 sur le pronostic du carcinome de l’ovaire

Si disponibles, les mesures montrées sont celles des analyses multivariées. Abréviations : carc, carcinome ; IC, Intervalle de confiance ; IHC, immunohistochimie ; ISH, hybridation in situ ; HR, rapport de risque (hazard ratio) ; NA, non disponible ; NS, non significatif

Référence Critères

d’inclusion % de carc. séreux

IHC/

ISH Événement d’intérêt Mesure d’expression de la MMP14, n (%) Résultats Facteurs inclus dans le modèle multivarié

(Davidson, Goldberg et al. 1999)

FIGO III-IV 73,3 ISH Survie

globale Quantité a (métastases, total : 32) : Intense, NA ≤ Faible, NA Bivarié : Intense = mauvais pronostic Log-rank, p = 0,008, multivarié : NSb Âge, type histologique, grade, stade, MMP9, TIMP2, MMP2 (Kamat, Fletcher et al. 2006) Traitement

chirurgical 66,7 IHC Survie spécifique Score composite : Modéré, 50 (55,6) Fort, 40 (44,4) HR (IC à 95%) : 1,00 2,52 (1,30-4,88) Stade, MMP9 stromale, MMP14 stromale (Brun, Cortez et al. 2012)

FIGO III-IV 58,0 IHC Survie sans

maladie à 2 ans Score H (total : 69) : < seuil, NAc > seuil, NA Log-rank, p = 0,371 Bivarié seulement

a Plus il y a de signaux, plus le marquage par ISH est intense b Les rapports de risque ne sont pas disponibles

Cette quasi-absence d’études associant le niveau d’expression de la MMP14 et le pronostic du carcinome de l’ovaire contraste avec les résultats des études in vitro et in vivo qui illustrent l’importance de la MMP14 dans la physiopathologie du cancer. Le rôle de la MMP14 dans l’invasion cellulaire a été montré dans plusieurs lignées cellulaires de carcinome de l’ovaire (Wu, Xu et al. 2006; Sodek, Ringuette et al. 2007; Moss, Barbolina et al. 2009; Moss, Liu et al. 2009). De même, la MMP14 augmenterait la dissémination des cellules de carcinome de l’ovaire (Moss, Barbolina et al. 2009). MMP14 serait aussi une molécule effectrice de l’EGFR (Moss, Liu et al. 2009) et activerait le facteur de croissance similaire au facteur de croissance épidermique et liant l’héparine (heparin-binding EGF-like growth factor, HB-EGF) (Koshikawa, Mizushima et al. 2011). Dans une étude de xénogreffes, la MMP14 était déterminante pour l’implantation tumorale, alors que la MMP2 et la MMP9 ne l’étaient pas (Drew, Blick et al. 2004). Par ailleurs, seul un défaut d’expression de la MMP14 a causé un syndrome sévère (incluant un nanisme et des anomalies osseuses profondes) chez les souris génétiquement modifiées (Strongin 2010). De façon générale, la MMP14 a pour cible le CD44, ce qui augmente la motilité cellulaire (Strongin 2010). En complexe avec l’inhibiteur tissulaire des MMPs (Tissue

Inhibitor of MMP, TIMP) TIMP2, la MMP14 peut aussi activer la voie de signalisation des MAPK (Strongin

2010). On suggère d’ailleurs la MMP14 comme une cible thérapeutique potentielle (Strongin 2010). Lorsque des cellules de carcinome de l’ovaire HEY sont exposées à de l’EGCG, l’expression et l’activation de la MMP14 par l’ET-1 sont diminuées (Spinella, Rosano et al. 2006b). La MMP14 est donc aussi une cible potentielle du thé vert (Spinella, Rosano et al. 2006b). Il nous apparaît important de préciser le rôle de la MMP14 dans le carcinome de l’ovaire.