• Aucun résultat trouvé

La dangereuse adoption d’une définition commune sur le terrorisme

Section 2 : Le droit et la définition du terrorisme

2. Le polymorphisme du terrorisme

Le terrorisme est un phénomène particulièrement multiforme, changeant. Une définition la plus précise possible de l’infraction terroriste se devrait d’embrasser ce polymorphisme propre au phénomène terroriste. En effet, la gamme des modes d’action terroristes est grande. Elle peut être divisée en deux catégories principales: les méthodes conventionnelles du terrorisme et celles non conventionnelles qui font appel aux outils les plus modernes. Les définitions actuelles tendent à prendre en considération davantage le terrorisme conventionnel que le non conventionnel.

Le terrorisme dit «conventionnel» fait référence aux méthodes les plus connues et donc les plus traitées, c’est-à-dire l’attentat à la bombe, la prise d’otages, l’atteinte, principalement, à la sécurité des transports aériens et l’assassinat. En ce qui concerne l’attentat à la bombe, il peut être de deux sortes : l’attentat symbolique dont le but est de médiatiser le plus possible une cause défendue par les terroristes, et l’attentat anti-personnel qui lui vise à mutiler et à tuer un grand nombre d’individus. Quant à la prise d’otages, elle peut, elle aussi, être de deux formes : la prise d’otages avec séquestration dont le but est d’obtenir par chantage l’exécution d’une requête, et la prise d’otages avec «barricade». Dans ce second cas de figure, les terroristes agissent de façon publique et sont eux-mêmes captifs, protégés par la barricade et la menace de blesser ou tuer un ou plusieurs otages. L’atteinte à la sécurité des transports aériens est probablement une des rares méthodes terroristes largement codifiées en droit international qui consiste en le détournement ou la destruction

206 KALLIOPI K. K., Rapport intérimaire, op. cit., p. 19.

207 Documents officiels de l’Assemblée générale, 28ème session, supplément n° 28, document A/9028, paragraphe n° 24.

d’un aéronef. Enfin, l’assassinat, certainement la méthode terroriste la plus ancienne utilisée, peut être dirigé contre une personne en particulier ou une collectivité et être l’aboutissement d’une prise d’otages.

Les méthodes non conventionnelles du terrorisme font référence à l’utilisation d’armes de destruction massive ainsi que des nouvelles technologies de l’information. Bien que ces méthodes ne soient pas les plus répandues, elles gagnent progressivement la faveur des terroristes et doivent, pour cette raison, être prises en compte. L’utilisation d’armes de destruction massive inclut les armes chimiques, classées en quatre catégories208, les armes biologiques, elles aussi classées en quatre grandes catégories209 et, le nucléaire. L’utilisation des nouvelles technologies de l’information fait référence au «cyberterrorisme». Celui-ci, directement lié à l’expansion de l’Internet, désigne des actes «informatiques» visant à provoquer une désorganisation ou une destruction propre à semer la terreur au sein de la population.

Ces différentes méthodes, comme outils à la disposition des terroristes, ainsi très brièvement évoquées, devraient compter parmi les éléments essentiels à la rédaction d’une définition la plus précise possible du terrorisme afin que des actes de terrorisme conventionnel et non conventionnel puissent entrer sans ambiguïté dans le champ d’application d’une telle définition. Reste que ces méthodes sont en continuelle évolution et nécessitent donc une actualisation régulière du texte, ce qui rend la mise au point d’une telle définition d’autant plus difficile.

La quête d’une définition commune du terrorisme est incontestablement un vrai obstacle. Parce que le terrorisme est un concept extrêmement complexe tant d’un point de vue politique que technique, le définir implique inexorablement la mise de côté de certains éléments. Une définition commune du terrorisme qui engloberait tous les éléments définitionnels est utopie, seules des définitions de «compromis» pourraient être trouvées. A la lumière de ce constat, il semble alors légitime de se demander si cet obstacle ne pourrait tout simplement pas être contourné ou posé différemment.

208 Les agents vésicants (comme le gaz moutarde), les agents hémotoxiques (comme le cyanure d’hydrogène), les agents suffocants et anoxiants (comme le chlore) et les agents neurotoxiques (comme le gaz sarin).

209 Les armes à bactéries (comme le charbon bactérien), les armes à virus (comme la fièvre jaune), les armes à rickettsies (comme la fièvre Q) et les armes à toxine (comme la toxine butolique).

Sous-section 2 : Trouver une définition commune du terrorisme : un faux obstacle ?

La question est simple, presque évidente : trouver une définition commune du terrorisme, est-ce nécessaire pour le combattre ? Nombreux sont les auteurs qui, dans leurs études sur les aspects définitionnels du terrorisme, ont été amenés à se poser la question. La réponse est souvent la même : face au constat des difficultés inhérentes à la matière, non seulement il est difficile, voire impossible, d’aboutir à une définition commune en droit, mais encore ceci serait une perte de temps, la priorité étant la lutte effective contre le terrorisme. Reste à vérifier s’il n’existe pas un modèle de définition qui pourrait satisfaire la matière et si la définition de l’infraction terroriste est «condamnée» à l’incompatibilité avec le principe de légalité.

Paragraphe 1: Existe-t-il un modèle de définition de l’infraction terroriste satisfaisant ?

Comme le précise J. Pradel, il existe en droit grosso modo deux modèles de définition de l’infraction terroriste210. Ces modèles, qui sont bien connus et déjà utilisés, consistent soit en la création d’une infraction à part entière dite de terrorisme généralement, soit en l’énumération d’infractions déjà existantes en droit commun auxquelles est ajouté un élément téléologique qui permet de soumettre lesdites infractions à un régime particulier. Or, pour ce qui est du deuxième cas de figure, celui retenu dans le texte de la décision-cadre européenne, les critiques quant à la non-exhaustivité inhérente de la liste d’infractions et quant à la grande subjectivité de l’élément téléologique, ont été exposées précédemment. Le premier cas de figure présente lui aussi des désavantages puisqu’il pose le problème de la peine applicable. En effet, l’infraction terroriste s’accommode mal d’une peine unique, voire d’une fourchette de peines, dans la mesure où les faits sont très différents les uns des autres. Enfin, et surtout, ce genre de définition peut s’avérer inutile et insatisfaisante parce que «le droit positif réprime à peu près tous les agissements

susceptibles de constituer des actes de terrorisme»211.

210 PRADEL J.,, op. cit., p. 42. L’auteur se réfère en l’espèce au législateur français de 1986 et de son choix pour la rédaction d’une définition de l’acte de terrorisme.

211

Cette dernière remarque révèle donc que non seulement l’élaboration d’une définition de l’infraction terroriste au niveau national serait inutile, mais encore que l’élaboration de cette même définition que ce soit à un niveau régional ou international le serait pareillement. Il n’existerait pas par conséquent de modèle de définition de l’infraction terroriste pleinement satisfaisant. Dans ces conditions, une telle définition ne peut être qu’incompatible avec le principe de légalité, mais cela signifie-t-il pour autant qu’elle soit «condamnée» à cette incompatibilité et que la répression qui l’accompagne en soit entachée?

Paragraphe 2: La définition de l’infraction terroriste est-elle condamnée à l’incompatibilité avec le principe de légalité ?

Comme tout juriste pénaliste le sait, en vertu du principe nullum crimen, nulle poena sine

lege, l’infraction doit être définie avec la plus grande précision afin que des sanctions

puissent être appliquées. Or, puisque vraisemblablement il n’existe pas de modèle de définition susceptible de satisfaire le principe de légalité, la définition juridique de l’infraction terroriste est condamnée à l’incompatibilité avec la célèbre formule latine et, la répression du terrorisme ne peut être exercée légitimement.

Cependant, il convient de distinguer définition et répression d’une infraction dans ce sens où ce n’est pas parce qu’une définition n’est pas compatible avec le principe de légalité que la répression ne peut pas être exercée. En effet, comme le précise L. Condorelli au sujet de crimes internationaux devant être définis selon la précision requise par le principe de légalité : «Il s’agit là d’une conception pouvant être définie, à mon sens, de

fondamentalement incorrecte, puisqu’elle se base sur une mauvaise compréhension de la signification exacte du principe en question»212. En effet, selon ce même auteur, le principe cité «n’implique nullement qu’en l’absence d’une disposition détaillée de droit

international (…) la répression ne pourrait pas être légitimement exercée, que ce soit par un tribunal international ou par le juge national». En d’autres termes, ce n’est pas parce

qu’une infraction est dite «internationale» qu’elle doit être nécessairement définie par des normes internationales, avec toute la précision qu’exige le principe de légalité, pour qu’une

répression digne de ce nom soit exercée au niveau international. Afin que ledit principe soit observé, il suffit que «l’auteur de l’acte en question était bien soumis, lors du ‘tempus

commissi delicti’, à des normes juridiques claires et accessibles – qu’elles soient internes et/ou internationales – établissant ‘ante factum’ une telle définition».

Ce raisonnement, applicable à l’infraction terroriste qui s’est largement internationalisée, remet en question cette quête éperdue vers une définition commune et ceci est d’autant plus vrai que la plupart des infractions envisageables du terrorisme sont déjà couvertes par les dispositions de droit commun des législations nationales.

En conclusion, bien que la définition de l’infraction terroriste soit «condamnée» à l’incompatibilité avec le principe de légalité, sa répression peut quand même être légitimement exercée.

Les textes, qu’ils soient nationaux, régionaux ou internationaux, souffrent tous des mêmes défauts concernant la définition de l’infraction terroriste : soit ils définissent le terrorisme par rapport à la terreur, ce qui correspond à une tautologie, soit ils procèdent à l’énumération d’une série d’infractions, mais énumérer n’est pas caractériser, ou bien encore ils ne contiennent tout simplement aucun élément définitionnel213. Dans la mesure où une définition commune de l’infraction terroriste, comme celle adoptée au sein de l’Union européenne, ne peut être en accord avec le principe nullum crimen sine lege, elle constitue un «réservoir» à atteintes aux droits de la personne et aux libertés fondamentales. Renforcer la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est devenu un impératif au niveau européen mais, l’adoption d’une définition commune demeure un acte «dangereux» en termes de respect de l’Etat de droit.

212

CONDORELLI L., Présentation de la IIème partie, in ASCENCIO H., DECAUX E., PELLET A. (sous la direction de), Droit international pénal, Pedone, Paris, 2000, p. 246.

213

Ainsi, les mots de la fin pourraient être : “It is not necessary to have an exact legal

definition if terrorism is dealt with as a common crime. Concentration on the elements of the ‘actus reus’ may be all that is needed by way of definition, for murder, arson, kidnapping, serious bodily harm, and the infliction of severe mental distress are criminal acts in themselves and need only be proved as such. Thus, a precise legal formulation need not to be required in order to confront the terrorist menace for the preservation of societal and world order”214.

214

Chapitre II :