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La dangereuse adoption d’une définition commune sur le terrorisme

Section 2 : Le droit et la définition du terrorisme

2. La définition du terrorisme selon la doctrine 120

Le terme «terrorisme» entre pour la première fois dans l’univers juridique lors de la Conférence internationale de Bruxelles pour l’unification du droit pénal en 1930. Les juristes s’emparent enfin du mot et les premières études doctrinales sur ce sujet apparaissent.

Un des premiers auteurs qui se livre au périlleux exercice de la description, plus que de la définition du terrorisme, est H. Donnedieu de Vabres qui, en 1947, écrivait : «L’originalité

(de ce phénomène) réside dans la réunion des caractères suivants :

1° il est le fait de bandes, souvent internationales, ce qui le rend particulièrement efficace ; 2° les procédés dont il use sont de nature à provoquer la terreur : explosions, destructions de chemins de fer ou d’édifices, ruptures de digues, empoisonnement d’eau potable, propagation des maladies contagieuses (…) ;

3° il crée un danger commun.»121

Description du terrorisme que J. Pradel qualifiait quarante ans plus tard de «lumineuse

prescience que devait hélas confirmer l’avenir»122.

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SALMON J. (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant/AUF, Bruxelles, 2001, p. 1081.

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Voir les Résolutions 743/1992 et 883/1993 du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolutions prises dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, «Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression»(la première Résolution prise dans cette affaire, la Résolution 731/1992, étant elle vraisemblablement basée sur le Chapitre VI de la Charte).

120 Plus précisément, selon quelques éminents juristes.

121 DONNEDIEU DE VABRES H., Traité de droit criminel, 3ème édition, 1947, n° 208, p. 123.

122 PRADEL J., Les infractions de terrorisme, un nouvel exemple de l’éclatement du droit pénal, Recueil Dalloz, 1987, Volume 1, p. 41.

G. Guillaume, dans son cours à l’Académie de La Haye123, livre sa version de la définition de l’activité terroriste. Selon lui, «une activité criminelle ne peut être regardée comme

terroriste que si trois éléments sont réunis :

La perpétration de certains actes de violence de nature à provoquer des morts ou à causer des dommages corporels graves ;

Une entreprise individuelle ou collective tendant à la perpétration de ces actes ;

Le but poursuivi : créer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou plus généralement dans le public».

Pour ce qui est du premier élément, la violence, G. Guillaume préconise de mettre sous ce terme les actes de violence dirigés contre les personnes ainsi que ceux dirigés contre des biens qui créent un danger grave pour les personnes. Pour ce qui est de l’entreprise tendant à la perpétration des actes terroristes, G. Guillaume insiste sur le caractère prémédité, «un

dessein formé ou un plan concerté». Enfin, pour le troisième élément, mais non le moindre

puisque «créer la terreur constitue l’originalité profonde du phénomène», il rappelle la distinction qui doit être opérée entre «la victime que le terroriste entend frapper, la cible

qu’il désire atteindre et les résultats qu’il souhaite obtenir». Il qualifie alors cette

distinction fondamentale de «rationalité unique» dont relève l’activité terroriste. G. Guillaume précise également que l’attentat terroriste est très généralement revendiqué. Les revendications peuvent alors relever du droit commun124 ou être politiques, comme c’est le plus souvent le cas. Dans ce deuxième cas de figure, le terrorisme politique se distingue par conséquent de la violence politique, de l’anarchisme, de l’assassinat politique et de la guérilla.

Ainsi, G. Guillaume propose une définition juridique de l’infraction terroriste où les trois éléments nécessaires sont réunis : l’élément matériel qui est l’acte de violence, l’élément intentionnel qui est l’entreprise préméditée et, le mobile qui est de créer un climat de terreur dans un but précis.

123 GUILLAUME G., op. cit., p. 303 et s.

124 «lorsqu’elles sont le fait de malfaiteurs cherchant à échapper à la répression en frappant hommes politiques,

Toutefois, et ce malgré les tentatives de certains, la doctrine reflète elle aussi le malaise qui plane autour de la rédaction d’une définition à portée «générale» ou consensuelle du terrorisme : elle est incertaine et divisée.

Ce bref aperçu des éléments définitionnels du terrorisme du côté du droit international public illustre parfaitement toute la complexité, l’ambiguïté de la matière. Il est aussi une introduction, un outil pour mieux appréhender ces mêmes aspects définitionnels selon le droit interne de certains Etats membres de l’Union européenne.

Sous-section 2 : La définition du terrorisme selon le droit interne des Etats membres de l’Union européenne

Parmi les Etats membres de l’Union européenne, seuls six étaient dotés avant les événements du 11 septembre 2001 d’une législation sur le terrorisme : l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le Portugal et le Royaume-Uni125. Ces six pays se sont dotés d’une telle législation en réponse aux attaques terroristes auxquelles ils ont dû faire face sur leur propre territoire. A contrario, les Etats membres qui n’ont pas ou peu été touchés par ce phénomène n’ont certainement pas ressenti la nécessité d’en faire autant. Le concept de prévention face à la menace terroriste ne semble alors guère développé.

Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont bouleversé la donne en ce sens que la plupart des pays, jadis peu concernés par le problème du terrorisme, ont alors pris conscience que, le terrorisme s’étant internationalisé, eux aussi, au même titre que d’autres Etats, pouvaient être touchés. Cependant, il est intéressant de constater que ce sont une fois encore les six Etats susmentionnés qui ont saisi cette occasion pour intensifier leur lutte interne contre le terrorisme. Tous ont pris, très peu de temps après les évènements du 11 septembre, de nouvelles mesures, pas toujours justifiées et souvent attentatoires des libertés fondamentales et droits de la personne.

125 Certains diraient qu’ils sont au nombre de sept, le septième étant la Grèce. En effet, dans la loi 2928 du 27 juin 2001 relative à la protection des citadins contre des actes criminels commis par des organisations criminelles, les actes de terrorisme sont, par interprétation, visés, même s’ils ne sont pas explicitement mentionnés (voir l’article 187 (1) du Code pénal hellénique).

Parmi cette «poussée» de nouvelles législations, divers aspects définitionnels peuvent être étudiés à la lumière des droits internes de certains Etats membres de l’Union européenne, c’est-à-dire la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni126. Deux grandes catégories de définition peuvent être dégagées : la définition du terrorisme en tant que subversion de l’ordre constitutionnel et atteinte à l’ordre public et, le cas plus particulier du Royaume-Uni qui le définit en tant qu’action ou menace d’action.

Paragraphe 1: Le terrorisme en tant que subversion de l’ordre constitutionnel et atteinte à l’ordre public

Il convient de procéder ici à une étude succincte des droits français, portugais, espagnol et italien. Ces quatre droits ont en commun le fait de mentionner le but poursuivi par l’auteur d’acte de terrorisme : c’est le but en question qui fait basculer une infraction déjà réprimée ou un comportement dans le champ de l’infraction terroriste. Cependant, alors que le droit français met l’accent sur l’objectif de l’atteinte à l’ordre public et que le droit italien souligne la subversion de l’ordre démocratique, les droits portugais et espagnols comportent ces deux éléments.

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Seront étudiées ici les définitions de l’infraction terroriste, organisation terroriste, terrorisme (…) des cinq Etats membres indiqués. En ce qui concerne les autres Etats membres de l’Union européenne, au moment de l'adoption et de l'entrée en vigueur de la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme, l’Autriche, la Belgique, le Danemark et la Finlande se sont dotés d’un arsenal juridique répressif à l’encontre du terrorisme en application de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme. Ces Etats transposent le texte de la décision-cadre en ce qui concerne les aspects définitionnels. Le Luxembourg et la Suède, tenant compte de la décision-cadre du Conseil, ont, suite aux attentats du 11 septembre 2001, approuvé la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. La Grèce, qui avait, avant lesdits attentats, mis en place une législation qui peut s’appliquer au terrorisme (loi 2928 du 27 juin 2001), s’est inspirée de la Résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’ONU de 2001. Quant aux Pays-Bas, ceux-ci avaient avant les attentats, et ce depuis les années 70, défini le terrorisme comme une violation de l’Etat de droit; ils ont aussi dû se conformer à l’application de la décision-cadre du Conseil. Enfin, l’Allemagne, dont le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme avait fait l’objet de nombreuses critiques du fait qu’il avait été adopté selon une procédure d’urgence, a ajouté au principe d’infraction criminelle «Formations d’associations terroristes»à la section 129a du code pénal, celle d’ «Associations criminelles et terroristes dans des pays étrangers»à la section 129b. Enfin, les nouveaux Etats membres, c'est-à-dire les dix nouveaux Etats ayant rejoint l'Union européenne en 2004 et les deux autres en 2007, ont également dû adopter le fameux «acquis communautaire»qui, outre le droit communautaire proprement dit, est également constitué de tous les actes adoptés au sein des deuxième et troisième Piliers de l'Union ainsi que des objectifs communs fixés par les traités, ce qui inclut donc la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme.