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Les sources et la chronologie de l’histoire du Gobir

Première partie : le Gobir dans sa base de l’Ayar

1.1. Les sources et la chronologie de l’histoire du Gobir

La première difficulté à laquelle est confronté tout chercheur qui aborde l’histoire du

Gobir est, incontestablement, la rareté des documents écrits et datés, surtout pour la période

antérieure au XIXe siècle. Par contre, l’histoire du Gobir est marquée par une surabondance des sources orales qui posent d’énormes difficultés dans leur exploitation car ne citant aucun repère permettant de situer les événements. En effet, les généalogies et les chronologies sont aussi variées que fantaisistes. Les noms des Sarakunan Gobir varient d’une liste à une autre212. Les sources orales sont produites localement, recueillies et transcrites mais aussi gardées par la mémoire collective. La première version transcrite est contenue dans Labarun Hausawa da

Makwabtansu213. Cette source relate la légende de Bayajidda qui attribue à Duma la paternité du Gobir. Il serait ainsi le premier Sarkin Gobir dont le père serait Abu Yazidu venu dans le

Kasar hausa depuis l’Asie à une période indéterminée (Labarun Hausawa da Makwabtansu,

1978 : 8-9). Il n’y a, donc, aucun indice qui nous permet de dater, précisément, cette légende sauf que Smith qui a travaillé sur celle-ci, donne la fourchette comprise entre le XVIe et le XVIIIe siècle (Smith 1969 : 355).

Les autres versions consignées à l’écrit émanent des administrateurs coloniaux et de la dynastie de Sabon Birni. Le premier à faire ce travail était Landéroin, interprète de la mission scientifique conduite par Tilho. Il s’agit d’un document ayant servi de base à l’impérialisme européen d’imposer sa domination dans cette partie de l’Afrique. En effet, il contient des renseignements sur l’histoire, l’environnement ou encore les potentialités économiques des

212 Les noms varient selon les sources : (Alhaji Sa’ad, 1982 : 19 et Fadar S/Gobir Sabon Birni, Fadar S/Gobir Tsibiri, 2010 : 1).

régions traversées. Dans la partie qu’il consacre au Gobir (Landeroin, 1910: 469), il recense 35 noms des Sarakunan Gobir (rois du Gobir), des origines à Mahammadu Mai Gipci. Il précise qu’il s’agissait des « noms dont on a pu conserver le souvenir » (Landeroin, 1910 : 469). Selon cette source, le premier Sarkin Gobir est Baoua Tourmi (Banaturmi), le 3e Gobérou, le 13e Zabarma, le 16e Tchiroma, le 23e Babba, le 24e Dalla, le 25e Tchiroma II et le 35e Mahammadou May Guitti (Mahamadu Mai Gipci). Il faut relever que cette liste n’est qu’un échantillon pris dans la longue liste des souverains du Gobir qui comprendrait 345 noms (Hama, 1967 : 28-33). Boubou Hama a tiré sa liste de Malam Dan Akali, le « ’rédacteur officiel »’ de l’histoire du Gobir. En fait, cette liste actualisée comporte, aujourd’hui, 380 noms. Il faut, également, relever que cette liste ne comporte aucun indice qui pourrait permettre d’établir une quelconque chronologie des Sarakunan Gobir.

Quant à Urvoy, il se réfère à la chronique d’Agadès (manuscrit D) pour proposer une liste de 45 rois. Le premier roi à régner serait Banaturmi. Guberu ne figure pas sur cette liste. En lieu et place nous trouvons Magajiya occupant donc la troisième place. Zabarma devint le 8e et Ciroma le 20e qui succède à Babbadal. En fait, la liste comporte cinq Ciroma dont le premier succède à Babbadal, le deuxième succède à Dal Kori, le troisième à Homad, le quatrième et le cinquième se succèdent après Goma Sara (Urvoy, 1936 : 59-60).

Selon les enquêtes menées par Edmond Séré de Rivière, l’aïeule des Gobirawa serait Tawa, fille d’un sultan d’Istanbul sans montrer une indication chronologique. Il ajoute que c’est « une tribu de race blanche conduite par un chef Banatourmi, au VIIe siècle, qui se serait métissée avec les Gobéraouas » (Séré de Rivière, 1936 : 155). Cette tribu aurait séjourné à

Bilma et dans l’Ayar après avoir participé à la bataille de Badar. Enfin, et récemment, une autre

version est produite. Elle attribue, à Huwaisu, la fondation du Gobir (Alhaj Sa’ad, 1982 : 2). Même si toutes ces informations relèvent de l’imaginaire, nous disposons de deux indications qui nous permettent de clarifier les faits. La migration de la tribu blanche au VIIe siècle que rapporte Edmond Séré de Rivière renvoie aux conquêtes musulmanes. Celles-ci avaient touché, très tôt, le continent africain au courant de ce siècle. En effet, en 639 elles atteignirent l’Egypte où les musulmans créèrent le poste militaire de al Fustat. En 666, les conquêtes musulmanes atteignirent Bilma, dans le Kawar. Quant à la bataille de Badar, elle s’est tenue en 632 en Arabie. Les constructeurs de ces légendes se sont donné des repères, tous situés en Asie, berceau de l’islam, nouvelle religion qu’embrassènt les dirigeants du Kasar

hausa (pays des Hausa). Cette religion marque, depuis lors, toute la vie des Etats hausa :

organisation administrative, politique, économique et socioreligieuse.

colonial214 et reprise par Boubou Hama, signale une liste de 70 rois du Gobir. En tête de liste nous avons Tawa, Balatourmi (Banaturmi), le 3e et Gobérou le 5e. Cette liste a l’avantage de contenir des dates à partir de Babba (1441). Mais la référence chronologique s’arrête à partir du roi Muzaka (1638). Elle reprend avec Guina Tarara (Gintsarana ?) (1418) puis Mahammadu II (1650) suivi de Mahamadu Mai Gitti (1662) et Mayaki Dan Yakuba (1848) (Hama, 1967 : 14-15). Il existe un anachronisme car, Guina Tarara qui succède à Muzaka est daté de 1418 contre 1638 pour Muzaka son prédécesseur.

Enfin, pour Malam Dan Akali interrogé en 1965 par Boubou Hama, le Gobir aurait eu 345 souverains. Ce chargé de la « ’rédaction »’ de l’histoire officielle du Gobir, dresse cette liste en fonction des zones géographiques dans lesquelles ont vécu les Gobirawa. Ainsi, il affirme que 263 Sarakunan Gobir (rois du Gobir) ont vécu en Asie, de « l’Est jusqu’à l’Egypte ». Le premier est Canana suivi de Lamarudu, de Magajiya Retia, Abawa Jibda (fils du roi de Misar), Bawa Na Tourmi et le 7e est Guberu. Cana’ana et Lamarudu sont des personnages bibliques connus pour leur bravoure et leur témérité dans la guerre pendant la période antique. Quant aux

Sarakuna Magajiya Retiya et Abawa Jibda, ils rappellent les Sarakunan Daura (rois de Daura).

Magajiya Retiya étant une des neuf reines qui auraient régné à Daura avant l’arrivée d’Abu Yazidu. Abawa Jibda peut être rapproché à Abou Yazidu, fondateur du royaume de Daura, selon la légende de Bayajidda. L’appartenance de ces rois aux deux royaumes hausa est un signe de rapprochement du Daura et du Gobir, d’où une des raisons possibles de leur parenté à plaisanterie. La deuxième liste est celle des rois ayant conduit les Gobirawa dans l’Ayar qui commence par Majigajiga (264e). Elle comporte des noms comme Abarma (271e), Gintsarana (283e), Babba Dalla (285e) et le 286e serait un enfant de Tawa.

Ces listes ne permettent pas d’établir une généalogie des souverains du Gobir pendant la période la plus reculée de son histoire. La présence de certains noms comme Lamarudu, Cana’ana, Huwaisu et bien d’autres, nous conduit à dire que la plupart des noms de ces listes sont purement inventés pour que les classes dirigeantes du Gobir aient un repère qui leur permet de bien assoir leur pourvoir politique. Il est ainsi difficile d’établir, avec exactitude, la liste des souverains du Gobir et les durées de leur règne. C’est pourquoi, nous prenons en compte la période qui va de la nomination de Mahammadu Mai Gipci (au trône du Gobir et qui a conduit les Gobirawa de Birnin Lalle à Birnin Magale) à 1908. Cette arrivée des Gobirawa à

Birnin Lalle dans le Gobir Tudu est datée de 1450 (Augi, 1984 : 151). Mais cette date doit être

revue. Nous nous référons à Léon l’Africain qui a traversé l’Afrique de l’Ouest entre 1513 et

1515. Il affirme avoir vu 6000 familles parmi lesquelles se trouvait un Sarki (roi) dans la zone (Léon l’Africain, 1956 : 828). Puis, Na Dama avait émis l’hypothèse d’une migration, par groupe, des Gobirawa (Na Dama, 1977 : 274). Quant à Djibo Hamani, il soutient l’idée d’une migration en bloc (Hamani, 1975 : 28) ; ce qui semble plausible, dans la mesure où la victoire des Touareg sur cette population engendrerait, nécessairement, un départ en masse des vaincus. Nous pensons que cette population de 6000 familles n’est autre que les Gobirawa en partance vers le Gobir Tudu. Nous déduisons ainsi que les Gobirawa seraient arrivés au Gobir Tudu vers 1515 et non 1450.

Il faut signaler également que nos documents comportent beaucoup de contrevérités et des anachronismes. Mahammadu Mai Gitti, 344e roi de la liste quitta Birnin Lalle pour

Gwararrame qu’il fonda vers 1700 (Habou, 2014 : 16). Cette information est invraisemblable.

En effet, Mahammadu Mai Gipci serait décédé au cours de la bataille qui l’avait opposé aux

Katsinawa à Birnin Magale (Séré de Rivière, 1965. 64), au milieu du XVIIe siècle, vers 1685.

Ainsi, de son vivant, Gawararrame n’avait pas existé, il n’a donc pas connu cette capitale du

Gobir. Il est également erroné d’affirmer que cette ville est fondée vers 1700 par lui. Nous

relevons le même anachronisme à propos de la fondation de Alkalawa, capitale du Gobir dans le bassin de Rima. Une source affirme que la ville serait fondée vers 1773 par Babari, le 355e souverain du Gobir (Habou, 2014 : 16). En réalité, Alkalawa est fondée par des Wangarawa venus du Mali sous la conduite de Malam Raurau Allahuwa accompagné de plus de 100 intellectuels sur leur chemin de la Mecque (Krieger, 1959 : 54). Mais, cette source ne précise pas si ces Wangarawa sont les « vrais fondateurs » de cette ville ou ils ont trouvé cette localité déjà créée. La ville est ainsi déjà fondée lorsque Babari l’a conquise vers 1757. Enfin, nous avons relevé un autre anachronisme, lorsque cette même source note que « vers 1835 Jibon Ta Ouba (le 360e) fonda la dernière capitale du sultanat du Gobir, Birnin Tsibiri » (Habou, 2014 : 18). Birnin Tsibiri est fondé après la bataille de Gawakuke qui s’est déroulée au mois de mars 1836. Ainsi, cette ville n’est pas fondée avant cette bataille.