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La dangereuse adoption d’une définition commune sur le terrorisme

Section 2 : Le droit et la définition du terrorisme

2. Le terrorisme d’Etat, une réalité non prise en considération dans la définition donnée par

l’Union européenne de l’infraction terroriste

Bien que le terrorisme d’Etat soit une réalité, la définition donnée de l’infraction terroriste par l’Union européenne dans la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme, ne le retient pas, et même l’écarte dès le Préambule. En effet, le paragraphe 11 du Préambule de la décision-cadre, dispose que : «La présente décision-cadre ne régit pas les activités des

forces armées en période de conflit armé, au sens donné en ces termes en droit

183

Définition du «terrorisme d’Etat»donnée par G. GUILLAUME, op. cit., p. 299.

184 Pourtant, une tentative d’inclure le «terrorisme d’Etat»dans un texte juridique international a bien existé, mais a échoué. Il s’agissait de la tentative menée par la Commission de droit international des Nations Unies dans les années 1990 de faire figurer dans son projet de Code des crimes contre l’humanité, le «terrorisme d’Etat ». Voir le Rapport de la Commission de droit international, 1995, Assemblée générale, supplément n° 10 (A/50/10), paragraphe n° 105 et suivantes.

185 LABAYLE H., Droit international et lutte contre le terrorisme, Annuaire français de droit international, 1986, p. 124.

international humanitaire186, qui sont régies par ce droit, et les activités menées par les forces armées d’un Etat dans l’exercice de leurs fonctions officielles, en tant qu’elles sont régies par d’autres règles de droit international». Ce paragraphe reprend ainsi exactement

les termes de l’article 19, paragraphe 2, de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif du 15 décembre 1997.

Or, selon le droit international humanitaire, et en particulier selon les Protocoles additionnels I et II aux Conventions de Genève du 12 août 1949, rentrent dans les champs d’application desdits Protocoles «(…) les conflits armés dans lesquels les peuples luttent

contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (…)»187, ainsi que «(…) tous

les conflits armés qui ne sont pas couverts par l’article premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 2 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d’une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées (…)»188.

Alors que l’article 1, paragraphe 4, du Protocole additionnel I inclut dans son champ d’application ce qu’il convient de qualifier de «combattants de la liberté», l’article 1, paragraphe 1, du Protocole additionnel II inclut tous les conflits armés non internationaux. Il peut alors être déduit que les combattants de la liberté et les parties à un conflit armé non international, plus communément appelé guerre civile, sont exclus du champ d’application de la décision-cadre. En d’autres termes, ces combattants et parties ne rentrent pas dans la catégorie des personnes susceptibles de commettre un acte de terrorisme tel que défini à l’article 1 de la décision-cadre.

186 «Les forces armées d’une partie à un conflit se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les

unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette partie, même si celle-ci est représentée par un gouvernement ou une autorité non reconnus par une partie adverse. Ces forces armées doivent être soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés »selon l’article 43 du

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, Protocole I, 8 juin 1977.

187 Extrait de l’article 1, paragraphe 4, du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, Protocole I, 8 juin 1977.

188 Extrait de l’article 1, paragraphe 1, du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, Protocole II, 8 juin 1977.

De plus, l’expression «activités menées par les forces armées d’un Etat dans l’exercice de leurs fonctions officielles» exclut clairement le terrorisme d’Etat et dans le cas présent du «terrorisme national d’Etat».

En résumé, la décision-cadre élimine de son champ d’application le «terrorisme national d’Etat» et semble totalement oublier le «terrorisme international d’Etat».

L’Union européenne a donc fait le choix, a priori, d’adopter une définition commune de l’infraction terroriste dans laquelle le terrorisme d’Etat n’a pas été retenu. Mais, il s’agit d’un choix qui ne peut être qualifié que d’a priori. En effet, contrairement à la décision-cadre, la position commune du 27 décembre 2001 relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme189, n’est pas aussi catégorique. Ladite position commune avait comme objectif de dresser une liste des personnes, groupes et entités auxquels s’applique la position commune, c’est-à-dire une liste «noire» des personnes, groupes et entités connues pour leurs activités terroristes. La dernière révision en date de cette liste190 identifie encore des personnes, groupes et entités qui indiquent que la position commune n’exclut pas de son champ d’application les combattants de la liberté et le terrorisme d’Etat.

La définition commune de l’infraction terroriste telle que retenue par l’Union européenne est déficitaire en termes de respect de l’Etat de droit. Elle soulève beaucoup d’interrogations sur le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales. De ces interrogations, deux autres se posent comme résultantes à ce qui vient d’être présenté : tout d'abord, est-il possible de mettre au point une définition commune du terrorisme, et ensuite, cela est-il vraiment nécessaire ? En d’autres termes, trouver une définition commune du terrorisme, ne serait-ce pas un «vrai-faux» obstacle ?

189

Position commune 2001/931/PESC du 27 décembre 2001 relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, Journal officiel des Communautés européennes, L 344, 28 décembre 2001, p. 93.

190 Une nouvelle liste a été publiée le 15 juillet 2008. Quarante-six personnes et quarante-huit groupes et entités y sont identifiés et parmi ceux-ci, vingt-huit personnes et trente groupes sont soumis à des mesures restrictives, c’est-à-dire le gel des avoirs. Position commune 2008/586/PESC du Conseil du 15 juillet 2008, mettant à jour la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme et abrogeant la position commune 2007/871/PESC, Journal officiel des Communautés européennes, L 188 du 16 juillet 2008, p. 71.

Section 3 : Trouver une définition commune du terrorisme,

un «vrai-faux» obstacle ?

Trouver une définition commune de l’infraction terroriste : est-ce là la priorité, est-ce si nécessaire pour combattre ce fléau ? Tant de difficultés, de débats, d’oppositions, de contradictions autour de la définition de l’infraction terroriste. Cela ne s’explique-t-il tout simplement pas par le fait qu’il est quasiment impossible de définir en droit le terrorisme en raison de son extrême complexité et subjectivité, et qu’une lutte efficace contre ce dernier pourrait se faire sans définition commune ? Cette «quête» vers une définition commune du terrorisme ne détournerait-elle pas de la vraie priorité qui est de le faire reculer ? Une chose est sûre : trouver une définition commune du terrorisme constitue une difficulté, un obstacle indéniable. Reste alors à se demander si cet obstacle ne pourrait pas être contourné ou tout simplement éludé.

Sous-section 1 : Trouver une définition commune du terrorisme : un vrai obstacle

Parvenir à trouver une définition commune du terrorisme constitue un vrai obstacle dans la mesure où il demeure particulièrement difficile d’établir une distinction précise et définitive entre le terroriste et le combattant de la liberté et, que les mentions nécessaires à l’élaboration d’une définition la plus précise possible sont extrêmement, voire trop nombreuses.

Paragraphe 1: «Terroriste pour l’un, combattant de la liberté pour l’autre»

Sous le vocable «terrorisme» se cache une grande complexité et une ambiguïté due au fait que ce terme possède «une charge émotionnelle et politique très grande»191. Il est de ce fait particulièrement difficile d’établir une définition qui laisse de côté tout jugement de valeur car «derrière l’enjeu de la définition du terrorisme se retrouvent en effet d’âpres

191 LAMBERT J. J., Terrorism and Hostages in International Law, Grotius publications Ltd., Cambridge, 1990, p. 13.

combats pour la légitimité et la stigmatisation des comportements de l’adversaire qui rendent au final impossible tout accord sur le contenu du concept»192.

Le terrorisme est un phénomène imprégné de jugements de valeur. Cet handicap à la rédaction d’une définition juridique du terrorisme se traduit par la célèbre formule «terroriste pour l’un, combattant de la liberté pour l’autre». Comme le souligne G. Guillaume, «(…) certains ont tendance à user de ce terme pour qualifier le

comportement des Etats ou des mouvements auxquels ils sont hostiles, tandis que d’autres en récusent l’emploi pour les régimes ou les groupements auxquels ils sont favorables»193. On ne peut être plus clair: l’accusation de terrorisme tombe selon ce qui arrange, sert les intérêts de l’accusateur. Le terrorisme apparaît alors comme un outil au service du politique qui dénonce, discrédite et accuse mais n’explique pas194.

Adopter une définition commune du terrorisme reviendrait à prendre partie pour un camp plutôt que pour un autre. En effet, puisque la signification du terrorisme varie considérablement selon les époques, les lieux et les rapports de force qui existent entre les différents acteurs195, il est extrêmement difficile de pouvoir parvenir à une définition harmonisée qui satisfait les différentes parties. Dans ce contexte, une définition dite «universelle» du terrorisme, c’est-à-dire une définition sur laquelle s’accorde la communauté internationale dans son ensemble, est une utopie. Reste la possibilité d’établir des définitions communes régionales du terrorisme. Mais une fois de plus, ces définitions ne sont que l’expression du jugement de valeur qu’un groupe porte sur le terrorisme. C’est pour ces raisons que D. Duez qualifie le terrorisme de «construction sociale» par laquelle un groupe impose à un autre le qualificatif terroriste196. Ce raisonnement est par ailleurs d’autant plus vrai en droit que ce dernier est lui-même, pour ce qui est du terrorisme, le «vecteur d’une certaine représentation de la société et de son agencement» 197.

192

DUEZ D., De la définition à la labellisation : le terrorisme comme construction sociale, dans BANNELIER K., CHRISTAKIS T., CORTEN O., DELCOURT B., op. cit., p. 106.

193 GUILLAUME G., op. cit., p. 295.

194 DUEZ D., op. cit., p. 118.

195

Ibid., p. 113.

196 Ibid., p.113.

197 PAYE O., Approche sociopolitique de la production législative : le droit comme indicateur de processus de

décision et de représentation politique, dans COMMAILLE J., DUMOULIN L. et ROBERT C. (dir.), La juridicisation du politique. Leçons scientifiques, Réseau européen droit et société, 2000, p. 222.

L’importance de cette charge émotionnelle et politique rend ainsi la rédaction d’une définition commune du terrorisme particulièrement ardue et l’obstacle grandit encore à mesure qu’il est fait mention de tous les éléments qui seraient nécessaires à l’établissement d’une définition digne de ce nom.

Paragraphe 2: Exhaustivité des mentions nécessaires à l’élaboration d’une définition du terrorisme la plus précise possible

Comme le rappelle J. M. Sorel en ce qui concerne le problème définitionnel du terrorisme198, les diverses définitions déjà existantes semblent s’accorder sur la méthode qui consiste en l’usage aveugle de la violence, sur la qualification de l’acte qui est toujours un acte criminel grave, sur les conséquences de cet acte qui sont de graves dommages matériels et/ou humains publics et/ou privés, ainsi que sur l’objectif qui est de créer un climat de terreur. Pourtant, le doute demeure pour ce qui est de la motivation d’un acte terroriste ainsi que de ses auteurs et instigateurs. Autre élément important généralement incomplet dans les définitions existantes, la nature précise de l’acte à savoir la prise en considération des diverses formes possibles de terrorisme.