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L’invasion touareg de l’Ayar et l’abandon du mont Bagazam par les Gobirawa

Première partie : le Gobir dans sa base de l’Ayar

Version 1 : elle est recueillie par Palmer

3.4. Le départ des Gobirawa de l’Ayar

3.4.1. L’invasion touareg de l’Ayar et l’abandon du mont Bagazam par les Gobirawa

Nous avons vu que tout l’Ayar était occupé par des populations à majorité noire, en particulier les Gobirawa qui avaient créé des centres politiques comme Agadès et Maranda. La création de ces deux centres a été dictée par un paramètre majeur : la poussée Touareg. Cette population venant de Libye a envahi le massif de l’Ayar contraignant les Gobirawa à descendre les montagnes. Ces Touareg étaient, eux-mêmes, chassés par les Arabes Béni Hilal au XIe siècle. En effet, en l’an 1050 le calife Fatimide Moustansir d’Egypte lança contre son vassal Ziride El Moezz d’Ifriqiya, dans l’actuelle Tunisie, les nomades Beni Hilal et leurs alliés Beni Suleymane installés alors en haute Égypte. Ibn Khaldum qui rapporte les faits écrits que « toutes les familles hilalienne se précipitèrent sur l’Ifriqiya comme une nuée de sauterelles abimant et détruisant tout ce qui se trouvait sur son passage » (Ibn Khadum, 1956 : 34). Il explique également que ces envahisseurs avaient attaqué aussi bien les villes que les campagnes en opprimant et en pillant les voyageurs et les populations trouvées sur place. Cette situation d’insécurité généralisée a eu pour conséquence, le mouvement des populations berbères dont les Touareg installés dans la vallée de Targa329 dans le Fezzan libyen. Ceux-ci se dirigèrent vers le Sud grâce aux chameaux qu’ils ont adoptés comme moyen de transport (Hamani, 2010 : 46). Leur arrivée fut progressive. C’est pourquoi lorsqu’ils trouvèrent les

Gobirawa sur le massif, ils avaient vécu en symbiose. Mais dès lors qu’ils étaient devenus

nombreux, la cohabitation fut difficile en raison de l’insuffisance des ressources naturelles. Ainsi, l’arrivée massive de ces Touareg avait créé un déséquilibre entre les possibilités qu’offrent la nature et la nouvelle demande imposée par l’arrivée des Touareg. Le milieu naturel était déjà marqué par les effets des changements climatiques se traduisant par la rareté des points d’eau surtout en période de sécheresse très fréquente dans la zone. Il s’engagea une lutte pour le contrôle des pâturages et des points d’eau. Le Sahara connaissait une surcharge démographique. On signale des luttes incessantes entre les Gobirawa et les nouvelles populations venues avec leurs troupeaux (Barth, 1963 : 242-243 et Rodd, 1926 : 373).

L’arrivée des premières vagues touareg dans l’Ayar remonte à une date antérieure au XIe siècle et cette arrivée n’a pas bouleversé la vie des différentes populations qui y vivaient. Les Touareg ont, d’ailleurs, vécu en symbiose avec les Gobirawa. Pour Barth, c’est au niveau

de la localité de Maket n’Iklen, une montagne au Nord que les Touareg ont pris possession du vieux Gobir (Barth, 1963 : 242-243). Pour Urvoy c’est à l’arrivée des Sandales que les

Gobirawa quittèrent le massif de l’Ayar à la fin du XIe siècle ou au début du XIIe siècle

(Urvoy, 1936 : 243). Une version de la tradition orale recueillie par Adamou affirme que : « Les Gobiraouas habitaient les monts Bagazan où ils furent frappés par une calamité

naturelle : un vent violent qui surgit pendant une nuit épaisse et qui leur détruisit tout leur cheptel. Avant de prendre la fuite, ils enterrèrent tous leurs tambours de guerre (doundoufa). Ils descendirent vers le sud et vinrent fonder Agadez. De là ils émigrèrent à Goran Ramé, au nord ouest d’Agadez ou une émeute sanglante éclata en leur sein. Ils finirent par se réconcilier et continuèrent leur migration vers Marandet au sud est d’Agadez puis à Tora à l’est d’Ingal et enfin à Birnin Lallé où ils se fixèrent un moment » (Aboubacar, 1979 : 35).

La dynastie de Tsibiri330 affirme que c’est dans une nuit qu’un vent violent bouleversa tout et entraina la fuite des Gobirawa des montagnes. Avant de s’en fuir, ils enterrèrent leurs objets traditionnels qui sont un Doundoufa (qui est un tambour long fabriqué en or) et un autre de même taille mais fait en argent. Tous « furent enfouis dans un trou creusé à la limite de l’ombre de la partie la plus haute du Doutchi de Bagazam entre 14h 30 et 15h » (Hama, 1967 : 34). C’est à cette même occasion que les Gobirawa auraient perdu tout leur troupeau : bœufs, chevaux, ânes, dromadaires et moutons331. Après avoir quitté le massif, les Gobirawa fondèrent Agadès. C’est dans cette ville que le roi du Gobir aurait élevé le père du premier sultan

d’Azbin, Issouf Dan Santamboul. Celui-ci se serait marié avec la fille du roi du Borno et il y

aurait deux jumeaux : Hassan et Housseini. Le roi du Borno fit d’Hassan, le cadi de son pays et Housseini fut nommé par Sarkin Gobir, le Sarkin Azbin. (Hama, 1967 : 34). D’Agadès les

Gobirawa émigrèrent vers Goran Rame332, Nord-ouest d’Agadès où il y eut une sanglante

330 Malam Jika, le 11 avril 2015 à Gidan Rumji.

331 Cette information a été recueillie en décembre 2015 à Maradi auprès de Jika Naino. Il ajoute que tous les volatiles et autres animaux qu’’on rencontre aujourd’hui dans le désert du Sahara seraient les descendants des animaux perdus à la suite de ce vent violent.

332 Il est curieux de constater que la dynastie de Tsibiri place cette capitale du Gobir dans l’Ayar. En effet, Malam Dan Akali est très formel sur ce sujet. Pour lui, la ville de Gwararrame située à côté de Gidan Rumji n’a jamais existé. Pourtant, des fouilles archéologiques menées par une équipe de l’IRSH (décembre 1999) ont permis de confirmer l’existence du site de cette ancienne capitale du Gobir fondée entre 1685 et 1690 après la destruction de Birnin Magale. Cette attitude de la dynastie de Tsibiri n’est elle pas une stratégie savamment entretenue pour effacer une page douloureuse de l’histoire des Gobirawa car, cette ville fut créée après la bataille de Birnin Magale qui s’est soldée par la mort du Sarkin Gobir Mahammadu Mai Gipci et la destruction totale de

émeute mais ils se réconcilièrent. Puis, ils s’installèrent à Maranda au Sud-ouest d’Agadès. De cette ville, ils passèrent à Tora à l’Est d’Ingal, Keta, Tawa puis Birnin Lalle où mourut Tawa qui eut 12 enfants. Ces sources confirment ainsi que les Gobirawa ont quitté le mont Bagazam pour se diriger vers le Sud et fonder Agadès et Maranda mais aussi peupler les autres régions de la zone, notamment, l’Ouest vers Ingal et le Sud jusqu’à la frontière avec le Damargu. Mais, malgré l’abandon de l’Ayar les conflits avec les Touareg continuèrent d’où une cohabitation difficile entre les différentes communautés.

3.4.2. La difficile cohabitation et le départ des Gobirawa vers les plaines au Sud de l’Ayar. L’érection d’Agadès en capitale333 du sultanat de l’Ayar au XVe siècle serait le déclic des mouvements migratoires vers le Sud des populations soudanaises334 et en particulier les

Gobirawa. La tradition orale affirme qu’après le vent violent qui a surgi pendant une nuit

épaisse et qui leur aurait détruit tout leur cheptel, les Gobirawa auraient quitté les montagnes pour fonder Agadès plus au Sud. Une autre version dit qu’Agadès fut fondée par l’arrivée du premier sultan. Il serait accompagné de 400 guerriers guidés par une délégation de Sandal. Il aurait été installé, d’abord, dans les montagnes puis transféré à Assode et Tadaliza (Hamani, 2010 : 94). C’est de cette dernière ville que le sultan serait arrivé à Agadès, lieu marqué par une lance miraculeuse lancée par un guerrier touareg. Yunus s’arrêta au lieu où cette lance se serait fixée après l’avoir cherchée pendant sept jours. Les Alguran (sorciers) lui auraient donné comme conseille d’installer sa résidence définitive à Agadès. Ainsi naquit la capitale avec la construction du palais du sultan (Aboubacar, 1979 : 36). Mais, pour Barth cité par Aboubacar (1979 : 37), Agadès serait fondé par les cinq tribus berbères chassées par Askia Mahammad après la prise de la ville en 1515. Enfin, une autre source335 signale la présence des Gobirawa en compagnie des Abalkoran (Iberkoreyen) à Agadès. Quand les Itesseyan sont arrivés dans ce village, ils auraient dit ceci aux Gobirawa :

« Nous voulons une place dans votre ville pour nous installer. Dans un premier temps, les Gobirawa auraient refusé de céder une place aux Touareg nouvellement venus. Puis, ils auraient accepté mais contre toute attente les Touareg auraient refusé cette offre. Ils

cette capitale ?

333 Agadès est devenue capitale de l’Ayar vers 1424 (Hamani, 1989 : 147) depuis que les Touareg ont payé à leur sultan une maison des mains des Gobirawa.

334 Il faut ici dire que déjà les Katsinawa et beaucoup d’Adarawa et de Kurfayawa, pour ne citer que ceux là, avaient déjà quitté l’Ayar pour fonder leurs propres Etats plus au Sud. En termes de populations soudanaises, il ne restait, donc, que les Gobirawa et les Zarma-soney dans l’Ayar pendant cette période.

auraient préféré acheter une maison qu’ils auraient eue contre 1000 dinars pour leur chef. Très vite, une guerre éclate entre Gobirawa soutenus par les Iberkoreyen et les Itesseyan et les Touareg » (Palmer, 1967 : 64).

La conséquence serait le départ des Gobirawa vers le Kasar hausa. Les Gobirawa auraient ils montré leur incapacité à faire face à la situation, eux les propriétaires du pays ? Nous pensons que c’est le cas eu égard aux facilités accordées aux Touareg qui voulaient s’installer à Agadès. Leur départ de l’Ayar pourrait ainsi s’expliquer par la conjugaison de plusieurs facteurs en leur défaveur. Il faut, ensuite ajouter la supériorité numérique des Touareg. Ceux-ci avaient envahi tout l’Ayar avec leurs dromadaires qui leur facilitaient les déplacements. Nous savons que lorsque ces descendants des Berbères étaient en nombre réduits, ils vivaient paisiblement avec les Gobirawa. Mais dès qu’ils seraient devenus nombreux, ils auraient déclenché les hostilités (Rodd, 1926 : 373). Les Gobirawa avaient préféré quitter, en bloc, pour se diriger vers le Sud. Ils auraient ainsi entamé une longue migration qui les aurait conduits à Goran Rami, au Nord-Ouest d’Agadès. Ils se seraient réconciliés et auraient continué leur migration vers Marandet au Sud-Est d’Agadès puis à Toro à l’Est d’Ingal et enfin à Birnin Lalle où ils s’étaient fixés (Aboubacar, 1979 : 35). Cette dernière localité se trouve hors de l’Ayar à plus de quatre cents kilomètres d’Agadès et à une centaine de kilomètres du Gulbin Maradi plus riche en ressources en eau.

Ces versions indiquent que la cohabitation entre les communautés vivant dans l’Ayar n’était pas facile. Pourquoi après l’installation des Touareg dans la ville, des conflits se seraient-ils produits entre les communautés qui auraient, dans un premier temps, donné un signe de bonne entente ? Il faut relever que le refus du don de terrain de la part des Touareg pourrait être vu comme une façon de légitimer leur présence à Agadès et de s’approprier la ville. En effet, ils voulaient transformer cette localité en leur capitale comme prédit par les sorciers qui auraient indiqué cet emplacement. L’achat d’une maison signifie qu’ils voulaient s’accaparer de toute la ville pour en être les seuls maîtres. C’est pourquoi, ils auraient engagé des conflits contre les Gobirawa qui auraient préféré quitter Agadès pour le Sud. Quant aux Touareg, ils transformèrent cette cité en capitale définitive de l’Ayar. Les sources sont muettes par rapport aux détails de ces conflits c’est-à-dire leurs fréquences et leur bilan en terme de pertes humaine ou économique. Tout ce que l’on sait, c’est que ces conflits intercommunautaires avaient aggravé une situation déjà difficile pour les Gobirawa meurtris par les difficiles conditions de vie dans la zone, conséquences des changements climatiques. La dégradation du climat a eu des conséquences sur la vie des populations vivant dans l’Ayar. Elles se traduisaient par la rareté des pluies d’où les fréquentes sécheresses synonymes de

pénuries de toutes sortes notamment sur le plan alimentaire. Agadès reçoit une moyenne de 180 millimètres de pluie par an (Rodd, 1926 : 6), ce qui ne permet pas de pratiquer des cultures sous pluie336. Cela constitue un réel motif de désespoir pour les Gobirawa. Il faut également signaler que les deux groupes de populations étaient éleveurs même si les Gobirawa pratiquaient une agriculture irriguée dans les vallées où la nappe phréatique était peu profonde. La pluviométrie était aléatoire et ne pouvait donc faire pousser qu’une végétation maigre et concentrée autour des vallées. L’arrivée des Touareg dans l’Ayar a accru les besoins en termes de terrains de cultures irriguées et d’espace pastoral. Compte tenu de leur maigreur et de l’afflux des Touareg dans la zone, il s’est posé un problème de gestion des ressources naturelles. On peut ainsi dire que l’Ayar a connu une surcharge démographique ; d’où les différents conflits entre ses occupants. Après une pérégrination à l’intérieur de l’Ayar, les Gobirawa auraient pris la décision de quitter cette zone pour rejoindre les populations qui les avaient devancées et qui s’étaient installées dans le bassin de Rima caractérisé par ses potentialités agropastorales. La tradition orale affirme que c’est Mahamadu Mai Gipci (début du XVIIe siècle) qui aurait conduit les Gobirawa à Birnin Lalle au Gobir Tudu. Une autre source affirme que c’est plutôt le

Sarkin Gobir Babari qui quitta Dutsin Zana pour fonder Birnin Lalle autour de 1447. (Habou,

2014 : 15). Mais, il s’agit des anachronismes qui confirment la confusion des sources de l’histoire du Gobir car, Mahammadu Mai Gipci (1660-1685) date du XVIIe siècle et Babari (1737-1764) du XVIIIe siècle alors que les Gobirawa n’étaient arrivés au Gobir Tudu que vers 1515. Ces deux Sarakunan Gobir n’avaient, donc, jamais vécu dans l’Ayar. À cause de tous ces problèmes, les Gobirawa quittèrent, respectivement, le mont Bagazam, Agadès, Maranda et les autres centres pour le Gobir tudu.