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La dangereuse adoption d’une définition commune sur le terrorisme

Section 2 : Le droit et la définition du terrorisme

2. Les actes intentionnels énumérés : un élément objectif à interprétations variables

Après l’énoncé de l’élément subjectif de la définition de l’acte terroriste, s’ensuit l’élément objectif, c’est-à-dire l’énumération des actes intentionnels constitutifs d’infractions terroristes. Ces actes intentionnels sont les suivants :

a) les atteintes contre la vie d’une personne pouvant entraîner la mort ; b) les atteintes graves à l’intégrité physique d’une personne ;

c) l’enlèvement ou la prise d’otage ;

d) le fait de causer des destructions massives à une installation gouvernementale ou publique, à un système de transport, à une infrastructure, y compris un système informatique, à une plate-forme fixe située sur le plateau continental, à un lieu public ou une propriété privée susceptible de mettre en danger des vies humaines ou de produire des pertes économiques considérables ;

e) la capture d’aéronefs et de navires ou d’autres moyens de transport collectifs ou de marchandises ;

f) la fabrication, la possession, l’acquisition, le transport ou la fourniture ou l’utilisation d’armes à feu, d’explosifs, d’armes nucléaires, biologiques et chimiques ainsi que, pour les armes biologiques et chimiques, la recherche et le développement ;

g) la libération de substances dangereuses, ou la provocation d’incendies, d’inondations ou d’explosions, ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ;

h) la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource naturelle fondamentale ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines;

Une seconde décision-cadre du 28 novembre 2008170 vient ajouter, sous couvert de l'intensification et de l'évolution rapide de la menace terroriste, six autres actes:

a) la provocation publique à commettre une infraction terroriste; b) le recrutement pour le terrorisme;

c) l’entraînement pour le terrorisme;

d) le vol aggravé en vue de commettre l’une des infractions énumérées à l’article 1er, paragraphe 1;

e) le chantage en vue de commettre l’une des infractions énumérées à l’article 1er, paragraphe 1;

f) l’établissement de faux documents administratifs en vue de commettre l’une des infractions énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, points a) à h), ainsi qu’à l’article 2, paragraphe 2, point b).

Voici donc l’élément objectif de la définition européenne du terrorisme : une série d’actes, déjà incriminés dans les législations pénales des Etats membres. Cette série, bien que un peu plus précise que celle donnée en 2001, a fait l’objet de critiques de la part de diverses organisations non gouvernementales171 comme étant trop extensive, propice à des interprétations variables et, par conséquent, pouvant permettre une fois encore de qualifier de terroristes des actes qui ne devraient, sous peine d’enfreindre les libertés fondamentales, être qualifiés comme tels. Cette critique qui n’est pas nouvelle dénonce la facilité avec laquelle des débordements peuvent survenir.

Le Conseil a retenu une définition de l’infraction terroriste par analogie. Or, toujours en vertu du «principe de la légalité des délits et des peines et celui qui commande de ne pas

appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie» 172, l’infraction pénale devant être définie avec la plus grande précision possible, une interprétation analogique ne répond pas à cette exigence de précision. En effet, un acte quelconque peut être assimilé par analogie à un des actes énumérés punissables selon une certaine propriété ou relation commune aux deux actes.

170 Décision-cadre 2008/919/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le terrorisme, Journal Officiel de l'Union européenne, n° L 330, 9 décembre 2008, p. 21 et s.

171 Voir sur ce sujet l’article de BUNYAN T., The War on Freedom and Democracy, Statewatch analysis n°13 ; consultable sur le site Internet : http://www.statewatch.org/news/2002/sep/analy13.pdf

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Autre problème posé par la liste énumérative, le risque qu’un acte inspiré d’une motivation terroriste puisse échapper à la qualification d’acte terroriste, faute de figurer dans ladite liste. Autrement dit, l’exhaustivité en la matière ne peut pas exister et remet donc en cause une fois de plus le choix de la technique énumérative. Les dangers d’une telle définition ont été relevés par certains Etats membres à l’occasion de la transposition de la décision-cadre dans leurs droits nationaux. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat du Luxembourg, dans son avis en date du 26 novembre 2002173, souligne que «les auteurs du projet de loi

n’ont pas retenu l’approche de la décision-cadre de définir l’acte de terrorisme par rapport à une liste limitée d’infractions primaires. Les auteurs font valoir qu’en pratique le terrorisme est susceptible de se manifester par rapport à un éventail plus large d’infractions primaires que celles prévues à la décision-cadre». La définition de l’acte

terroriste retenue le Conseil d’Etat du Luxembourg est ainsi dépourvue de liste énumérative. Cependant, le Conseil précise qu’il est nécessaire d’approfondir les contours de ces nouvelles incriminations, et il conclut son avis relatif à la définition de l’acte de terrorisme par la mise en garde suivante : «Une ‘nébuleuse’ en matière pénale présente de

réels risques d’avatars pour ce qui est du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

En plus des défauts que présente la liste retenue dans la décision-cadre du Conseil, le point i), à l’image de l’Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001 du Royaume-Uni, retient comme acte intentionnel devant être considéré comme infraction terroriste «la menace de

réaliser l’un des comportements énumérés aux points a) à h)».

Cette définition de l’infraction terroriste manquant singulièrement de clarté et de précision, les Etats membres qui font le choix de "copier-coller" cette rédaction jouissent de ce fait d’une large marge d’interprétation. Il n’est alors pas exagéré d’affirmer que «ce sont les

gouvernements qui désignent qui est terroriste et qui ne l’est pas» 174.

173 Avis du Conseil d’Etat du Luxembourg du 26 novembre 2002 sur le projet de loi portant «répression du terrorisme et de son financement, et, approbation de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, ouverte à la signature à New York en date du 10 janvier 2000 ». Avis consultable sur le site Internet : http://www.etat.lu/CE/html/45868.htm

174 HERMANT D. et BIGO D., Les politiques de lutte contre le terrorisme, Fernando Reinares Editor, 2001, p. 74.

Paragraphe 2: La définition de l’infraction terroriste selon l’Union européenne : un aveu de ses propres faiblesses