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I. La littérature, témoin de la révolution agricole

1.1. L’émergence du paysan dans la littérature romanesque

1.1.4. La Terre d’Emile Zola

Si l’on se réfère au modèle que constituent les Pastorales, dans ces deux romans de la seconde époque rustique, l’idylle amoureuse entre les adolescents perd encore de l’importance dans le déroulement du récit.

Dans La Terre qui meurt elle est encore décisive, puisque c’est le mariage de Roussille et de Jean Nesmy qui permet à Toussaint Lumineau de sauver La Fromentière dont l’exploitation était menacée par l’exode de ses enfants vers la ville ou d’autre destination exotique. Mais cette autorisation donnée à sa fille de se marier, il la donne à contre cœur et en dernier recours. Par contre dans Jacquou le Croquant, le mariage de Jacquou et Bertille (on ne peut plus parler d’idylle puisqu’il s’agit d’un mariage de raison) est anecdotique et n’a aucune incidence sur le thème principal du roman.

Dans les romans de Ferdinand Fabre et de Léon Cladel, les faits de société font leur apparition, mais dans un second rôle. Ils sont utilisés par les personnages principaux pour parvenir au but qu’ils visent : le mariage avec leur bien-aimée (Inot se coupe le doigt pour échapper à l’armée ; Eran complote avec l’usurier pour éloigner son rival). Chez René Bazin et Eugène Le Roy, le rapport s’inverse et le mariage devient un accessoire au service des évolutions sociétales (Toussaint Lumineau l’utilise pour remédier à la démission de ses enfants), ou simplement une péripétie romanesque sans influence sur le sujet du roman (la vengeance d’un jeune orphelin contre l’homme qui a fait mourir ses parents).

1.1.4. La Terre d’Emile Zola.

Dans cette vague de littérature rustique, ouverte par George Sand, qui se développe dans la seconde moitié du XIXème siècle et dont nous venons d’analyser quatre exemples, un roman se détache autant par la notoriété de son auteur que par l’étendue des thèmes qu’il aborde sur la question agricole : La Terre d’Emile Zola.

Ce roman est édité en 1887, ce qui oblige Paul Vernois, pour respecter sa classification, à le classer dans la catégorie des romans sous l’influence de l’école occitane. Pourtant, à sa lecture, La Terre, bien qu’écrit plus de dix ans avant La Terre

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qui meurt et Jacquou le Croquant, s’apparente clairement au courant du réalisme rustique.

Emile Zola est né à Paris en 1840. Il n’est ni fils ni petit-fils de paysans (son père était ingénieur des travaux publics). Il passe toute sa jeunesse à Aix-en-Provence où son père travaille à la construction d’un barrage. Après la mort de son père en 1847, il revient à Paris avec sa mère en 1857. Comme Balzac donc, et contrairement à George Sand, il a toujours habité en ville. Sa connaissance de la campagne, dans ses vingt premières années, se limite à des sorties avec des amis dans la région aixoise et à de courts séjours dans d’autres provinces avec ses parents. Après son installation, à Paris il multiplie également les promenades dominicales dans les environs de Paris. Pour autant Guy Robert, qui tente dans sa thèse : La Terre d’Emile Zola1 de reconstituer le parcours de Zola, estime que ces simples contacts avec la France rurale « n’amènent pas à croire qu’il ait jamais été en contact suivi avec des paysans. »2.

Si Zola n’a pas de connaissances approfondies du milieu paysan, il a par contre une très bonne culture littéraire. A partir de 1862, après quelques années de bohème, contraint de travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère, il réussit à se faire engager à la Librairie Hachette. C’est le marchepied de sa carrière littéraire. Sa situation privilégiée lui permet d’être en relation avec les écrivains, les directeurs de revues et de journaux. A partir de 1863, il publie ses premiers articles et en 1864 son premier livre, Contes à Ninon. En 1866, Zola quitte Hachette et se consacre entièrement à l’écriture.3

Quand il entreprend l’écriture de La Terre, Zola, en tant qu’éditeur et critique littéraire, a évidemment lu les romans de Balzac et de George Sand, également quelques uns des romans rustiques de la première période comme Léon Cladel ou René Bazin (ses romans antérieurs à la période sociale rustique comme Ma Tante Giron).

Des Romans Champêtres de George Sand, Zola écrit :

« Les paysans de George Sand sont bons, honnêtes, sages, prévoyants, nobles ; en un mot, ils sont parfaits. Peut-être le Berri a-t-il le privilège de cette race de paysans supérieurs ; mais j’en doute, car je connais les paysans du midi et du nord de la France,

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1 ROBERT, Guy, La Terre d’Emile Zola. Etude historique et critique, Paris, Les Belles Lettres, 1952.

2

Ibid., p. 18.

3 Les données biographiques sur Zola sont inspirées du dossier d’Emmanuel Le Roy Ladurie « Vie d’Emile Zola » in ZOLA, Emile, La Terre, Paris, Folio Classique, 1980.

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et j’avoue qu’ils manquent à peu près de toutes ces belles qualités. Chez nous, rien n’est plus simple ni plus compliqué à la fois qu’un paysan. »1

Ce n’est pas que Zola n’apprécie pas les romans de George Sand, il trouve sa prose élégante, mais peu en rapport avec le statut social des personnages, notamment leur manière de parler : « Jamais on ne me fera dire que ses paysans sentent et parlent comme on sent et parle au village. »2. Le réalisme de Zola s’accommode mal de l’idéalisme de George Sand.

Concernant Balzac, Zola est beaucoup plus élogieux. En 1867 il écrit à Valabrègue3 : « Quel homme ! Je le relis en ce moment. Il écrase tout le siècle (…). Je médite un volume sur Balzac, une grande étude, une sorte de roman réel. »4. Pourtant, malgré cet engouement, Guy Robert ne trouve pas, dans la correspondance ou dans les articles de Zola, une mention particulière pour le monde paysan tel que Balzac l’a abordé.

La Terre est la chronique, sur plusieurs années, d’un village rural de la Beauce sous le Second Empire. Le récit ne se développe pas autour de la formation d’un jeune couple comme dans les romans de George Sand (Germain et Marie, Landry et Fadette) ou dans les romans rustiques de l’école occitane (Eran et Félice, Inot et Janille). L’héritage de l’idylle pastorale est complètement oublié. Même si les histoires d’amour entre les différents personnages existent, elles ne jouent pas un rôle important dans le développement de l’intrigue, d’ailleurs le plus souvent il ne s’agit pas d’amour mais de prédation sexuelle, comme dans Les Paysans de Balzac.

Le roman de Zola ne se développe pas non plus autour d’un seul personnage (Jacquou, Toussaint Lumineau…) comme dans les romans rustiques de l’Ecole Sociale. Le personnage principal de La Terre est un village, le mode de composition est pluriel : les habitants de Rognes (un village de quelques centaines d’habitants) vivent dans un espace clos ou presque (les moyens de transport commencent à se développer sous le Second Empire, mais ils sont peu pratiqués par la population rurale), ils se connaissent tous et entretiennent entre eux des relations familiales, sentimentales, professionnelles, institutionnelles, de simple voisinage… le plus souvent passionnelles. La diversité des !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 Cité par Guy ROBERT in La Terre d’Emile Zola, op. cit., p. 35.

2

Ibid., p. 25.

3 Antony VALABREGUE (1844-1900), écrivain et critique, ami d’enfance de Zola.

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habitants concernés (le petit paysan et le grand propriétaire, le jeune récemment installé ou le retraité qui partage la terre à ses enfants… mais aussi les artisans, les commerçants et l’ensemble des notables : le député, le maire, le notaire, le curé, le maître d’école… qui jouent tous un rôle plus ou moins important dans l’économie du village) permet de présenter une multiplicité de situations qui rendent compte, sous différents angles, des nouvelles problématiques que rencontrent les paysans français sous le Second Empire : accession à la propriété, partage et parcellisation des terres, approche scientifique de l’agriculture…

Quand George Sand rédige les Romans Champêtres, elle ignore la manière de Balzac et de ses Scènes de la vie de campagne, pour s’inspirer directement d’un genre littéraire des siècles précédents tombé en désuétude : les romans pastoraux. De la même manière, Zola, quand il écrit La Terre, néglige les idylles de George Sand et s’inscrit plutôt dans la continuité du réalisme de Balzac.

Les paysans de Zola font l’objet d’un portrait sans complaisances. Ils ressemblent à ceux que décrit Balzac dans Les Paysans. Comme les paysans de La-Ville-aux-Fayes, les paysans de Rognes sont décrits comme étant alcooliques, violents, incultes, avides, voleurs…

Zola prolonge également les notions énoncées par Balzac sur l’évolution scientifique des méthodes d’exploitation des terres. Dans Les Scènes de la vie de campagne, les nouveautés techniques sont présentées sous le mode de l’utopie : ce sont les mesures qui amélioreraient la rentabilité des terres cultivées et par conséquence le niveau de vie de ceux qui les travaillent si elles étaient appliquées. Comme le remarque justement Pierre Barbéris, l’utopie chez Balzac est un processus en marche dont le dénouement est à venir. Ce dénouement, Zola nous le donne à voir. Sous le Second Empire, soit trente ans après la période à laquelle se déroule l’action des Paysans, les machines agricoles, les engrais chimiques, les assolements… font partie des moyens et des méthodes usuelles des paysans de Zola.

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