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Analyse critique des versions de la légende de Bayajidda

Première partie : le Gobir dans sa base de l’Ayar

Version 1 : elle est recueillie par Palmer

2.1.2. Analyse critique des versions de la légende de Bayajidda

La légende de Bayajidda a fait l’objet de plusieurs études de la part des chercheurs qui ont, d’abord, recueilli les différentes versions, puis ont tenté de les dater et de les commenter. Palmer était le premier à recueillir la première version. Celle-ci est produite par les cours royales hausa (Mahamane, 1998 : 394) avec le soutien de Borno qui tenait les Etats hausa en vasselage (Smith, 1969 : 355). Quant à la version contenue dans Labarun Hausawa da

Makwabtansu, elle est apparue après le jihad et tente de montrer l’origine servile des Sarakunan hausa, car cette version les fait descendre d’un esclave du Mai du Borno. Jusqu’à la

fin du XXe siècle, les études sur la légende de Bayajidda se limitait à une tentative de sa datation. Arnett fut le premier à avancer une date précise de la création de cette légende quand il dit qu’elle est née en 1456 (Arnett, 1909 : 161-162), c’est-à-dire après l’islamisation de cette

partie du Soudan central « par les Wangara venus du Mali » (Trimingham, 1970 : 126). Par contre, Smith se basant sur la consolidation des Etats hausa entre le X ème et le XVe siècle, annonce la fourchette comprise entre le XVIe et le XVIIe siècle comme période de l’apparition de cette légende (Smith, 1969 : 355). Il date l’arrivée de Bayajidda à Daura pendant le règne du

Mai Idris ibn Ayesha (1503-1526) du Borno après le Mai Ali ibn Dunama qui a construit la

nouvelle capitale Birnin Gazargamu à l’Ouest du lac Tchad (Smith, 1975 : 56). Bayajidda aurait donc visité Daura entre 1503 et 1526 à un moment où, selon Léon l’Africain et Ibn Battuta, Gobir, Kano, Katsina et d’autres Etats hausa étaient établis dans le Kasar hausa (Smith, 1975 : 56). Il affirme également que cette légende fut créée par les Kanuri au XVIe siècle pour deux principales raisons qui sont : les sept Hausa bakwai ont évolué ensemble avec une descendance commune. Celle-ci est la raison pour laquelle il faut les différencier des autres Etats hausa. Il y a ensuite la justification d’une domination historique du Borno sur ces Etats qui sont issus de Bayajidda et de Daura mais aussi de Bayajidda et de Magira (Smith, 1975 : 56). Il soutient ainsi la domination politique et culturelle du Borno sur les Etats hausa. En effet, jusqu’au XVIIe siècle, les Etats hausa du Nord remettaient les tributs au Borno par l’intermédiaire de Daura et ceux des Etats hausa du Sud le faisaient par l’intermédiaire de

Zaria. Cette version a été reprise par certains administrateurs coloniaux qui l’utilisent pour

justifier leur hypothèse de l’État importé en Afrique par des populations venues de l’Asie (Séré de Rivière, 1936 : 155) et (Tilho, 1909 : 472).

C’est grâce aux travaux de Mahamane et, notamment sa thèse245 que nous avons une première analyse critique et détaillée de cette légende. Il explique que les chercheurs accordent plus d’importance à sa datation qu’à sa signification et à son rôle. Celle-ci révèle des éléments de référence comme l’économie, la géographie, l’environnement, la religion, l’esclavage et le pouvoir, entre autres. Les repères géographiques sont Bagdad, Gubr, Misra, Abzin, Borno,

Daura. Sur le plan religieux, elle est construite autour de l’islam, du judaïsme et de l’animisme

(Mahamane, 1998 : 397). En fait :

« le souci permanent des Etats hausa de se référer aux religions monothéistes n’est pas

seulement une préoccupation spirituelle. Il illustre les liens privilégiés établis avec les partenaires commerciaux musulmans dont l’influence culturelle s’exerçait à travers la religion et dont il s’agissait de gagner la confiance » (Mahamane, 1998 : 398).

La légende de Bayajidda traduit aussi une idéologie politique tant elle se réfère à des personnages bibliques pour partager leur héroïsme avec les souverains hausa. Ainsi, les

versions de la légende de Bayajidda cachent beaucoup de messages qui expliquent les relations socio-économiques et culturelles réelles ou imaginaires avec le monde musulman devenu une référence.

Ces versions de la légende de Bayajidda se recoupent et affirment une origine asiatique aux Etats hausa. En effet, les principaux acteurs, Abu Yazidu, Abdul Dar et Ziduwa, proviendraient de cette partie du monde musulman. Une lecture attentive de ces versions nous amène à déceler, d’abord, leur complémentarité, puis et surtout des points de divergences. Concernant la complémentarité, notons dans la version de Smith le voyage de Bayajidda à

Kano pour se faire fabriquer le couteau qui lui avait servi à tuer le serpent comme s’il

s’attendait à cet événement. On y trouve également l’intervention de deux personnages clés dans les cours du Kasar hausa. Il s’agit de Galadima et de Kaura. Le premier était qualifié de peureux alors que le second était qualifié de vaillant parce qu’il a pu voir et toucher le corps de l’animal tué (serpent), raison pour laquelle il fut nommé commandant en chef des armées. Il y a ensuite la durée des règnes de Bayajidda (150 ans) et de Bawo (90 ans, 3 mois et 7 jours), qui sont des durées de règne impossibles pour le commun des mortels.

Quant aux divergences, notons que le Daura serait un royaume d’Abdul Dar qui aurait comme successeurs les neuf reines citées dans certaines versions, alors que dans les autres ces reines auraient plutôt précédé cet étranger venu de l’Est. Selon les versions, c’est Bayajidda qui aurait demandé la main de la fille du Mai du Borno. La version de Palmer indique que Kusugu serait un puits situé dans une oasis, probablement, du Sahara. C’est dans ce milieu qu’Abdul Dar aurait eu des filles dont la plus jeune serait Daurama. Cette version de Palmer nous affirme que Abu Yazidu est venu à Daura en compagnie de sa concubine contrairement aux autres versions qui affirment que c’est la reine Daurama qui lui en a donné.

Ces divergences et cette complémentarité donnent la preuve du caractère fabuleux de ces légendes qui n’expliquent, donc pas l’origine des Etats hausa. En effet, Abu Yazidu serait arrivé dans le Daura et aurait trouvé une reine en exercice, Daurama, la neuvième. La version de Palmer, issue de « ’Infakul Maisuri »’ de Muhammad Bello, dit l’avoir recueillie du sultan al Baqri d’Agadès (Hamani, 2010 : 49) qui ne relève pas des Etats hausa. L’autre raison est que le

Sarkin Gobir Bawa Jan Gwarzo (1771-1789) rejette cette légende de Bayajidda et en construit

une autre faisant venir les Gobirawa et notamment, sa dynastie, de l’Egypte pharaonique pour démontrer le caractère puissant de sa personne mais aussi de son armée en la comparant à l’armée de l’Égypte pharaonique connue pour ses capacités de conquête.

Mais, la version recueillie par Ambursa révèle quelques éléments significatifs et révélateurs du mouvement migratoire des populations hausa. Cette version dit, en effet, que les

Hausa viennent à la ville de Daura à partir de laquelle était créé Kano il y a 1000 ans. La

source ajoute que les Hausa sont les fils de Biram qui aurait épousé une femme berbère. Celle-ci aurait accouché de trois jumeaux. Ceux-Celle-ci seraient à l’origine des Hausa Bakwai qui se seraient partagé les tâches246. Par la suite, les enfants de Biram se seraient accrus par le mariage et auraient engendré les Banza bakwai.

Nous savons que Daura était le centre d’accueil des populations hausa, le plus ancien et c’est à partir de là que les autres centres ont été créés, en particulier Kano (Hamani, 2010 : 49), il y a plusieurs siècles. Le mariage de Biram avec une femme berbère renvoie à la cohabitation des populations soudanaises et berbères dans le Sahara avant que les Hausa ne quittent cette zone pour se diriger vers le Sud et fonder le Kasar hausa entre la Boucle du Niger et les abords du lac Tchad, d’Ouest en Est, et de l’Ayar à la Bénoué supérieure, du Nord au Sud. Quant aux

Banza bakwai, ils couvrent des zones dans lesquelles les Hausa étaient minoritaires247. En fait, la légende de Bayajidda « …apparait comme une tentative pour justifier la très forte ressemblance des traits culturels et des institutions politiques du monde hausa malgré son émiettement politique et ses rivalités » (Hamani, 2010 : 49). La ressemblance culturelle se fait remarquer à travers la langue hausa parlée dans tout le Kasar hausa et au delà. Quant aux institutions politiques, elles sont identiques, à quelques variantes près, et sont marquées par l’influence bornouane248. Ces identités culturelles et ces ressemblances des institutions politiques sont liées à leur proximité. Mais, la légende de Bayajidda n’inclut pas l’Arewa, le

Kurfai, l’Adar, le Kwanni et le Damagaram, autres Etats hausa. Les quatre premiers sont

originellement des Etats Hausa. La non prise en compte de leurs cas pourrait s’expliquer par leur faible renommée dans le Soudan central au moment où se développait cette légende de Bayajidda. Quant au Damagaram, il est un État originellement Kanuri et, n’existait, d’ailleurs pas, au moment de la conception de cette légende car, sa création remonte à la fin du XVIIIe siècle. La Sarauta est transférée à Zinder au milieu du XVIIIe siècle (Hamani, 2010 : 389) et

246 Le Gobir devint le Sarkin Yakin Hausawa (commandant en chef des armées hausa) ; Kano et Rano devinrent les responsables des artisans, des tisserands et des teinturiers ; Katsina et Daura devinrent les responsables du commerce et à Zariya il a été confié la tâche du trafic des esclaves.

247 Il faut, cependant relever que le Zamfara et le Kabi sont classés dans le groupe des Banza bakwai malgré la prédominance des Hausa au sein de leurs populations. Inversement, les Etats de Yoruba, Nupe et Gwari ne sont en rien des Etats hausa. Leur classement dans ce groupe ne peut se comprendre que par les liens commerciaux séculaires établis avec cette région et le monde hausa.

248 Dans toutes les cours hausa, nous avons le Sarki entouré des grands dignitaires, notamment, le conseil électoral qu’on retrouve dans tous ces Etats. A Kano, à Zamfara et au Gobir ce conseil est composé de neuf personnalités. Galadima, Kaura et Yarima sont des titres empruntés au Borno.

progressivement la population qui vit dans le pays abandonna sa langue au profit du hausa par glottophagie.

Il est quasiment impossible de dater, avec précision toutes ces versions de la légende de

Bayajidda. Cela est dû au fait qu’il n’existe pas d’indices suffisants aussi bien dans les sources

écrites que dans les sources orales permettant d’avancer une quelconque date précise. Mais, nous pouvons dire que cette légende de Bayajidda est apparue à un moment où l’islam a bien intégré les classes dirigeantes au Soudan central. En effet, leurs concepteurs étaient bien musulmans et étaient bien informés du monde musulman. La référence à Bagdad est un indice qui renvoie à l’époque des abbassides (750-1258), la référence au Borno renvoie à l’apogée de cet empire intervenu entre le XVIème et le XVIIème siècle sous Idris Alaoma (1580-1617), en particulier. L’on sait également que cette période correspondait à une intense activité des marchands, hommes de sciences ou tout simplement des aventuriers dans tous les Soudans central et occidental. Pour toutes ces raisons :

« il parait vraisemblable que ce mythe (légende de Bayajidda) se développa entre le

XVIème et le XVIIème siècle avec l’encouragement et sous la protection des chefs du Bornou qui tenaient alors ces sept Etats hausa en vasselage. Les fonctions de ce mythe comprenaient la légitimation de la suzeraineté bornouane…. » (Smith, 1964 : 355).

Une analyse plus attentive des différentes versions de cette légende nous fait relever que cette légende n’explique pas l’origine des Etats hausa en général et du Gobir, en particulier, puisque Bayajidda a trouvé à Daura, un État tenu par une dynastie féminine249. En effet, la légende confirme qu’il y a eu des reines avant l’arrivée de Bayajidda. Il s’agit de

Yakani, Gidirgidir, Nagira et Daura (Labarun Hausawa da Makwabtansu, 1978 : 2). Cette

légende est née entre le XVIe et le XVIIe siècle (Smith, 1969 : 355). Or, pendant cette période le Gobir se trouvait en constitution au Gobir tudu et sur son chemin du bassin de Rima. Le royaume disposait déjà ses institutions étatiques qui ont commencé à se renforcer après la crise de Birnin Lalle250. Les sources du Gobir ne signalent pas un Sarki du nom de Duma, enfant de Bayajidda qui aurait dirigé leur État. Mais, la liste officielle des souverains du

Gobir affichée à la cour, indique que Ubandoma, fils de Babba est un des successeurs à

Mahammadu Mai Gipci (Habou, 2014 : 43). C’est ce qui fait dire à Djibo Hamani que « Le

249 Daurama serait la neuvième reine à diriger le Daura au moment de l’arrivée du héro légendaire.

250 Cette crise aurait abouti à un consensus selon lequel certains membres de la famille du Sarki, donc héritières auraient volontairement renoncé au pouvoir pour se consacrer à d’autres fonctions. C’est également après cette crise que naquit un embryon du conseil électoral composé, au départ, de Srakin Tudu, Ubandawaki et Sarkin Rafi.

Gobir a intégré les sept Etats dits “ Hausa bakwai ” à partir du Sarkin Gobir Uban Doma au

XVIIe siècle » (Hamani, 1975 : 77). Ce souverain appelé Uban Doma aurait-il existé quand on sait que dans la liste des titres du Gobir, nous avons Uban Doma, qui est chargé d’accueillir les étrangers à la cour royale du Gobir ? Ce titre serait apparu pendant le règne d’Ibrahim Babari (1737-1764). En effet, ce Sarkin Gobir aurait décrété que tous ses sept enfants allaient être Sarki pendant sept ans chacun. Son frère aurait compris qu’il était, d’office, écarté de la course. C’est pourquoi, il lui aurait demandé de le nommer au poste qu’occupait Doma, une esclave venue de Gwari (pays où le hausa n’est pas parlé) et qui accueillait les étrangers à la cour du Gobir251. C’est, peut être, une référence pour expliquer l’intégration du Gobir au

Hausa bakwai.

Abu Yazid qui tue un serpent pour délivrer le peuple de Daura constituait un acte comparable à la victoire de Saint Georges sur le dragon252. Le faire venir du Moyen Orient, c’est-à-dire du berceau de l’islam, signifie que cette religion a pris une certaine ampleur dans cette partie du Soudan central. Elle devint un repère pour les dirigeants du Kasar hausa qui commencèrent à adopter cette nouvelle religion. Quant à la masse populaire, elle reste, pour longtemps, encore adepte de l’animisme avant de s’islamiser progressivement. La mort du serpent Sarki symbolise la victoire de l’islam sur l’animisme (du bien sur le mal), la religion ancestrale de tous les Etats hausa. Le serpent, animal dangereux est assimilé au Djinn ; il relève, en effet, du panthéon animiste. Avec l’arrivée de l’islam et la conversion de la classe dirigeante, le repère se tourne vers le Moyen Orient, berceau de la religion musulmane révélée et monothéiste.

Cette légende est donc fragile car, Abu Yazid qui serait venu dans le Soudan central avec une nombreuse armée (20 compagnies) ne devait pas traverser la mer Rouge et tout le Sahara sans que cet événement grandiose ne soit mentionné dans les sources de l’histoire des régions visitées. En effet, les sources, qu’elle soit du Moyen Orient ou du continent africain ne nous signalent pas cet événement. La référence à Borno est également significative car, cet ancien empire a une longue tradition musulmane. L’islam est connu dans ce royaume depuis le VIIe siècle (Hamani, 2010 : 32). D’ailleurs, le Borno est l’une des régions qui ont contribué à la diffusion de l’islam mais aussi à la prospérité économique au Kasar hausa (Mahamane, 1998 :

251 Abdou Balla Marafa, le 21 février 2015 à Tsibiri.

252 Saint Georges est un personnage légendaire né en Orient. Il est dans la chrétienté, le patron des chevaliers. Ce personnage aurait sauvé la seule fille du roi donnée au dragon pour être dévorée. Il maitrisa puis tua cet animal qui terrorisa toute une population. Son combat symbolise la victoire de la Foi chrétienne sur le Mal. Cet acte est bien comparable à celui commis par Abu Yazid.

462). Du XVIe au XVIIe siècle, il y eut un véritable mouvement des Ulama bornouans et des marchands au Kasar Katsina, au Zamfara, au Gobir, au Kabi et au Kano, en particulier. Cette influence du Borno était également politique car on notait des emprunts253 et surtout la suzeraineté bornouane sur le Kasar hausa à travers le payement des tributs collectés et remis au

Sarkin Daura qui était chargé de les transmettre au Mai du Borno (Labarun Hausawa da Makwabtansu, 1978 : 12). Ce payement des tributs a été, d’ailleurs, refusé par le Sarkin Gobir

Bawa Jan Gwarzo qui disait qu’il n’était pas esclave (ni ba bawa na ba254) (Labarun Hausawa

da Makwabtansu, 1978 : 12).

Ces versions ne sont donc, que pure imagination de leurs auteurs qui doivent être nécessairement liés à la classe des dirigeants. Les nouvelles dynasties hausa voulaient s’attribuer ainsi, une origine « noble », une origine différente de celle de la classe populaire. C’est donc, à des fins politiciennes que cette légende a été conçue. D’ailleurs, au XVIIIe siècle Bawa Jan Gwarzo (1771-1789), l’un des plus puissants souverains du Gobir, avait nié cette descendance de Bawo et donc l’affiliation aux autres Etats hausa pour créer une nouvelle légende donnant une autre origine aux Gobirawa en se référant aux coptes, c’est-à-dire à l’Egypte. Toutefois, cette légende a permis de jeter les bases de la « fraternité » entre les Etats

hausa en général et de raffermir les relations entre le Gobir et le Daura en créant le cousinage à

plaisanterie, en particulier. Ainsi, Gobirawa et Daurawa dont les fondateurs seraient des frères sont des parents à plaisanter.