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5.3 Etude des occurrences de /+ra/

5.3.1 Dans les chants du Kojiki (712)

5.3.1.2 Après une base servant à former des adjectifs

Dans cette section nous présenterons les occurrences de /+ra/ après une « base servant à former des adjectifs » keiy¯oshi gokan 形容詞語幹, c’est-à-dire la base sur laquelle a été formé l’adjectif. Cette base peut, par ailleurs, être attestée ou non de façon indépendante dans la langue.

Les exemples relevés illustrent l’emploi de /+ra/ après les bases des adjectifs sui- vants : aka-si ‘rouge’ (5.3.1.2.1), ata-ra-si ‘regrettable’ (5.3.1.2.2), uma-si ‘savoureux’ (5.3.1.2.3) et yo2-si ‘bon’ (5.3.1.2.4).

5.3.1.2.1 Après aka- ‘rouge’

Voici les exemples que nous avons relevés dans les chants du Kojiki où le suffixe /+ra/ suit aka, qui est la base de l’adjectif aka-si ‘rouge’ et un nom qui désigne la couleur rouge. (5) 波都迩波 pa-tu-ni extrémité-gen-terre pa top 波陀阿可良気美 paNta peau aka-ra-ke2-mi1 rouge-ra-suf-cnv

‘(...) Les couches du dessus sont rouges et donc [ne sont pas adaptées à la fabrication de fard] (...)’ (Chant 42)

(6) 曓都毛理 po1tumo1ri ? 阿迦良袁 賣袁 aka-ra-woto2me1-wo rouge-ra-jeune fille-acc 伊邪佐佐婆 iNsa-sas-aNpa inviter-hon-cnd 余良斯那 yo2-ra-si bon-ra-asr na excl ‘(...) Les jeunes filles à la beauté rare ont un teint de rose (...)/Comme il serait bon de les attirer (...)’ (Chant 43)

Ce chant porte le numéro 44 dans Ogihara & K¯onosu [1973]. A propos de aka- ra-woto2me1 Ogihara (p. 252) dit qu’il s’agit d’une ‘jeune fille en bonne santé qui est

exubérante’. Le commentateur émet l’hypothèse que l’expression désigne la couleur de ses joues. Le mot aka est selon lui un adjectif (keij¯ogen 形状言 ) qui a le sens de ‘rouge et brillant’, et ra est en l’occurrence un suffixe. Il nous fait observer que dans la version de ce chant que l’on trouve dans le Nihon shoki nous avons akareru woto2me1

à la place.

Dans ce type d’emploi, après une base servant à former des adjectifs variables,/+ra/ est parfois présentée comme exprimant la manière ou encore l’état. Sa valeur exacte est difficile à déterminer, mais il semble que ce /+ra/ sert à la création lexicale, et plus particulèrement adjectivale.

A partir de aka, la base de l’adjectif aka-si ‘rouge’, qui est en réalité le nom de la couleur rouge, on a formé une base élargie akara dont la valeur semble être la même que celle de cette même base redoublée aka-aka, mais qui pourra précéder directement un nom qu’elle qualifie. Leur comportement morphosyntaxique est ainsi différent, mais leur sémantisme semble équivalent (voir Labrune [1993]).

Ces bases élargies en /+ra/ sont également à l’origine d’une importante classe d’adjectifs invariables en /+raka/ ∼ /+yaka/ (voir AnnexeB.2).

5.3.1.2.2 Après ata- ‘regrettable’

Voici le seul exemple que nous ayons relevé dans les chants du Kojiki où le suffixe /+ra/ suit ata, base (nominale ?) de l’adjectif atarasi ‘regrettable’.

(7) 阿多良須賀波良 atara atara suNka-para jonc-champ 阿多良須賀志賣 atara en vain suNkasi pure me1 femme ‘(...) Pauvre champ de jonc ! (...) Pauvre fille pure !’ (Chant 64)

5.3 Etude des occurrences de /+ra/

Ce chant porte le numéro 65 dans Ogihara & K¯onosu [1973]. A propos de atara Ogihara (p. 282) affirme que c’est un exclamatif qui veut dire ‘c’est dommage’.

L’adjectif est donc atarasi, et il est composé d’une base étendue atara, attestée dans cet exemple, qui est elle-même formée à partir d’une racine ata qui n’est pas attestée par ailleurs. Néanmoins, le procédé semble avoir été le même que dans le cas de akara (5.3.1.2.1).

5.3.1.2.3 Après uma- ‘savoureux’

Voici le seul exemple que nous ayons relevé dans les chants du Kojiki où le suffixe /+ra/ suit uma, base (nominale ?) de l’adjectif umasi ‘bon, délicieux’.

(8) 余久須迩 yo2kusu-ni mortier-loc 迦美斯意富美岐 kam-i1si distiller-pst.adn

opo2-mi1-ki1 grand-hon-saké 麻良爾 uma-ra-ni bon-ra-loc 岐許志母知袁勢 ki1ko2simo2tiwos-e boire.hon-imp

‘(...) Savourez le saké, préparé dans un mortier long et bas (...) (Chant 48) Ce chant porte le numéro 49 dans Ogihara & K¯onosu[1973]. A propos de uma- ra-ni Ogihara (p. 255) dit ‘de façon savoureuse’.

L’adjectif qui a servi de base à cette locution à sens adverbial est umasi ‘bon, savoureux, délicieux’. Il est intéressant de remarquer qu’en l’occurrence la base élargie de cet adjectif, umara, reçoit ce qui semble être une marque casuelle, ni, indice du datif- locatif. Nous sommes donc obligés de supposer que cette base élargie pouvait s’utiliser comme un nom. On peut citer comme argument en faveur de cette interprétation, l’apparente existence d’exemples où une base élargie en /+ra/, marquée par l’indice de l’accusatif, semble être utilisée dans un syntagme verbal transitif (5.3.5.2.4).

De façon alternative, nous pourrions émettre l’hypothèse qu’il ne s’agit pas en l’occurrence d’un indice casuel mais d’une forme converbale ni, reliquat d’une ancienne copule dont certains chercheurs ont proposé l’existence en proto-japonais, et qui aurait fusionné avec la marque du datif-locatif en raison de leur identité phonétique.

5.3.1.2.4 Après yo2- ‘bon’

Voici le seul exemple que nous ayons relevé dans les chants du Kojiki où le suffixe /+ra/ suit yo2, base (nominale ?) de l’adjectif yo2si‘bon (par opposition à ‘mauvais’)’.

(9) 曓都毛理 po1tumo1ri ? 阿迦良袁 賣袁 aka-ra-woto2me1-wo rouge-ra-jeune fille-acc 伊邪佐佐婆 iNsa-sas-aNpa inviter-hon-cnd 余良斯那 yo2-ra-si bon-ra-asr na excl ‘(...) Les jeunes filles à la beauté rare ont un teint de rose (...)/Comme il serait bon de les attirer (...)’ (Chant 43)

Cet adjectif existe sous deux formes : yo2si et yo2ro2si. La deuxième variante

avons dans ce chant, et certains chercheurs sont enclins à y voir une preuve d’une ancienne « harmonie vocalique », ce qui en raison même de l’existence de cet exemple qui est ancien, nous paraît discutable.