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Les écrivains romantiques et le paysage agricole

II. La notion de paysage

2.2. Le paysage agricole est-il un paysage romantique ?

2.2.4. Les écrivains romantiques et le paysage agricole

Dans un article à la revue Compar(a)ison1, Alain Guyot aborde la question du paysage sous un angle différent de celui choisi par Yvon Le Scanff et Michel Collot. Il propose une « confrontation poétique et stylistique des descriptions de nature » :

« La représentation de la nature dans le champ littéraire est-elle sujette à des contraintes spécifiques en fonction du genre dans lequel elle s’inscrit ? Existe-t-il un « cahier des charges » propre au roman, à la poésie, à l’essai, à l’autobiographie, entre autres exemples, qui entraînerait des variations dans la représentation des paysages référentiellement proches, voire identiques, en particulier chez le même auteur ?2 »

C’est également l’approche d’Aurélie Gendrat-Claudel dans sa thèse consacrée à la littérature de l’Italie romantique. Elle prend le parti de s’intéresser à la « structure textuelle », plutôt qu’à l’inspiration de l’auteur :

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"!GUYOT, Alain, « Le Paysage au miroir des genres. Pour une confrontation poétique et stylistique des descriptions de nature », in Compar(a)ison, I/1998, Berne, Peter Lang, 1999.

Alain Guyot est l’auteur d’une thèse : Une certaine manière de voir. La description entre récit de voyage

et récit de fiction chez Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand et Théophile Gautier. Essai de confrontation stylistique, Thèse de doctorat, Paris-Sorbonne, 1996.

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« Le paysage gagne à être pensé comme une composition de l’espace naturel, par le texte plus encore que par le regard ou le « sujet » : telle est l’hypothèse formulée ici, qui permet d’envisager plusieurs restrictions, théoriques et historiques. Nous proposons ici d’articuler une définition de l’objet choisi (le paysage comme structure du regard) avec une recherche de type poétique (le descriptif comme structure textuelle, comme code rhétorique et compositionnel).1

Alain Guyot développe sa théorie des genres en comparant les « structures textuelles » respectives des romans et des récits de voyage :

« Les récits de fiction examinés apparaissent (…) comme des discours fortement contraints, sinon pressés, dans leur relation à la description : la soumission du dispositif narratif tout entier à l’intrigue, la dramatisation de l’action, indispensables pour soutenir l’intérêt de la lecture, imposent le recours à une structure narrative forte et à un principe d’économie et de rentabilité qui laissent généralement peu de place à la digression ou au détail insignifiant.2 »

Les contraintes propres aux romans à s’insérer dans une trame narrative se relâchent quand il s’agit de récits de voyage qui

« (…) font preuve en revanche d’une moindre consistance narrative, accueillant, sans nécessairement les unifier, des formes de discours aussi variées qu’hétérogènes, et fondant leur intérêt sur une certaine attitude à l’égard du réel approché. »

En mettant en évidence, comme le fait Alain Guyot, « les contraintes spécifiques » de deux genres littéraires différents, le roman et le récit de voyage, nous essayerons de montrer comment les écrivains du XIXème siècle, pour décrire les paysages agraires, se sont accommodés de spécificités qui étaient pourtant défavorables aux modes d’expression littéraire du Romantisme.

Paysage et genre littéraire : le récit de voyage.

Les livres de notre corpus principal sont tous des romans. D’Honoré de Balzac à Eugène Le Roy, ils couvrent le champ de l’histoire agricole et de l’histoire littéraire de la France au XIXème siècle. Mais nous nous sommes également donné la liberté, en définissant un corpus secondaire, de consulter d’autres textes en prose, notamment les guides et les récits de voyage3.

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"!GENDRAT-CLAUDEL, Aurélie, Le Paysage « fenêtre ouverte » sur le roman, op. cit., p. 16.

#!GUYOT, Alain, Le Paysage au miroir des genres, op. cit., p. 63.

$!Nous avons cité précédemment : Les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau,

Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France de Charles Nodier et Justin Taylor, Voyages en France de Stendhal. Aucun de ces livres n’est une œuvre de fiction.

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Par les champs et par les grèves de Gustave Flaubert et de Maxime Du Camp appartient à cette catégorie, c’est le récit d’un voyage d’agrément dans l’ouest de la France (Loire, Bretagne, Normandie) :

« Le 1er mai 1847, à huit heures et demie du matin, les deux monades dont l’agglomération va servir à barbouiller de noir le papier subséquent sortirent de Paris dans le but d’aller respirer à l’aise au milieu des bruyères et des genêts, ou au bord des flots sur les grandes plages de sable.1 »

Leur parcours n’a pas de but précis, il partent « sac au dos, souliers ferrés aux pieds, gourdin en main, fumée aux lèvres et fantaisie en tête, courir les champs pour coucher dans les auberges dans de grands lits à baldaquin2 ». Le récit qu’ils en rapportent est une suite de descriptions des sites visités et d’impressions de voyage. Contrairement à ce que le titre du livre pouvait laisse entendre, la description des paysages agraires est rare. Pourtant, quand ils parcourent la campagne entre Saint-Pol-de-Léon et Roscoff, Flaubert et Du Camp traversent une plaine cultivée que Flaubert décrit :

« Je remarque que les bons pays sont généralement les plus laids, ils ressemblent aux femmes vertueuses ; on les estime, mais on passe outre pour en trouver d’autres. Voici, certes, le coin le plus fertile de la Bretagne ; les paysans semblent moins pauvres, les champs mieux cultivés, les colzas magnifiques, les routes bien entretenues, et c’est ennuyeux à périr.

Des choux, des navets, beaucoup de betteraves et démesurément de pommes de terres, tous, régulièrement enclos dans des fossés, couvrent la campagne, depuis Saint-Pol-de-Léon jusqu’à Roscoff. On en expédie à Brest, à Rennes, jusqu’au Havre ; c’est l’industrie du pays ; il s’en fait un commerce considérable. Mais qu’est-ce que cela me fait à moi ? croyez-vous que ça m’amuse ?3 »

Puis en arrivant à Roscoff, le paysage change radicalement :

« A Roscoff on voit la mer, elle découvre devant les maisons sa grève vaseuse, se courbe ensuite dans un golfe étroit, et au large est toute tachetée d’îlots noirs, bombés comme des dos de tortue.4 »

Cet exemple illustre parfaitement l’analyse de Michel Collot en apposant, comme l’a fait Barbey d’Aurevilly, paysage « naturaliste » et paysage « idéaliste » dans la même description. Quand il traverse une plaine agricole, Flaubert « ne peut se satisfaire de ce « qu’il voit ». L’alignement des légumes ne l’inspire pas. Mais dès qu’il arrive sur la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"!FLAUBERT, Gustave, DU CAMP, Maxime, Par les champs et par les grèves, Genève, Droz, 1987, p. 81.

#!Ibid., p. 82.

$!Ibid., p. 524 – 525.

Comme Stendhal dans Voyages en France, Flaubert déplore l’industrialisation de l’agriculture.

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côte, son imagination romantique s’éveille et il peint « ce qu’il rêve ». Les îlots qu’il aperçoit au large de la côte deviennent des « dos de tortue ».

Quand ils voyagent en Bretagne, Flaubert et Du Camp sont des journalistes. Ils notent « au jour le jour » leurs impressions de voyage. Le récit qu’ils en rapportent est morcelé, composé de textes courts, chaque chapitre compte environ une cinquantaine de pages. Et comme ils écrivent chacun à leur tour, l’ensemble n’a pas d’unité de style. C’est le trajet du voyage, qui sert de fil conducteur au récit. La question du décor ne se pose pas, ils décrivent ce qu’ils voient au gré de leurs déplacements. Le choix du parcours, qu’il soit volontaire ou aléatoire, décide des sites traversés.

Pour autant le journaliste n’est pas un simple observateur objectif, il s’autorise des jugements et des critiques. Quand il traverse la plaine de Roscoff, Flaubert qualifie le paysage d’ « ennuyeux à périr ». Stendhal de même, quand il évoque l’Ecosse et la Belgique dans Voyages en France, déplore le développement de l’agriculture industrielle.

Flaubert se permet également quelques échappées littéraires quand il imagine voir des « dos de tortue » au large de Roscoff.

Dans chacun de ces exemples, les auteurs s’expriment en leur nom propre et les descriptions qu’ils proposent, malgré quelques écarts d’écriture, sont toujours très proches de la réalité observée.

Paysage et genre littéraire : le roman.

Quand le récit de voyage juxtapose des textes écrits au jour le jour qui constituent un ensemble hétéroclite1, le roman est une œuvre composée homogène dont tous les éléments contribuent au sens général, comme le remarque Alain Guyot :

« Dans ce cadre, les descriptions de paysage apparaissent comme des textes travaillés, motivés et asservis. Travaillés comme le montrent les procédés destinés à les insérer dans le récit, en les intégrant par exemple à sa syntaxe – souvent par le biais d’une pure et simple narrativisation – ou, au contraire, à les en démarquer – et, dans ce cas, s’efforcer de naturaliser cette démarcation, d’effacer les sutures qui risqueraient non plus de mettre en valeur, mais d’isoler la description au sein du récit : combien de

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"!Dans le cas du livre de Flaubert et Du Camp, l’impression est renforcée par le fait que les deux amis écrivent chacun leur tour un chapitre.

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personnages de roman mis en position de descripteurs potentiels par les nécessités de la narration ?1 »

Contrairement au récit de voyage, la fiction romanesque impose à son auteur de respecter l’unité d’action et l’unité de style. Les descriptions de paysage ne sont plus des fragments juxtaposés, elles doivent, comme le dit Alain Guyot, soit s’intégrer harmonieusement à l’ensemble du récit, soit s’en « démarquer » pour mieux être mises en valeur.

La description faite par Félix2 dans Le Lys dans la vallée du domaine agricole de Clochegourde illustre parfaitement l’analyse d’Alain Guyot. Par son caractère technique, elle se démarque totalement du reste du récit dont les paysages sont d’inspiration romantique, et par là même atteste de l’importance qu’accorde Balzac à la révolution agricole.

Mais cette contrainte de conformité à l’ensemble de l’œuvre s’accompagne d’une plus grande liberté faite aux auteurs. La première est qu’ils sont libérés de l’obligation de réalisme qui caractérise l’écriture du journal. Le site qu’ils décrivent n’est pas soumis au principe de ressemblance. La description de paysage devient alors un exercice d’écriture poétique.

L’autre différence que relève Alain Guyot est que la description n’est pas prise en charge par l’auteur, mais par le narrateur ou par un ou plusieurs personnages du roman. Cette caractéristique permet de nombreuses possibilités de descriptions : un même paysage peut être vu par des personnages différents, d’un point de vue différent, dans des circonstances différentes si le déroulement du récit le nécessite.

L’art du Réalisme repose sur l’observation méthodique et objective du monde, pourtant, dans La Terre, Zola transgresse le dogme pour « dépasser le visible », selon l’expression de Michel Collot : certaines de ses descriptions de la plaine de la Beauce relèvent, comme nous l’avons vu, de l’esthétique romantique.

La Beauce est une plaine sans aucun relief sur laquelle les agriculteurs pratiquent la monoculture des céréales. Les paysages sont donc tous quasiment identiques. C’est le point de vue du sujet qui permet de démarquer les descriptions. Hourdequin est un agriculteur entrepreneur qui regarde ses terres comme un outil de production ; Buteau, après avoir hérité de ses parents, exprime sa « jouissance » en !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"!GUYOT, Alain, Le Paysage au miroir des genres, op. cit., p. 64.

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décrivant sa propriété nouvelle à la manière d’un tableau impressionniste. Comme dans le récit de voyage la représentation est subjective, mais dans le roman le sujet est un être de fiction. La palette des variations est large et permet à l’auteur, selon les circonstances du récit, à les « insérer dans le récit » ou « au contraire, à les en démarquer ».

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