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1.3 Les suffixes en /+rV/ en japonais et dans les langues « altaïques »

1.3.3 Tentatives de rapprochement

Dans cette section, nous présenterons deux façons de procéder au rapprochement des suffixes en /+rV/, que nous venons de voir, tout d’abord dans une perspective de genèse commune, et ensuite dans une perspective typologique.

1.3.3.1 D’un point de vue génétique

On peut rapprocher les suffixes en question dans une perspective de parenté géné- tique, que ce soit à un niveau micro- ou macro-génétique, et en étant en faveur de ou contre une telle parenté. Celle-ci est la voie empruntée le plus souvent par les cher- cheurs qui se sont intéressés à /+rV/ locatif dans les langues « altaïques », en coréen et en japonais. (voir Chapitre 2).

En effet, on peut diviser de façon très grossière les travaux antérieurs en deux grands ensembles : ceux qui affirment la parenté entre ces suffixes comme une preuve de la parenté entre les langues qui les possèdent ; et ceux qui les présentent en tant que preuve d’un emprunt en chaîne, c’est-à-dire d’une langue à l’autre (en japonais d’une langue « altaïque », laquelle à son tour les aurait empruntés à une autre langue « altaïque », etc.).

1.3 Les suffixes en /+rV/ en japonais et dans les langues « altaïques »

La première version est évidemment celle défendue par les micro- et macro-altaïstes, la seconde celle que défendent leurs opposants, les anti-altaïstes.

1.3.3.2 D’un point de vue typologique

Or, il nous semble que de façon alternative, on peut envisager le problème du rapprochement entre ces suffixes dans une perspective typologique, laissant ainsi de côté la question de leur parenté au profit d’une analyse détaillée de leur histoire et de leur fonctionnement dans les langues étudiées. Nous serons ainsi mieux en mesure de les appréhender dans toute leur complexité et libéré du es muss sein du comparativisme à outrance nous ouvrir à d’autres voies de recherches des raisons de ces ressemblances. Parmi celles-ci, on trouve le hasard, le contact prolongé ou encore, à un macro-niveau, l’existence d’universaux au niveau de la forme et du sens. Si ensuite nous élargissons notre champ d’étude à d’autre langues où l’on peut observer des faits similaires, nous pourrons éventuellement suggérer un jour une relation entre les deux.

En effet, il n’est pas rare de constater des ressemblances au niveau morphologique entre des langues qui ne font pas partie, du moins de façon démontrable, d’une même famille linguistique. Afin d’illustrer ce point, nous allons présenter deux cas qui mettent en jeu plusieurs langues non-apparentées. L’étude de ces deux cas présente un intérêt particulier dans le cadre de notre travail, étant donné qu’il s’agit de suffixes de type /+rV/ à sens locatif et pluralisateur, respectivement.

Le premier cas met en jeu le tibétain21, le hongrois et le basque.

Il existe en tibétain classique, ainsi que dans les dialectes modernes, un suffixe /+la/, qui a un sens locatif :

(25) na.ning année.dernière bod Tibet la la sa.yom tremblement.de.terre byung apparaître song aor.const ‘L’année dernière, il y a eu un tremblement de terre au Tibet.’ (Gyurmé et al. [1994, p. 29])

Ce suffixe a un allophone en /+r/ lorsque le nom qu’il suit se termine par une voyelle.

En hongrois moderne, nous avons un suffixe /+ra∼+re/22

, qui est l’indice du sublatif, un cas spatial de la déclinaison de cette langue qui indique le mouvement ‘vers’ (l’extérieur d’un objet ou endroit en général) (Rounds[2001, pp. 101-2]) : (26) El-megy-unk

prev-aller-4.pres.ind

Magyarország-ra Hongrie-ra ‘Nous allons en Hongrie’

(27) A

art táskámsac.1.poss

leesett

prev.tomber.prf aart föld-resol-re ‘Mon sac est tombé par terre (= sur le sol)’

21

Nous tenons à remercier Guillaume Jacques de nous avoir fourni les données sur le tibétain et le rgyalrong.

22

Et enfin, on trouve en basque un suffixe /+(e)(ta)ra/ qui est l’indice d’un cas adlatif (ou nora, forme de l’interrogatif décliné à ce cas) utilisé exclusivement avec des inanimés, qui exprime le but d’un déplacement (Zubiri [2000, pp. 114-15]) :

(28) Ospitale-ra hôpital-ra eraman emmener dute 3.abs.pres.ind.6.erg ‘Ils l’ont emmené à l’hôpital’

(29) Bilbo-ko Bilbao-rel jai-eta-ra fête-pl-ra goaz 4.abs.aller.pres.ind ‘Nous allons aux fêtes de Bilbao’

Le deuxième cas met en jeu un morphème pluralisateur dans une langue sino- tibétaine, le rgyalrong, et en japonais.

Comme nous l’avons vu plus haut (1.3.1.1), il existe en japonais un suffixe /+ra/ qui s’utilise de nos jours exclusivement avec des noms désignant des êtres animés et des déictiques et dont la valeur principale est celle d’un pluriel représentatif (dont la connotation peut être selon le registre de langue employé de neutre à méprisante) : (30) 米大統領ら

bei-dait¯ory¯o-ra US-président-ra イメク iraku Irak 電撃訪問 dengeki h¯omon visite.surprise

‘Visite suprise du président des Etats-Unis (et de ses collaborateurs) en Irak’ (31) 社長 shach¯o-no PDG-gen 山曓 んら yamamoto-san-ra Yamamoto-monsieur-ra 十一人 j¯uichi-nin onze-personnes

‘Le PDG, M. Yamamoto, et son équipe, onze personnes...’

Or, en rgyalrong, nous avons également un morphème /+ra/ qui a un sens plura- lisant : (32) W-kha 3.sg-maison ra ra nW-m7-k7-sWs 3.pl-neg-NomAction-savoir n7 conj Wýo 3.sg kW erg q7jGi momo XsWm trois lo-Bzu med-faire

‘Sans que les gens de sa famille ne le sachent, elle fit trois momos.’ (Jacques

[2004, p. 444]) (33) nW-jaK 3.pl-main t7-kW-CthWs aor-NomAgent-tourner.vers ra ra nW-jaK 3.pl-main pj7-Kndz´7r-nW med-couper-pl ‘(La flèche de Gesar) coupait les mains de ceux qui les tendaient.’ (Jacques

[2004, p. 346])

Lorsque l’on se retrouve face à de tels cas de figure, où nous avons dans plusieurs langues ne faisant pas partie d’une même famille linguistique ce qui semble être un morphème qui est identique aussi bien du point de vue de sa forme phonémique que de son sémantisme nous avons traditionnellemnt le choix entre :