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176 ORDRE DE RESTITUTION ADRESSÉ À UN MAGISTRAT

P.Gen. inv. 400 recto 8,2 cm x 27, 3 cm 360 ap. J.-C.

Planche XLI Provenance inconnue

Un texte différent a été écrit sur chacune des faces du papyrus, dans les deux cas en suivant le sens des fibres. Le contenu et la présentation de cette face-ci permet néanmoins de parler – par un léger abus de langage – du « recto », c’est-à-dire en l’occurrence de la face utilisée en premier.1 Le « verso » est déjà publié : cf. 80. Le papyrus se présente sous la forme d’un rectangle couché, bien conservé dans l’ensemble : seuls deux coins ont été rognés de manière symétrique. On observe aussi une symétrie dans quelques trous situés au centre de la feuille, ce qui s’explique par le fait que le papyrus a été plié en quatre. Le texte est écrit d’une main très ample, cursive et assez élégante. On y reconnaît le travail d’un scribe très exercé, plus libre que s’il pratiquait le style dit de chancellerie.2 L’encre est plutôt claire et peu contrastée, surtout par comparaison avec l’autre face, où le contraste est excellent. Le texte occupe l’ensemble de la feuille. On pourrait se demander si le scribe n’a pas détaché ce morceau de papyrus d’un rouleau seulement après avoir terminé la rédaction de son message. Sur l’autre face, en revanche, il s’agit d’un remploi : un scribe a recyclé la feuille pour y inscrire une liste, identifiée dans la révision de 80 comme servant à préparer un voyage. Le texte se présente comme une note adressée à Flavius Posidonios, magis-trat du nome arsinoïte. Si l’on trouve la formule de salutation ǡNjʐǛǏǓǗ, habi-tuelle dans les lettres, en revanche le nom de l’expéditeur ne figure pas et le message ne se termine par aucune forme de politesse, mais simplement par la mention du consulat, sans le mois ni le jour. L’expéditeur se désigne par l’expression Ǟ˜ ȱǖ˜ ǔNjǒǙȋǓʖȋǓ (l. ȋǏǓ), tournure usuelle pour un membre de la haute administration. Par comparaison avec des documents parallèles, on peut penser notamment au praeses Augustamnicae ; cf. notes aux lignes 2 et 3.3 Le praeses assume le pouvoir civil, par opposition au pouvoir militaire, qui est entre les mains du dux. Dans tous les cas, l’expé-diteur est manifestement dans une position hiérarchique supérieure à celle de Flavius Posidonios. Ce dernier lui a adressé la copie d’une pétition et l’expéditeur du présent message fournit une réponse très brève : Flavius Posidonios doit restituer des biens dont la nature précise nous échappe. 1 Le terme « recto » ne devrait s’appliquer – stricto sensu – qu’à la page de droite d’un

codex. Cf. E.G. Turner, The Terms Recto and Verso.

2 Sur le style de chancellerie, cf. G. Cavallo, Aegyptus 45 (1965) 216–249.

3 Le découpage administratif de l’Égypte a passablement varié au IVe siècle. À la date de rédaction de notre document (360 ap. J.-C.), l’Heptanomia – correspondant à la Moyenne Égypte – faisait partie de l’Augustamnica. Cf. R.S. Bagnall, Egypt in Late Antiquity 63 ; A.K. Bowman, Egypt after the Pharaos 79.

170 LES PAPYRUS DE GENÈVE Par son contenu aussi bien que par les niveaux hiérarchiques impliqués dans l’échange, ce document rappelle d’assez près une série de papyrus publiés dans P.Oxy. L 3577–3579, datant des années 341–343. Il s’agit dans tous les cas d’une correspondance impliquant trois instances : un pétitionnaire, un représentant des autorités d’Oxyrhynque, et le praeses Augustamnicae. C’est le praeses qui décide de la suite à donner à la requête et qui charge les autorités locales de faire appliquer sa décision. Dans P.Oxy. L 3577 et 3579, nous avons affaire à un document original émanant de la chancellerie du praeses, reconnaissable par son écriture caractéristique. On trouvera un autre cas similaire dans P.Oxy. XLIII 3129 (= ChLA XLVII 1419 = CEL III 224 bis 1 ; cf. pl. XI). P.Oxy. L 3578, en revanche, est un document envoyé par un particulier à un irénarque, où il est fait allusion à une pétition soumise au praeses Augustamnicae.

Pour en revenir au présent document, l’écriture certes très élégante ne présente cependant pas les caractéristiques les plus frappantes du style de chancellerie. Cette différence pourrait s’expliquer de plusieurs manières : soit l’expéditeur ne serait pas un praeses Augustamnicae, mais un autre représentant des autorités, à un niveau subalterne ; soit le style de chancellerie utilisé par l’administration centrale de la province aurait évolué dans la période entre 343 et 360 ap. J.-C. Un tel développement, vers la moitié du IVe siècle, est déjà suggéré par Cavallo, lequel se réfère à P.Abinn. 3 (= P.Lond. II 234 [p. 286] = W.Chr. 179 ; 345–350 ap. J.-C.).4 Il aurait donné naissance à la cursive de la période byzantine. Les dernières attestations du style de chancellerie semblent en effet dater du milieu du IVe siècle.5 Notre document ne serait donc qu’un maillon de plus dans la chaîne menant du style de chancellerie du Haut Empire à la cursive byzan-tine.

La date du papyrus (360 ap. J.-C.) étant assurée par les lignes 4–5, il reste à revenir sur le rapport chronologique entre les deux faces du papy-rus. Rappelons que, sur les deux faces, l’écriture suit le sens des fibres. Selon toute probabilité, la feuille a été utilisée en premier sur cette face-ci, avant qu’un second scribe ne la récupère pour rédiger une liste (80). Lors de la révision de 80, il avait été suggéré que ce document pouvait faire partie du lot des archives d’Abinnaeus. Cette impression était corroborée par le fait que, au moment de son achat, le papyrus figurait dans le même lot que la correspondance d’Abinnaeus. La datation plus précise de la face primaire remet à présent en cause cette hypothèse, puisque le dernier docu-4 Cf. Cavallo 244–245 et Tav. 14.

5 Le cas aberrant de SB IV 7380 (= P.Lond. inv. 2038 chez Cavallo), que ce dernier datait autour du début du Ve siècle, peut désormais être placé plutôt autour de 316 ap. J.-C. Cf. K.A. Worp in C.A. Hope / G.E. Bowen (éd.), The Dakhleh Oasis Project : Preliminary Reports on the 1994–1995 to 1998–1999 Field Seasons 347.

176 ORDRE DE RESTITUTION ADRESSÉ À UN MAGISTRAT 171 ment des archives d’Abinnaeus date du 11 février 351 ap. J.-C., et que l’année 360 constitue désormais un terminus post quem pour la liste conservée par 80.6 En 351, à l’âge de 65 ans, Abinnaeus a vraisemblablement démissionné de son poste de praefectus alae. Si le papyrus appartenait à ses archives, il faudrait supposer un long intervalle d’au moins neuf ans sans le moindre document, puis la rédaction par Abinnaeus ou l’un de ses proches d’une liste qui aurait été conservée avec le reste. Une telle explication reste possible, mais elle semble assez peu économique. On s’explique par ailleurs mal comment le message adressé à Flavius Posidonios serait arrivé entre les mains d’Abinnaeus : du temps où il exerçait son activité de praefectus alae, les pétitions qui lui étaient adressées demandaient régulièrement l’intervention de l’autorité militaire, en la personne du dux.7 Si l’on écarte un lien direct avec les archives d’Abinnaeus, on peut supposer que Flavius Posidonios lui-même ou une personne de son entourage, après avoir reçu un message de la part d’un représentant des autorités, peut-être le praeses Augustamnicae, a recyclé le morceau de papyrus pour dresser une liste en vue d’un voyage. Cela n’explique toutefois pas ce que faisait ce papyrus dans le lot des archives d’Abinnaeus.  ǀ>ǕNj@ǟʐ ̃ ƻǙȋǓǎǣǗʐ̃ǚǛǙǚǙǕ ǓǞǏǟǙǖʌǗ̃ ȩǛȋǓ>Ǘ@Ǚſ˨ǞſǙǟǡNjʐǛǏǓǗ  >ȡǗǞ@ʐſ>Ǎ@Ǜſ>Nj@ǠſǙǗǕǓnjʌǕǕǙǟſ>ǚ@ǛǙǏǔǙǖʐȋǒǑǚNjǛʉſȋſǙſ˸  Ǟ˜ȱǖ˜ǔNjǒǙȋǓʖȋǓǠǛʒǗǞǓȋǙǗȡǚǙǔNjǞNjȋǞ˛ȋNjǓ      ſſſǙſǗſǞſNjſ  ǞʉɪǚſʊſǛǡǙǗǞNjɪǚNjǞʐNjȋǞſ̅ſǗſǎſǏſȋſǚſʒſǞſǣſǗſȾǖ̅ǗƵǣǗȋǞNjǗǞʐǙǟ  >Ƭ@ɩſǍǙʔȋǞǙǟǞʑǓǔNjʏɕǙǟǕǓNjǗǙ˸ǞǙ˸ȱſǚſǓſǠſNjſǗſǏſȋſǞſʊſǞſǙſǟſƵſNjſʐſȋſNjſǛǙȋǞʑǍų 3 l. ǔNjǒǙȋǓʖȋǏǓ 4 l. ɪǚNjǞǏʐNjȋ

À Flavius Posidonios, citoyen éminent de l’Arsinoïte, salut. Une copie d’une pétition a été remise de ta part à ma dévotion. Prends soin de restituer (…) les biens. Sous le consulat de nos maîtres Constance, Auguste pour la 10e

fois, et Julien, vir nobilissimus, César pour la 3e fois.

1 ǀ>ǕNj@ǟ˨ ̃  ƻǙȋǓǎǣǗʐ̃ ǚǛǙǚǙǕ ǓǞǏǟǖǙʌǗ̃  ȩǛȋǓ>Ǘ@ǙſʐǞſǙǟ. La place disponible ne permet pas de lire ǀǕNjǙǟ˨̃. Flavius Posidonios apparaît ici pour la première fois dans la documentation papyrologique. Quant au terme ǚǛǙǚǙǕǓǞǏǟʒǖǏǗǙȋ, attesté dès la fin du IIIe s. ap. J.-C. et apparaissant fréquemment au IVe siècle, il désigne un

6 Pour la date de 351, cf. P.Abinn. 55 (= P.Lond. II 412 [p. 279]), mentionné dans l’introduction de P.Abinn., p. 12.

172 LES PAPYRUS DE GENÈVE magistrat d’une ǚʒǕǓȋ d’Égypte, sans préciser le type de magistrature. Cf. A.K. Bowman, The Town Councils of Egypt 155–158 ; K.A. Worp, ZPE 115 (1997) 201–220 ; N. Gonis, in P.Worp 26, introduction : « ƻƺƶƴƾưƿƺƷưƸƺƴ and ƭƺƿƶưƿƾƬƴ again ». La tournure ǚǛǙǚǙǕǓǞǏǟʒǖǏǗǙȋȩǛȋǓǗǙ˨ǞǙǟn’a pour l’instant pas de parallèle. On trouve en revanche un certain ƬɩǛʎǕǓǙȋ ưɩǕʒǍſǏǓſǙȋ ȩǗǎǛʌNjſ ȵǗNjǛǡǙȋ ǚǛʔǞNjǗǓȋ _ ǚǛǙǚǙǕǓǞǏǟʒǖǏǗǙſ>ȋ@ Ǟſ˛ſȋſ ȩǛȋǓǗǙǤǞ̅Ǘ ǚʒǕǏǣȋ dans P.Abinn. 58, 4–5 (= P.Lond. II 233 [p. 273] = W.Chr. 44 = FIRA III 160 ; Ptolemaïs Euergetis, 345 ap. J.-C.).

2 >ȡǗǞ@ʐſ>Ǎ@Ǜſ>Nj@ǠſǙǗ ǕǓnjʌǕǕǙǟſ >ǚ@ǛǙǏǔǙǖʐȋǒǑ ǚNjǛʉſ ȋſǙſ˸. Cette tournure trouve un parallèle assez proche dans P.Oxy. L 3578, 3–5 (Oxyrhynque, 342 ap. J.-C.) : ʀǗ ȡǗʎǗǏǍǔNjȱǚʏǞʑǗǔʔǛ>Ǔʒ@ǗǖſǙſǟſ_ǞʑǗǎǓNjȋǑǖſʒſ>ǞNjǞǙǗȾǍǏǖʒǗ@NjſǞ˛ȋƬɩǍǙǟȋǞNjǖ>ǗǓ@ǔ˛ȋ ǀǕʊǙǟǤǙǗ ɕǙʔǕǓǙǗ ƬɩȋʒǗǓǙǗ Ǟʑ ȡǗǞʐǞǓǚſǙ Ǘ  (l. ǞǟǚǙǗ) _ ɪǚǙǞʊǘNjȋ Ǖſʐſ>njǏǕǕǙǗ ȱǚǓǎʐ@ǎǣǖǓ « Ayant joint une copie de ce que j’ai transmis à mon maître préfet de l’Augustamnica, Flavius Iulius Ausonius, vir perfectissimus, je joins ci-dessous une pétition. »

3 Ǟ˜ ȱǖ˜ ǔNjǒǙȋǓʖȋǓ (l. ȋǏǓ). Cette périphrase utilisée par l’expéditeur pour se désigner soi-même permet d’affirmer sa loyauté au pouvoir impérial ; cf. P.Oxy. LXIII 4369, 5 note. Dans P.Oxy. L 3579, 3–4 (= ChLA XLVII 1422 = CEL III 225 quinquies ; Oxyrhynque, 341–343 ap. J.-C.), un praeses

Augustamni-cae écrit à un ǚǛǙǚǙǕ ǓǞǏǟǙǖʌǗ̃ ɣǘ>ǟ@ǛſǟſǍſǡſ>ǓǞ@̅ſǗſ de la manière suivante :

ǕʐnjǏǕǕſ>ǙǗ@_ȱǚǓǎǙʓȋǞ˜ȱſǖ˜ǔNjǒǙȋǓʖȋǏ>Ǔ@. Le document est rédigé dans une écriture dite de chancellerie ; cf. pl. XVIII. Dans P.Oxy. L 3577, 4 (= ChLA XLVII 1421 = CEL III 225 quater ; Héracléopolis, 342 ap. J.-C.), une autre lettre écrite par un

praeses Augustamnicae à deux ǚǛǙǚǙǕ ǓǞǏǟǙǖʌǗǙǓȋ  ɣǘǟǛǟǍǡǓǞ̅Ǘ également dans

le style de chancellerie (cf. pl. XVII), l’expéditeur se réfère à des personnes ǚǛʒȋǞNjǍǖNjȵǡǙǟȋǓǗǞ˛ȋȱǖ˛ȋǔNjǒǙȋǓʖȋǏǣȋ « bénéficiant d’une ordonnance émanant de ma dévotion ». Sur le participe ǔNjǒǣȋǓǣǖʌǗǙȋ, cf. 178, verso 1, note.

ȡǚǙǔNjǞNjȋǞ˛ȋNjǓ. Cf. P.Oxy. L 3577, 6–7 : ȡǚǙǔNjǞNjȋǞʎȋNjǞǏ Ǟʑ ǡǛǟȋʐǙǗ ǔNjʏ _ ǞʑǗ ȥǛǍǟǛǙǗ « restituez l’or et l’argent ».

4–5. Le 10e consulat de Constance Auguste = 3e consulat de Julien César correspond à l’année 360 ap. J.-C. ; cf. Bagnall / Worp, CSBE2 136.