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La thèse hamitique et l’origine de l’État du Gobir

Première partie : le Gobir dans sa base de l’Ayar

Version 1 : elle est recueillie par Palmer

3.2. La thèse hamitique et l’origine de l’État du Gobir

L’historiographie européenne a longtemps nié à l’Afrique la capacité de produire une civilisation ou une histoire. Dans ce domaine l’école allemande était pionnière car ce pays était le principal foyer d’études africanistes avant la première guerre mondiale avec la création, en 1907 à Hambourg, de l’institut colonial où étaient étudiée l’histoire, l’ethnographie et les langues africaines (Olderogge, 1986 : 302). On développa « la théorie hamitique selon laquelle le développement de la civilisation en Afrique était dû à l’influence des Hamites originaire d’Asie » (Olderogge, 1986 : 302). L’école allemande excluait l’Afrique du Nord et du Nord-Est pour avoir été occupée par des peuples de la Mer. C’est la théorie hégélienne. Cette thèse est développée dans les milieux scientifiques qui se basent sur des écrits plus anciens des voyageurs, des explorateurs et des administrateurs coloniaux. Dès le XVIe siècle Léon L’Africains écrivait que les pays des Noirs étaient :

« habités par des Hommes qui vivent comme des bêtes, sans rois, sans seigneurs, sans républiques, sans gouvernements, sans coutumes ». Il ajoute que les Noirs « sont vêtus de peaux de moutons. Aucun n’a une femme en propre, qui lui soit propre. Ils dorment sur des peaux de brebis » (L’Africain, 1956 : 462).

Les explorateurs, les missionnaires et les administrateurs coloniaux ont ainsi trouvé des arguments pour qualifier les Africains de barbares et de peuplades sans histoire. Il en est ainsi de Barth, de Hegel, d’Yves Urvoy, de Landeroin et, aujourd’hui de certains hommes politiques. C’est ainsi qu’un important courant de pensée a eu droit de citer en Europe, notamment, dans

les milieux scientifiques défendant, vaille que vaille, l’incapacité des Africains, ceux de la partie subsaharienne, d’être à l’origine d’une quelconque civilisation. Ainsi, des intellectuels comme Hegel développèrent ce courant en écrivant que :

« l’Afrique proprement dite, l’Afrique au sud du Sahara, aussi loin que remonte

l’histoire, est fermée sans lien avec le reste du monde…. Dans cette partie principale de l’Afrique, il ne peut y avoir d’histoire proprement dite. Ce qui se produit c’est une suite d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas un but, un État qui pourrait constituer un objectif » (Hegel, 1830 : 247).

Hegel qualifie tous les événements qui se produisirent en Afrique « d’accidents et de faits surprenants » comme pour dire que les Africains vivaient à l’état de nature.

Coupland déclarait en 1928:

« jusqu’à David Livingston, on peut dire que l’Afrique proprement dite n’avait pas eu d’histoire. La majorité de ses habitants étaient restés, durant des temps immémoriaux, plongée dans la barbarie. Tel avait été semble t-il, le décret de la nature. Ils demeuraient stagnant sans avancer ni reculer » (Ki-Zerbo, 1978 :10)317.

En 1957 un autre historien français, Pierre Gaxotte déclarait que :

« ces peuples n’ont rien donné à l’humanité et il faut bien que quelque chose en eux, les

en ai empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont été chantées par aucun Homère » (Ki-Zerbo, 1978 : 10).

Enfin, Eugène Pittard affirmait que « les races africaines proprement dites – celle de l’Egypte et d’une partie de l’Afrique mineure mises à part – n’ont guère participé à l’histoire, telle que l’entendent les historiens » (Pittard, 1953 : 505 ).

Aujourd’hui encore de telles idées sont véhiculées par des hommes politiques comme Nicolas Sarkozy, alors président de la république française, le 26 juillet 2007 dans un de son fameux discours prononcé à l’Université Cheik Anta Diop de Dakar. De telles idées véhiculées par des hommes de science avaient un seul objectif, celui de nier aux Africains toute capacité humaine, c’est-à-dire toute capacité à créer des Etats et une civilisation. C’est dans cette logique que l’Europe impérialiste se lança dans la conquête de ce continent avec, d’abord, l’envoie des explorateurs, des missionnaires puis des administrateurs coloniaux. Dans leurs littératures, ces derniers ont soutenu des idées identiques contre les Africains. Tous les empires Ouest-africains sont le fait des populations en provenance de l’Asie et donc de race caucasoïde. Ils prennent à leur compte, les légendes d’origine des Gobirawa pour développer la thèse selon

laquelle ces populations sont d’origine asiatique venues dans l’espace nigérien se métisser avec les Noirs. Ainsi, Périé administrateur des colonies affirme que :

« les Gobiraouas seraient des émigrants de la race blanche venus de l’est, peut être

d’Egypte, peut être plus loin encore d’un pays situé à l’est de Médine si on en croit les traditions ».Il ajoute qu’« au cours des siècles le noyau de race blanche des Gobéraouas s’est fondu par métissage dans la masse haoussa au point qu’il n’est plus possible actuellement de l’en distinguer physiquement » (Périé, 1945 : 379-381).

Pour Urvoy les Gobirawa se sont métissés aux Blancs venus d’Egypte (copte). Il parle ainsi des Gobirawa « blancs qui se seraient mélangés aux Gobirawa noirs » (Urvoy, 1936 : 243). Quant à Séré de Rivière, les Gobirawa constituent une tribu de race blanche conduite par Bana Tourmi, un chef au VIIe siècle qui se serait métissé avec les Gobirawa. Bana Tourmi aurait participé à la bataille de Badar (Séré de Rivière, 1965 : 155). Ainsi, ce courant européocentriste de l’historiographie africaine développe cette thèse hamitique par rapport à l’origine des Gobirawa pour justifier le caractère externe des institutions étatiques dans le monde hausa en général et du Gobir en particulier. Les défenseurs de cette thèse hamitique font venir les Hausa, d’une manière générale et les Gobirawa en particulier, de certains pays du continent asiatique. Ils seraient venus de Bagadaza en Irak, de Gubur en Arabie, du Yémen et d’Istanboul en Turquie, de l’ancien empire Ottoman ou encore de l’Egypte ancienne. Tous ces fallacieux arguments voudraient montrer que l’État du Gobir a été importé de l’Asie. Or, nous avons expliqué ci-dessus que les Gobirawa sont bien des populations issues du Sahara. Ils avaient vécu avec d’autres populations d’origines diverses, en particulier les Touareg et d’autres Soudanais comme les Adarawa et les Katsinawa. Barth qui visita l’Ayar vers 1850 affirmait que cette zone était bien dans les mains des Gobirawa qu’il décrit comme étant « the most considérable and noble position of the hausa nation318 » (Barth, 1965 : 277). Léon L’Africain, parlant de royaume du Gobir, affirme qu’il « est à environ 300 miles à l’est de Gao ». Il identifie, parmi les multiples villages qui composaient ce royaume :

« un très grand village qui fait 6000 feux où vivaient des commerçants locaux et étrangers. C’est ce grand village qui était la résidence et la cour du roi qui a été pris et mis à mort par le roi Ischia de Tombutto (Tombouctou). Ischia a fait aussi châtrer les petits files de ce roi de Guber et les a affectés au service de son palais. Il s’est rendu maître de ce royaume et y a placé un gouverneur » (L’Africain, 1956 : 473).

Mais depuis la découverte en 1924 d’un australopithèque en Afrique du Sud, cette thèse est remise en cause. Nous sommes aujourd’hui assuré que les populations soudanaises en général et les Gobirawa en particulier sont issus du Sahara et y ont créé leur Etat depuis leur séjour dans ce milieu qui est rendu de plus en plus hostile à cause des changements climatiques. Toutefois, les sources manquent pour exposer tous les contours de l’État du Gobir dans le Sahara. Nous ne connaissons rien de la composition des institutions étatiques de l’époque, encore moins de son fonctionnement. Aucun roi du Gobir n’est formellement cité par les sources. Seuls les noms de Gintserana et de Banazu sont régulièrement cités par les sources d’origine orale. En dépit de toutes ces insuffisances, les informations sus citées constituent des indices sérieux sur lesquelles nous nous penchons pour soutenir l’hypothèse de l’existence de l’État du Gobir en Ayar. Nous appliquons ici, les critères établis par Nadel pour soutenir cette hypothèse. Toute organisation étatique répond à un certain nombre de critères. Dans son ouvrage consacré au Nupe du Nigéria, Nadel319 a retenu trois critères dans la définition qu’il donne à l’État.

Le premier critère est l’unité politique fondée sur une souveraineté territoriale. La citoyenneté ou la nationalité est déterminée par la résidence et la naissance à l’intérieur de ces limites territoriales (Hamani, 2007 : 168). Le Gobir disposait d’un territoire situé dans l’Ayar sur le mont Bagazam avant de descendre plus au Sud et occuper les plaines d’Agadès, de Ingal et de Maranda jusqu’aux Sud à la limite de la frontière avec le Damargu. Tout cet espace fut occupé par les Gobirawa mais aussi par d’autres groupes soudanais comme les Adarawa, les

Katsinawa, les Zarma-soney, et certains groupes touareg (les Iberkoreyen) pour ne citer que les

plus connus. Nous savons également que ces populations avaient formé des grands centres politiques comme Agadès et Maranda. Des auteurs avaient qualifié ces localités de villes bien peuplées (Hamani, 2010 : 86). Toutes ces deux villes occupaient des positions stratégiques, car elles se localisaient sur les routes commerciales. Aussi, Agadès et Maranda étaient des centres de travail du cuivre. A cause de la concentration humaine, il s’avère nécessaire que ces centres disposent d’un appareil de régulation des conflits sociaux.

Le deuxième critère est l’appareil gouvernemental qui serait chargé de réguler les conflits afin de faire respecter les lois qui devaient être non écrites dans la mesure où il n’existait pas, à cette époque des lettrés pour s’en charger. Ibn Battuta affirme que ce pays était gouverné et en relation d’affaire avec ses voisins. Ce voyageur raconte une scène qu’on lui a

rapportée de ce pays en ces termes :

« Des gens dignes de confiance m’ont rapporté, qu’au pays des Sudan, les païens de la

région, lors de la mort de leur roi, lui construisent un caveau et y font entrer avec lui quelques uns de ses intimes et de ses esclaves et trente fils et filles des notables, après leur avoir brisé les mains et les pieds. Ils mettent avec eux des récipients de boisson. Voici ce que m’a rapporté un certain notable des Masufa, qui résidait dans le pays de kubar et qui était un des intimes du sultan. À la mort de ce dernier on avait voulu mettre le fils de ce notable avec les enfants des sudan qu’on a fait entrer (dans le caveau). Je leur ai dit, racontait il, comment pouvez vous faire cela alors que cet enfant n’est ni de votre religion, ni de votre sang ? Je leur rachetai (mon fils) contre une forte somme d’argent » (Hamani, 2010 : 87)320.

Ce témoignage prouve bien que le Gobir était dirigé par une classe aristocratique depuis la période de l’Ayar. Cet État entretenait des relations avec ses voisins Inusufa.

Le troisième critère est l’existence d’une classe de dirigeants privilégiés, spécialisés et différents de la population par leur formation et leur rang social (Hamani, 2007 : 169). Dans le témoignage ci-dessus, Ibn Battuta parle de roi, d’esclaves, de notables et d’intimes. Cela suppose qu’il y a dans le Kubar (Gobir) une certaine organisation administrative qui pourrait assurer l’ordre et la sécurité du pays. Le Gobir disposait de ces différentes classes pour assurer le maintien de la sécurité et assurer la production, notamment, celle du cuivre dont font cas les sources arabes. Il devait exister des spécialistes dans les domaines sécuritaire et économique. Le Gobir remplissait ainsi les critères de l’existence de l’État depuis l’Ayar. Cet État devait être régit par les us et coutumes des Gobirawa. Léon l’Africain parle de royaume de « Guber ». Barth affirme que l’Ayar était « the most considerable and noble portion of the hausa nation » (Barth, 1965 : 277). Il ajoute que « la capitale du Gobir en Abzin est située dans un lieu appelé Tinshiman à 32 km (20 miles) à l’Ouest d’Agades » (Barth, 1965 : 277). Lorsqu’Ibn Battuta fit cas de Yufi et de Kubar vers 1335, il signifie Kubar, c’est-à-dire Gobir qu’il considère comme une ville qui ne peut rester sans organisation. La ville devait être régit par une administration coutumière. En parlant de Kubar (Gobir) il dit : « la ville de kubar se trouve entre Zaghay et le Borno qui se trouve à 40 jours de marche de Takkeda » (Cuoq, 1973 : 357-360). L’évocation même, du Gobir est un signe de l’existence d’un pouvoir. Quant à Léon l’Africain, il affirme que « the kindom of Gobir was situated to the east of Gao321 ». Muhammad Ibn Abdallah Ibn

320 Les propos d’Ibn Batttuta sont rapportés par Pr. Hamani,(2010 : 87)

Battuta (1304-1368) parle de la ville de Kubar dans une zone habitée de païens (Defrèmery et Sanguinetti, 1858 : 334). Landeroin, de son côté, affirme que les Gobirawa sont venus dans

l’Ayar par l’Egypte et se sont fixés au Nord d’Agadès où ils ont construit leur capitale Surukal.

A partir du XIVe siècle, les Touareg ont envahi l’Ayar et ont asservi les Gobirawa, premiers possesseurs du pays. Par contre Reinell Rodd affirme que les Touareg ont envahi l’Ayar à partir de 1086. Ceux-ci auraient vécu en symbiose avec les Gobirawa (Rodd, 1926 : 373). Mais, quand ils sont devenus plus nombreux, ils commencèrent à menacer les Gobirawa. Reinell délimite, d’ailleurs, la zone d’influence du Gobir en ces termes « the extent of the Gobir domains in Azbin coverd roughly the region between the wells of A’siu and the valley of T’iyut with a capital at T’in-Shaman322 ». (Rodd, 1926 : 64). Pour Boubou Hama, Ghula serait la capitale des Gobirawa dans le Sahara libyen (Hama, 1967 : 40) alors que Palmer, s’appuyant sur « Tarahin Gobir » par Malam Dan Akali323, affirme que la capitale fut Surukal dans le Nord de l’Egypte, Alakun à l’Ouest de Azbin et Gwanna à l’Est de l’Adar.

Toutes ces sources indiquent bien que les Gobirawa ont bien vécu dans l’Ayar et y ont formé leur État et une capitale. Leur premier site fut le massif montagneux de l’Ayar, notamment, le mont Bagazam dans la zone d’Iferuwan. Les sources orales sont d’ailleurs formelles à ce sujet324. Aujourd’hui encore, les populations qui habitent l’Ayar montrent avec précision le site des Gobirawa. On disait que ceux-ci enterraient leurs souverains debout325. L’inconnu est l’origine de cette population, c’est-à-dire si les Gobirawa sont des autochtones dans l’Ayar ou s’ils viendraient d’une autre région du Sahara ? D’ores et déjà, les travaux du Professeur Cheik Anta Diop326 nous permettent d’émettre une hypothèse. Les populations négroïdes du Sahara y étaient autochtones quand on sait que ce vaste espace a connu une période humide au cours de laquelle des populations y avaient vécu depuis la vallée du Nil jusqu’à la côte atlantique. Avec son assèchement, les populations se seraient retirées vers les zones attractives comme le lac Tchad, le fleuve Niger, le haut Sénégal, le Moyen Niger et la

322 Le Gobir s’étendait entre la vallée d’Asiut et la vallée de T’iyut et avait comme capitale Tishamann

323 Il s’agit de la version officielle de l’histoire du Gobir détenue par la famille Dan Akali à Tsibiri.

324 Jika Naino affirme avoir visité, en 2005, le mont Bagazam où il trouva un vieux marabout qui lui aurait montré l’endroit où les Gobirawa auraient vécu. Il affirme, d’ailleurs, avoir vu des restes d’objets que les Gobirawa auraient utilisé : objets métalliques et des pierres.

325 Jika Naino, interrogé le 15 décembre à Maradi. Il affirme avoir visité les lieux en 2005 et un vieillard lui aurait montré l’emplacement des habitations des Gobirawa dont les souverains furent enterrés debout accompagnés de leurs serviteurs et quelques biens.

Bénoué supérieure, notamment (Zoumari, 2006 : 74-75), mais aussi autour des points d’eau où la présence humaine était possible grâce aux vallées réceptacles des eaux des pluies et aux nappes qui affleurent. On en trouve notamment, au niveau du massif de l’Ayar, au niveau de la plaine d’Agadès ou encore dans les zones d’Ingal et de Maranda qui disposent de nappe phréatique peu profonde. C’est vers la Bénoué supérieure que les populations hausa se sont dirigées et ont créé des royaumes. Des travaux scientifiques ont pu reconstituer les itinéraires de certaines populations comme les Kanawa qui avaient transité par les Etats Tsotse Baki avant d’atterrir dans la zone de leur habitat actuel327. Il en est de même des Adarawa qui avaient, d’ailleurs, vécu un moment avec les Gobirawa et avaient suivi le même itinéraire dans leur migration vers le sud (Hamani, 1975 28). Quant aux Gobirawa, ils restèrent dans l’Ayar et fondèrent, ainsi, une entité politique sur le mont Bagazam d’abord, comme cadre territorial avant de le quitter et de créer Agadès plus au sud du massif, puis la ville de Maranda, c’est à dire l’actuel Marandet situé à 60 km au sud d’Agadès.

327 Voir à ce sujet Saley Maman, 1998, Contribution à l’étude de l’histoire des Etats hausa : les Etats Tsotsebaki des origines au XIX ème siècle, thèse de 3 ème cycle, Bruxelles, 2 volumes.

Carte n°2 : Le Gobir dans l’Ayar.

Il importe de dire que les Gobirawa restent et demeurent originaires du Sahara et qu’ils sont les dernières populations soudanaises à le quitter. Les Gobirawa pratiquaient des activités économiques intimement liées à la nature ; d’où leur relative précarité.