• Aucun résultat trouvé

Le principe de reconnaissance mutuelle, condition nécessaire mais non suffisante au développement d'un espace pénal européen

Section 1: En amont du principe de reconnaissance mutuelle, la confiance mutuelle

1. Premières apparitions timides du concept de confiance mutuelle…

La toute première trace écrite du concept de confiance mutuelle se trouve dans le Programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales338. Se fondant sur les conclusions du Conseil européen de Tampere qui fait de la reconnaissance mutuelle la «pierre angulaire» de la coopération judiciaire en matière civile et pénale de l'Union européenne, le Programme introduit le concept de confiance mutuelle en ces termes: «la mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales

suppose une confiance réciproque des Etats membres dans leurs systèmes de justice pénale respectifs. Cette confiance repose en particulier sur le socle commun que constitue leur attachement aux principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'Etat de droit»339. Ainsi, non seulement le Programme introduit le concept de confiance mutuelle comme condition à la reconnaissance mutuelle, mais encore, il explicite sur quoi cette confiance mutuelle repose.

338 Programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales, Journal officiel, C 12, 15 janvier 2001.

339

Cet "élan" pour la confiance mutuelle ne va pas se retrouver dans les textes suivants. Cette réserve se traduit de deux façons: soit le concept n'est tout simplement pas mentionné340, soit, quand par chance il l'est, ce n'est qu'en des termes laconiques. Ainsi, à titre d'exemple, les conclusions de la présidence du Conseil européen de Laeken introduisent la mise en place «d'un réseau européen pour encourager la formation des magistrats, qui servira à développer

la confiance entre les acteurs de la coopération judiciaire»341 et, la décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen précise seulement que «le mécanisme du mandat d'arrêt européen

repose sur un degré de confiance élevé entre les Etats membres»342.

2. …et toujours pas de réelle consécration

Une certaine consécration pourrait être trouvée dans le Programme de La Haye. Successeur de Tampere, le Programme de La Haye adopté lors du Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004343 et portant sur le renforcement de la liberté, de la sécurité et de la justice dans l'Union européenne, constitue le nouveau programme pluriannuel sur cinq années en matière de sécurité dans l'Union européenne. Sa troisième partie, consacrée au renforcement de la justice, contient une deuxième sous-partie intitulée "accroître la confiance mutuelle". Il y est fait mention du sentiment commun de justice pour tous les citoyens européens et dont la réalisation passe par l'amélioration de la compréhension mutuelle entre les autorités judiciaires et les différents systèmes juridiques.

Toutefois, il est difficile de parler de réelle consécration du concept de confiance mutuelle quand des deux textes qui traitent véritablement de celle-ci, l'un n'a aucune valeur contraignante et l'autre n'est pas toujours pas entré en vigueur.

340 Ce qui est le cas de la plupart des textes européens de droit dérivé portant sur le principe de reconnaissance mutuelle comme la décision-cadre relative au gel de biens ou d'éléments de preuve du 22 juillet 2003, la décision-cadre sur l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires du 24 février 2005, ou encore la décision-cadre relative à l'échange d'informations extraites du casier judiciaire du 21 novembre 2005.

341 Conclusions de la présidence, Conseil européen de Laeken, 14 et 15 décembre 2001, paragraphe 43, "Eurojust et coopération judiciaire et policière en matière pénale".

342 Considérant 10 du texte de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres.

343 Le Programme de La Haye: renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004, Journal officiel, C 53/1, 3 mars 2005.

Ainsi, il existe un acte européen traitant spécifiquement des reconnaissance et confiance mutuelles: la Communication de la Commission européenne sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière pénale et le renforcement de la confiance mutuelle entre les Etats membres. Après rappel des conclusions du Conseil européen de Tampere, cette Communication souligne que le développement du principe de reconnaissance mutuelle est lié à l'accroissement de la confiance mutuelle entre Etats membres344. Le texte est structuré en deux parties: une première intitulée «poursuivre la mise en œuvre du principe de

reconnaissance mutuelle» et une deuxième «renforcer la confiance mutuelle». Ainsi, une

partie entière est consacrée au concept de confiance mutuelle et suggère le renforcement de celui-ci par le biais de mesures législatives et d'accompagnement pratiques. Cependant, cet acte n'étant qu'une communication de la Commission européenne, il n'a aucune valeur contraignante, il ne s'agit que d'un acte préparatoire puisque adopté en amont du processus de décision.

Autre texte qui pourrait consacrer le concept de confiance mutuelle, le Traité établissant une Constitution pour l'Europe qui précise dans son Titre premier, «définitions et objectifs de l'Union», à l'article 42 que «l'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice:

en favorisant la confiance mutuelle entre les autorités compétentes des Etats membres, en particulier sur la base de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires»345. Malheureusement, le «Traité établissant une Constitution pour l’Europe» signé à Rome par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne le 29 octobre 2004, n’a jamais été ratifié et le Traité de Lisbonne346, consacre certes le principe de reconnaissance mutuelle mais pas celui de confiance347.

344 Paragraphe 1 de l'introduction de la Communication.

345 Titre premier, article 42, paragraphe 1, b du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, Journal officiel, C 310, 16 décembre 2004.

346

A la différence du Traité de Rome de 2004, qui refondait l’ensemble des traités signés en un texte unique avec des modifications et des compléments, le Traité de Lisbonne est un traité modificatif. Cependant, ce nouveau Traité ne s’avère être qu’une nouvelle «version»du Traité de Rome puisqu’il reprend quasi intégralement les propositions institutionnelles de ce dernier en les présentant dans un ordre différent.

347 Aux termes de l'article 82, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union, «la coopération

judiciaire en matière pénale dans l'Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres dans les domaines visés au paragraphe 2 et à l'article 83».

Cet article 42 du «Traité constitutionnel» révèle deux caractéristiques propres au concept de confiance mutuelle: tout d'abord, la notion est toujours abordée de façon très laconique ce qui s'explique par et confirme le manque de recul sur cette notion, et d'autre part, en faisant de la confiance mutuelle une des conséquences de la reconnaissance mutuelle et non une condition, il révèle toutes les contradictions dans l'interprétation de ce concept.

Paragraphe 2: Contradictions sur le sens donné au concept de confiance mutuelle en relation avec le principe de reconnaissance mutuelle

A la lecture des quelques textes qui traitent du concept de confiance mutuelle, il apparaît clairement que ce concept a été développé par rapport au principe de reconnaissance mutuelle. Cependant, la place qu'occupe la confiance mutuelle dans le développement de la reconnaissance mutuelle reste incertaine.