• Aucun résultat trouvé

II. La notion de paysage

2.2. Le paysage agricole est-il un paysage romantique ?

2.2.2. La régularité, l’ordre et le chaos

Dans la préface de 1826 des Odes et Ballades, Victor Hugo invite les lecteurs à comparer les deux paysages qu’il présente : « le jardin royal de Versailles » et « une forêt primitive du Nouveau-Monde » et il poursuit par cette interrogation : « Nous ne dirons pas : Où est la magnificence ? où est la grandeur ? où est la beauté ? mais simplement : Où est l’ordre ? où est le désordre ?4 » Le bon sens logique voudrait que le lecteur, et particulièrement l’admirateur de l’esthétique classique, réponde que l’ordre est du côté du jardin à la française. Ce n’est pas l’avis de Victor Hugo qui poursuit son questionnement :

« Choisissez donc du chef-d’œuvre du jardinage ou de l’œuvre de la nature, de ce qui est le beau de convention ou de ce qui est beau sans règles, d’une littérature artificielle ou d’une poésie originale.5 »

et qui conclut :

« Il faut bien se garder de confondre l’ordre avec la régularité. La régularité ne s’attache qu’à la forme extérieure ; l’ordre résulte du fond même des choses, de la disposition intelligente des éléments intimes d’un sujet. La régularité est une combinaison matérielle et purement humaine ; l’ordre est pour ainsi dire divin. Ces deux qualités si diverses dans leur essence marchent fréquemment l’une sans l’autre.6 »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"!BARBEY d’AUREVILLY, Jules, L’Ensorcelée, op. cit., p. 20.

#!LE SCANFF, Yvon, Le Paysage romantique et l’expérience du sublime, op. cit., p. 12 – 13.

$Guillaume-Stanislas Trébutien (1800-1870) est traducteur et éditeur. Il a échangé une importante correspondance avec Barbey d’Aurévilly.

L’extrait de la lettre est cité par Hubert Juin dans la préface de L’Ensorcelée, op. cit., p. 18.

%!HUGO, Victor, Odes et Ballades, op. cit., p. 35.

&!Ibid., p. 35 – 36.

! "%"!

L’application des méthodes modernes d’exploitation des terres confirme le jugement de Victor Hugo. Sans jamais en atteindre la perfection, le paysage agricole au XIXème siècle se rapproche de l’esthétique de Versailles.

Régularité : agronomie et géométrie

La révolution agricole, initiée au milieu du XVIIIème siècle, peine à imposer ses méthodes nouvelles pour moderniser l’agriculture. Pourtant, peu à peu, les mesures préconisées sont adoptées par les paysans. Les solutions sont d’ordre scientifique : l’agronomie, la chimie, l’hydrologie, la mécanique… ont pour objet d’améliorer les rendements productifs. La rationalisation des modes d’exploitation se retrouve dans la configuration du paysage. A l’éclairage de quelques exemples, nous allons examiner comment les nouveautés scientifiques, qui ont obligé les paysans à modifier leurs méthodes de travail, modifient le paysage rural.

- l’assolement : l’adoption par les paysans de l’assolement triennal ou quadriennal les oblige à réorganiser leurs exploitations et se traduit sur le paysage par une « régularité » qui n’existait pas lorsqu’ils pratiquaient une agriculture empirique.

Cette régularité, nous l’observons après que madame de Mortsauf a entrepris des travaux pour restructurer le domaine de Clochegourde :

« Après dix ans d’efforts, madame de Mortsauf avait changé la culture de ses terres ; elle les avait mis en quatre, expression dont on se sert dans le pays pour expliquer les résultats de la nouvelle méthode selon laquelle les cultivateurs ne sèment le blé que tous les quatre ans, afin de faire rapporter chaque année un produit à le terre. Pour vaincre l’obstination des paysans, il avait fallu résilier des baux, partager ses domaines en quatre grandes métairies, et les avoir à moitié, le cheptel particulier à la Touraine et aux pays d’alentour.1 »

Ces méthodes ont des effets visibles sur le paysage :

« Les haies qui garantissaient les domaines de toute contestation futures étaient poussées. Les peupliers, les ormes, tout était bien venu. Avec ses nouvelles acquisitions et en introduisant partout le nouveau système d’exploitation, la terre de Clochegourde, divisée en quatre grandes fermes, dont deux restaient à bâtir, était susceptible de rapporter seize mille francs en écus, à raison de quatre mille francs par chaque ferme ; sans compter le clos de vigne, ni les deux cents arpents de bois qui les joignaient, ni la ferme modèle. Les chemins de ses quatre fermes pouvaient tous aboutir à une grande

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

! "%#!

avenue qui de Clochegourde irait en droite ligne s’embrancher sur la route de Chinon.1 »

L’organisation nouvelle de Clochegourde dessine un nouveau paysage selon un tracé géométrique. Une « grande avenue (…) en droite ligne » sur laquelle les chemins d’accès aux quatre fermes convergent2.

- le machinisme agricole : l’apparition des machines agricoles mécaniques à partir du milieu du XVIIIème siècle nécessite également une reconfiguration des terres cultivables. Jusqu’alors le semis se faisait manuellement, comme Zola le décrit dans l’incipit de La Terre :

« Jean, ce matin-là, un semoir de toile bleue noué sur le ventre, en tenait la poche ouverte de la main gauche, et de la droite, tous les trois pas, il y prenait une poignée de blé, que d’un geste, à la volée, il jetait. Ses gros souliers trouaient et emportaient la terre grasse, dans le balancement cadencé de son corps ; tandis que, à chaque jet, au milieu de la semence blonde toujours volante, on voyait luire les deux galons rouges d’une veste d’ordonnance, qu’il achevait d’user. Seul, en avant, il marchait, l’air grandi ; et, derrière, pour enfouir le grain, une herse roulait lentement, attelée à deux chevaux, qu’un charretier poussait à longs coups de fouet réguliers, claquant au dessus de leurs oreilles.3 »

Hourdequin, le propriétaire du champ, possède un semoir mécanique mais il choisit de ne pas l’utiliser :

« La parcelle de terre, d’une cinquantaine d’ares à peine, au lieu dit des Cornailles, était si peu importante, que M. Hourdequin, le maître de la Borderie, n’avait pas voulu y envoyer le semoir mécanique, occupé ailleurs.4 »

Le semoir mécanique est en effet un outil lourd, encombrant et peu maniable, Bouvard et Pécuchet le découvrent avec curiosité lorsqu’ils visitent l’exploitation de leur voisin, le Comte de Faverges :

« Ils étaient sur la limite d’un champ tout plat, soigneusement ameubli. Un cheval que l’on conduisait à la main traînait un large coffre monté sur trois roues. Sept coutres,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! "!Ibid., p. 142.

#!Ces exemples montrent que la motivation de la réorganisation du domaine de Clochegourde est la rentabilité économique (un rapport de « seize mille francs en écus »). Madame de Mortsauf veut assurer la pérennité du domaine. La modification du paysage n’est qu’un effet collatéral.

La rationalisation scientifique de l’agriculture se manifeste par le découpage géométrique du domaine de Clochegourde, mais également par l’usage fait par Balzac du vocabulaire arithmétique (mis en quatre et à

moitié sont mis en valeur par l’emploi de caractères italiques). Le nombre d’adjectifs numéraux cardinaux

dans ces quinze lignes est important.

$!ZOLA, Emile, La Terre, op. cit., p. 27.

! "%$!

disposés en bas, ouvraient parallèlement des raies fines, dans lesquelles le grain tombait par des tuyaux descendant jusqu’au sol.1 »

Contrairement au « semoir en toile bleue » de Jean, son utilisation nécessite des conditions d’exploitation appropriées : une parcelle de grande superficie et de forme géométrique régulière et un terrain sans grand relief.

Ce qui est vrai du semoir l’est également des autres outils mécaniques : la faneuse, la moissonneuse, la charrue… Un regroupement des parcelles s’impose comme le remarque André Meynier :

« La mécanisation du labour s’opère difficilement dans des champs trop petits et clos : l’usage du tracteur2 provoque souvent la destruction des clôtures, la réunion de plusieurs parcelles contigües, l’abattage des arbres fruitiers dressés dans les champs.3 »

Le regroupement des parcelles est d’autant plus nécessaire qu’un des acquis de la Révolution Française, la suppression du droit d’aînesse et l’obligation pour les parents de partager équitablement leurs biens entre leurs enfants, engendre un morcellement extrême du terroir (le père Fouan partage chacune de ses parcelles en quatre, une pour chacun de ses quatre enfants) qui est incompatible avec la mécanisation de l’agriculture.

Le semoir mécanique a en outre comme caractéristique de semer le grain dans des « raies fines » qui sont tracées par des coutres disposés « parallèlement ». Le semis de blé (ou toute autre céréale) est donc disposé très régulièrement, en ligne, sur le champ, ce qui ne saurait être le cas quand Jean jette le grain « à la volée », même s’il adopte un rythme cadencé.

- l’hydrologie : la construction de barrages permettant d’irriguer les plaines incultes oblige les paysans à creuser des fossés pour acheminer l’eau vers les parcelles cultivables. C’est ce que font les ouvriers engagés par Véronique Graslin dans son entreprise pour fertiliser la plaine de Montégnac :

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"!FLAUBERT, Gustave, Bouvard et Pécuchet, op. cit., p. 80.

#!Que le tracteur soit animal ou mécanique ne change en rien l’analyse faite par André Meynier. La difficulté pour l’attelage est de se retourner à l’extrémité du champ. Plus le champ est vaste et allongé (en lanière) moins le nombre d’aller-retour est nécessaire.

! "%%!

« Cinq terrassiers rejetaient les bonnes terres au bord des champs, en déblayant un espace de dix-huit pieds, la largeur de chaque chemin. De chaque côté, quatre hommes, occupés à creuser le fossé, en mettaient aussi la bonne terre sur le champ en forme de berge. Derrière eux, à mesure que cette berge avançait, deux hommes y pratiquaient des trous et y plantaient des arbres. Dans chaque pièce, trente indigents valides, vingt femmes et quarante filles ou enfants, en tout quatre-vingt-dix personnes, ramassaient le pierres que des ouvriers métraient le long des berges afin de constater la quantité produite par chaque groupe. Ainsi tous les travaux marchaient de front et allaient rapidement, avec des ouvriers choisis et pleins d’ardeur.1 »

Comme à Clochegourde, c’est sur un schéma géométrique qu’est reconfigurée la plaine de Montégnac pour permettre la mise en œuvre des méthodes nouvelles d’exploitation.

Ces quelques exemples montrent que l’adoption des moyens modernes de culture nécessite une réorganisation du terroir. Les mesures prises vont toutes dans le sens d’une rationalisation de l’espace agricole. Entre les deux grands pôles (nature et culture, ordre et régularité) que définissent Victor Hugo, Jean-Robert Pitte ou Aurélie Gendrat-Claudel, le paysage agricole du XIXème siècle, celui qui est travaillé par les moyens de l’agronomie moderne, se rapproche du pôle culture, encore un peu plus que ne le faisait l’agriculture traditionnelle. La « grande avenue » en ligne droite de Clochegourde, les parcelles rectangulaires de la Borderie, les sillons parallèles de l’exploitation du Comte de Faverges, le réseau d’irrigation de la plaine de Montégnac… sont des figures géométriques qui sont totalement absentes de la « forêt primitive du Nouveau-Monde », quand bien même elles ne permettent pas aux sites sur lesquelles elles sont tracées d’atteindre l’épure du « jardin royal de Versailles ».

Victor Hugo parle à propos du parc du château de Versailles de « chef-d’œuvre du jardinage ». Devant un paysage agricole, il aurait pu parler de jardinage à grande échelle, tant les pratiques agronomiques modernes (assolement, machinisme, irrigation…) ont imposé aux paysans une normalisation de la forme des parcelles cultivées : chacune d’entre elle doit correspondre, le plus exactement possible, à une figure géométrique régulière (carré ou rectangle de préférence).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

! "%&! Régularité : agriculture et uniformité.

Les machines agricoles modernes n’atteignent leur pleine efficacité que sur des parcelles de grande taille. Elles contraignent les paysans qui les utilisent à remembrer leurs exploitations. Dans certaines régions, où la topographie du terrain le permet, les regroupements peuvent être de grande ampleur. Stendhal l’a observé au cours d’un de ses voyages :

« Dans les pays de savante culture à moi connus, la basse Ecosse, la Belgique, les riches façons données aux terres, les quarante charrues employées à la fois dans le même champ, suggèrent l’idée d’une belle et grande manufacture, mais pas du tout de la

solitude et du bonheur champêtre. (…) Rien n’est moins simple qu’une grande

exploitation agricole ; c’est une manufacture dont le capital, au lieu d’être en métiers, par exemple, et en laines, comme à Elbeuf, est en prairies et en terres labourables.1 »

Ce modèle, s’il n’est pas encore généralisé au XIXème siècle, constitue une mutation profonde. Jusqu’alors, hormis les grandes exploitations seigneuriales, l’essentiel du terroir français était composé de très petites fermes. L’utilisation des outils mécaniques n’explique pas seule cette évolution. Une autre innovation technologique joue un rôle important : l’invention du chemin de fer.

Le chemin de fer (couplé à l’amélioration du réseau routier) désenclave les régions et permet une meilleure circulation des produits agricoles. Les agriculteurs, si les conditions spécifiques à leur région le permettent, renoncent alors à l’autarcie et passent d’une économie de subsistance à une économie de marché comme le remarque Jean-Robert Pitte :

« Quoique beaucoup de paysans continuent à produire tout ce qui leur est nécessaire, l’augmentation des rendements leur laisse la possibilité de consacrer une part grandissante de leurs terres à la spéculation qui rapporte le plus. De là découlent au XIXème siècle les progrès de la spécialisation.2 »

Dans certaines régions, la spécialisation est poussée jusqu’à la monoculture. Dans le cadre de notre corpus, c’est le cas, dans la seconde moitié du XIXème siècle, du Bas-Languedoc que visite Eran, le chevrier de Ferdinand Fabre. Jean-Robert Pitte :

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"!STENDHAL, Voyages en France, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992, p. 404.

! "%'!

« La plaine languedocienne abandonne définitivement la trilogie blé-vigne-olivier pour se tourner exclusivement vers la vigne. La richesse des sols est loin d’être propice à une viticulture de qualité, mais le vin produit est destiné aux populations rurales de l’Ouest et industrielles du Nord et du Nord-Est. Il doit être le plus abondant possible et le moins cher possible. Le chemin de fer permet son expédition aux extrémités du pays aux moindres frais.1 »

Jean-Robert Pitte évoque aussi la Beauce décrite par Zola :

« La culture des céréales se concentre sur les terroirs limoneux les plus propices, tels ceux du centre du Bassin parisien, où la disparition de la vaine pâture et de l’assolement réglé sont faits acquis depuis longtemps, déjà. Le parcellaire se rapproche de l’allure mosaïque qui est la sienne aujourd’hui au terme du processus entamé dès le Moyen Age.2 »

Cette évolution a évidemment des effets sur le paysage. Les régions de monoculture donnent l’impression à ceux qui les observent qu’elles ne sont constituées que d’une seule parcelle. C’est le sentiment d’Eran quand il arrive à Faugères :

« Pour moi, je contemplais avec ébahissement cette plaine, où, tant loin qu’ils pussent s’égarer, mes yeux ne découvraient que pampres verts et pampres rouges, pampres rouges et pampres verts.3 »

La marche vers la « spécialisation » des terroirs régionaux, même si elle était engagée depuis longtemps, connaît une intensification au XIXème siècle. Le paysage d’une région de monoculture, dont le mode d’exploitation est entièrement maîtrisé par l’homme, est à l’opposé de celui de la « forêt primitive du Nouveau-Monde » qui se caractérise par une végétation luxuriante et une grande diversité d’espèces végétales.

Ordre : l’agriculture et le sublime sombre

Sur le territoire français, si nous excluons les jardins paysagers, le pôle « culture » est figuré par les terres agricoles exploitées par les paysans, le pôle « nature » essentiellement par la forêt, les landes, les marais, les zones de montagne…

Yvon Le Scanff partage, avec les autres critiques que nous avons cités, cette idée de la bipartition du territoire. Il dit de la forêt, qu’il choisit en exemple pour illustrer sa pensée : « Elle est le contraire du jardin, espace cultivé et mesuré par l’homme, soumis

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! "!!"#$%&',-!#)(-!

#!Ibid., p. 287.

! "%(!

à sa maîtrise et source de son plaisir.1 » Mais il pousse plus loin le raisonnement. La ligne de partage entre la forêt et les zones cultivées n’est pas seulement géographique (la lisière), elle est aussi une frontière entre deux mondes aux fonctions sociales différentes.

Yvon Le Scanff, qui cite Jacques Le Goff et Paul Zumthor, définit la forêt comme :

« Un espace purement et dangereusement naturel, anomique, anti-social : c’est un « univers de la solitude » qui ignore la culture et l’ « univers des hommes en groupes ». Plus que la mer, c’est la forêt qui va incarner le lieu de la sauvagerie : « la forêt c’est l’extérieur absolu, c’est le non-lieu de l’ermite et du brigand, du boisilleur et du serf en rupture de ban.2 »

La forêt que décrivent Le Goff et Zumthor est celle du Moyen-Age, pourtant, même si sa superficie est moindre, elle a gardé au XIXème siècle la même fonction de lieu de refuge pour les exclus et les rebelles à l’ordre social. Nous en trouvons des exemples dans les romans de notre corpus.

Martissou le Croquant, le père de Jacquou, après avoir tué d’un coup de fusil Laborie, le régisseur du marquis de Nansac, « prend ses souliers, son gros bonnet de laine, passe le havresac en sautoir, met dedans un morceau de pain, sa corne à poudre, son sac à grenaille, m’embrasse, sort, son fusil à la main, et tire vers la forêt.3 ». Il vit « couché dans une cabane abandonnée, au plus épais du bois, dans un fond plein de ronces et d’ajoncs, entre la Foucaudie et le Lac-Viel, où le diable n’irait pas le chercher.4 ». Un mois plus tard, Jacquou et sa mère sont chassés de la métairie de Combenègre. Ils trouvent également refuge dans une tuilière abandonnée au milieu de la forêt.

La forêt est aussi le refuge de Inot, le Bouscassié, lorsqu’il se fait renvoyer de Sainte-Livrade. Après une année passée au service de Rouma, il retrouve sa pauvre cabane construite « avec un peu de glaise et des branchages (…) sur un massif communal qu’on appelait la Crête des chênes5 »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

"!LE SCANFF, Yvon, Le Paysage romantique et l’expérience du sublime, Seyssel, Editions Champ Vallon, 2007, p.9.

#!Ibid., p.9.

$!LE ROY, Eugène, Jacquou le Croquant, op. cit., p. 86 – 87.

%!Ibid., p. 88 – 89.

! "%)!

Dans Les Paysans de Balzac, la forêt exerce une autre fonction. Elle est le lieu des activités occultes des paysans. Dans la forêt de La-Ville-aux-Fayes, les habitants de la vallée des Aigues braconnent, maraudent et pratiquent la rapine.

La lecture de ces exemples montre que l’espace rural est partagé en deux. D’une part, les terres agricoles mesurées, organisées, cultivées par l’homme sont un espace économique de mieux en mieux structuré. De l’autre, la forêt, même si elle est également exploitée par l’homme (le bois, le gibier, les fruits sauvages…), n’est pas « mesurée, organisée, cultivée » comme le sont les terres agricoles. C’est un milieu touffu et sombre, dans lequel il est difficile de s’orienter, où l’on peut se cacher facilement. C’est dans la forêt que se réfugient les citoyens exclus par la société paysanne, comme Jacquou et ses parents, Inot le bouscassié. La forêt peut aussi être un lieu discret pour exercer des pratiques prohibées.

Chaos : l’agriculture et le sublime de puissance.

Malgré ses progrès récents, il est un domaine sur lequel l’agronomie n’exerce que peu d’influence, c’est le climat. Il n’existe aucune méthode scientifique pour faire la pluie et le beau temps. Simplement peut-elle conseiller aux paysans de cultiver les plantes nourricières les mieux adaptées aux conditions locales. Mais les sciences