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P.Gen. inv. 183 7,5 cm x 8 cm VIe s. ap. J.-C.

Planches VIII et IX Provenance inconnue

Cette petite page d’un codex en parchemin comporte sur chacune de ses deux faces huit lignes presque intégralement conservées. Dans la marge, on distingue encore les trous ayant servi à la reliure. Ces trous permettent de déterminer avec certitude sur quelle face de la feuille se trouvent respectivement le recto et le verso. Marge supérieure : 1 cm ; marge extérieure : 1 cm ; marge inférieure : 2 cm ; marge intérieure : 0,5 cm au recto, 1 cm au verso. Le codex duquel est issu ce parchemin appartient au groupe XIV, dit des miniatures, de la typologie établie par Turner.2 Le texte, écrit à l’encre brune, est encore bien lisible au recto, mais plus effacé au verso. L’écriture, verticale, appartient à la catégorie appelée « majuscule alexandrine » ou « onciale copte ».3 Elle s’en rapproche notamment par la forme de l’alpha, tracé en un trait et surmonté d’une boucle ; delta et

lambda, dont la diagonale descend de gauche à droite en partant d’une boucle ; mu

tracé en une fois avec des traits arrondis ; upsilon tracé en une fois sous la forme d’une paire de cornes recourbées ; phi de taille nettement plus grande que les autres lettres. Certains traits horizontaux sont allongés, créant ainsi des ligatures entre les lettres. Les epsilon, sigma et thêta ont une forme plutôt circulaire et la différence de taille avec les lettres larges mu, nu, omega et eta n’est pas très mar-quée. L’écriture appartient à la forme la plus ancienne de la majuscule alexan-drine, dans laquelle le contraste de taille entre les lettres n’est pas très marqué, et où les lettres epsilon et sigma ont une forme arrondie et non pas ovale. On peut la dater du VIe siècle.4 Le texte comporte quelques signes de ponctuation et d’abréviation. En-dessous du phi de la ligne 16 ¿gure une petite croix.

Ce document comporte un passage de texte en prose qui ne semble pas être connu par ailleurs. Il s’agit d’un monologue dans lequel le locuteur exprime sa perplexité face à sa situation. Les objets en or apparaissant au début de la portion conservée du texte (1 : ǡǛǟȋˌ) sont manifestement en sa possession, comme il ressort de la suite. Le locuteur a été convoqué par un roi, mais ne peut pas partir, peut-être parce qu’il est retenu par ses richesses (2–8). Or ses possessions ne lui servent à rien, puisqu’il ne parvient pas à les dépenser (9–12). Il constate ¿nalement que son corps ressemble à sa propre tombe (13–16). Ces lignes suggèrent que les richesses qu’il détient ont un effet corrupteur.

1 Nous remercions Enrico Norelli pour son aide dans la préparation de ce texte.

2 Cf. E.G. Turner, The Typology of the Early Codex 29–30.

3 Cf. Cavallo / Maehler, GB p. 5 et 23 ; P.Horak 3, introd., p. 11 ; J. Irigoin, JÖB 8 (1959) 49 ; voir aussi 152, introduction.

4 Cf. PSI I 1 (= Cavallo / Maehler, GB 8d ; V/VIe s.) ; P.Amh. II 192 (= Cavallo / Maehler,

151 TEXTE CHRÉTIEN (?) EN PROSE 31 Les deux pages ne comportent aucun élément certain et explicite qui permette de le placer dans un contexte chrétien : on n’y observe aucune mention de Dieu, ni du Christ, ni de personnages ou de concepts explicite-ment chrétiens. Aucun mot ne se prête à une copie sous la forme d’un nomen sacrum. Néanmoins, la structure narrative du passage, les thèmes abordés, ainsi que le format même du livre rendent probable qu’il puisse s’agir d’un passage tiré d’un texte apocryphe chrétien. Les codex de format miniature recensés par Turner sont en majorité des textes chrétiens. Parmi les textes chrétiens, on remarque – par rapport aux autres formats – un plus grand nombre de psautiers et d’écrits apocryphes ; la langue copte est également plus présente.

À titre de comparaison avec notre texte, on peut évoquer un récit ¿gu-rant dans les Actes de Thomas 17, 1 – 20, 2.5 Thomas – appelé aussi Judas – se rend auprès du roi indien Goudnaphar, lequel l’engage comme archi-tecte pour construire un palais. Thomas distribue aux pauvres l’or et l’argent que lui remet le roi, tout en con¿rmant au souverain qu’il est en train de lui construire un palais. Finalement, le roi se rend compte de la supercherie : le palais construit par Thomas sera une vision de l’esprit, et non un bâtiment de pierre. Le fragment de parchemin ne présente aucune correspondance exacte avec le texte des Actes de Thomas, mais on peut relever plusieurs points de contact : la mention d’or ; un roi convoque le personnage ; ce dernier dépense – ou souhaite dépenser – des richesses mises entre ses mains. Notre monologue pourrait ainsi par exemple consti-tuer une sorte de digression sous la forme d’une éthopée dans laquelle Tho-mas, convoqué par le roi pour rendre des comptes, se demanderait com-ment dépenser l’argent qui lui a été con¿é.

La convocation par un roi, liée à l’acquisition de biens matériels, rap-pelle aussi de manière distante la « Parabole du festin », que l’on trouve dans des versions légèrement différentes dans les évangiles de Matthieu (Matth. 22, 1–14), de Luc (Luc 14, 12–24) et de Thomas (Év. de Thomas 64 ; Nag Hammadi Codex II 2 p. 44, 10–35). Dans cette parabole, un personnage ou un roi prépare un festin, puis envoie ses serviteurs chercher les invités ; ces derniers déclinent l’invitation en invoquant différents empêchements. Dans l’Évangile de Thomas, les raisons invoquées par les invités pour ne pas se rendre au festin sont pour la plupart en rapport avec l’acquisition de biens matériels : l’un attend qu’on lui rende de l’argent prêté, l’autre doit s’absenter à cause d’une maison qu’il vient d’acheter, 5 Les Actes de Thomas ont été transmis aussi bien dans une version grecque que syriaque. C’est généralement cette dernière qui sert de base aux traductions en langues modernes. Pour le texte grec, cf. M. Bonnet (éd.), Acta Philippi et Acta Thomae, accedunt Acta Barnabae. Pour une traduction française, cf. P.-H. Poirier / Y. Tissot (trad.), « Actes de Thomas » in Écrits apocryphes chrétiens I 1321–1470.

32 LES PAPYRUS DE GENÈVE tandis qu’un troisième s’apprête à percevoir les rentes que lui rapportent son terrain. En conclusion de cette parabole, Jésus dit que les acheteurs et les marchands n’entreront pas dans la demeure de son père (cf. Thom. 64).

Les deux parallèles qui viennent d’être cités, tirés respectivement des Actes de Thomas et de l’Évangile de Thomas, ne permettent pas d’établir un lien indubitable avec notre nouveau texte. En revanche, ils nous autorisent à considérer que nous pourrions avoir affaire à un récit sinon identique, du moins similaire, produit selon toute vraisemblance dans un contexte chrétien.

Transcription diplomatique Texte élaboré Recto  ǡǛǟȋNj̦ǞǓ˕Ǐǡǣſ  ǚǙǓǑȋNjǓǤǎǙſ  ǏǘNjǚǏȋǞǏǓǕſſ  ǎǓǏǖǏǙnjNjȋǓ  ǕǏǟȋǔNjǓǙǟ  ǎſǗǙǖNjǓ  NjǚǏǕǒǏǓǗ  ǚǛǙȋNjǟǞ҄ Recto  ǡǛǟȋˌǞʐȵǡǣſ  ǚǙǓ˛ȋNjǓɍǎǙʓſ  ȱǘNjǚʌȋǞǏǓǕſǏſ  ǎǓ̦ȱǖʋɞnjNjȋǓ  ǕǏʓȋǔNjʏǙɩ  ǎʔſǗǙǖNjǓ  ȡǚǏǕǒǏ˩Ǘ  ǚǛʑȋNjɩǞʒ Ǘ  Verso  ǙǟſǞǣȋǖǑſ  ǎſǏſǗǎNjǚſſǗſſ  ſǣǗǏǗǞſǑſ  ǡſǏſǓſǛǓǖǙǟ  ſNjǗǍNjǛȋǣſ  ǖſNjſǞſǣȋǡǑ  ǖNjǞǓǞǙǟǞſſ  ǠǙſǟǖǙſǟǏſſǓſſǏſ   Verso  ǙɮſǞǣȋǖǑſ  ǎſʋſǗǎNjǚſNjſǗſ̅ſ Ǘ   Ǟſ̅ǗȱǗǞſ˜ſ  ǡſǏſǓſǛʐǖǙǟƤ  ǚſˌǗǍʉǛȋ̅ſ  ǖſNjſǞſ̆ȋǡʎ  ǖNjǞǓǞǙ˸Ǟſʊſ  ǠǙſǟǖǙſǟȵſǙſǓſǔſǏſ   6 ǎʔǗNjǖNjǓ Recto

(…) en or. Que puis-je faire ? Voici que le roi a envoyé (des émissaires) à cause de moi et je ne puis me rendre auprès de lui,

Verso

ainsi sans rien dépenser de ce qui est dans ma main : car tout (mon) corps ressemble à l’aspect de ma tombe.

151 TEXTE CHRÉTIEN (?) EN PROSE 33

9–10 ǖǑſ_ǎſʋſǗǎNjǚſNjſǗſ̅ſ Ǘ . À la ¿n de la ligne 10, il n’y a pas assez de place pour le ny ¿nal. Il faut donc postuler la présence d’un trait horizontal au-dessus de l’omega, par analogie avec NjǟǞ҄ NjɩǞʒ Ǘ à la ligne 8. Ce trait n’est pas visible sur le parchemin car l’encre est très effacée à cet endroit. Un indicatif ǎNjǚNjǗʊǣ semble exclu à cause de la présence de ǖǑſ_ǎſʌſǗ. L’embarras de celui qui a amassé de l’argent mais ne peut le dépenser rappelle le début d’une épigramme de Nicarque (Anth. Pal. 11, 397, 1– 2) : ǚǙǕǕʉȋǖǟǛǓʊǎNjȋǢǑǠʐǐǣǗȩǛǞǏǖʐǎǣǛǙȋ_ǔNjʏǖǑǎʋǗǎNjǚNjǗ̅Ǘǐ˜njʐǙǗȾǖǓʒǗǣǗ « Artemidoros compte ses (drachmes) innombrables, et mène la vie des mules sans rien dépenser. »