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Les tentatives empiriques pour contrer la prolifération des bioagresseurs : L‘exemple du

CHAPITRE I – L‘AVÈNEMENT HISTORIQUE DE LA PROTECTION DES CULTURES EN FONCTION

2. L‘agriculture issue de la première révolution industrielle : la mise à l‘épreuve par ses bioagresseurs

2.2. Les tentatives empiriques pour contrer la prolifération des bioagresseurs : L‘exemple du

Les phytophages et les phytopathologies constituent donc le talon d‘Achille d‘une agriculture entrée dans l‘ère de la spécialisation culturale et de l‘intensification du commerce international, qui sont corrélées non seulement l‘amélioration des moyens de transport, mais également à l‘essor graduel des théories économiques du libre-échange. D‘un côté, les producteurs s‘éloignent des marchés locaux pour écouler leurs récoltes vers d‘autres horizons et, réciproquement, les produits concurrents venus d‘autres horizons se rapprochent. D‘un autre côté, l‘importation des denrées se doublait de la propagation des problèmes phytosanitaires qui ont marqué l‘histoire de l‘agriculture dans la seconde moitié du XIXe

siècle.

[En 1868], la cochenille australienne s‘abattit sur les plantations d‘agrumes californiennes. La galéruque [ou chrysomèle de l‘aulne], venue d‘Europe, dévasta les ormes de villes américaines, tandis que la maladie des ormes, originaire d‘Asie, anéantit un peu plus tard la quasi-totalité des spécimens à l‘est du Mississippi. Dans un échange de bons procédés, [en 1863], les États-Unis exportèrent le phylloxéra, un aphide qui détruisit quantité de vignobles en France et en Italie. (Mann, 2013, p. 271)

Cette diffusion des bioagresseurs a entraîné un renforcement des recherches pour lutter contre ces fléaux. De l‘autre côté de l‘Atlantique, aux États-Unis, la protection des cultures adopta une démarche empirique, selon la méthode essai-erreur, comme l‘illustrèrent les efforts déployés pour venir à bout des doryphores de la pomme de terre, Leptinotarsa decemlineata. En effet :

Au mois d‘août 1861, des doryphores s‘abattirent sur les dix arpents de terres d‘un certain Thomas Murphy, un cultivateur de pommes de terre résidant dans le nord-est du Kansas. [...] Les insectes étaient si nombreux que l‘on distinguait à peine les feuilles sous ce fourmillement de carapaces luisantes. Murphy les retira pour les mettre dans un panier ―et rassembla en peu de temps l‘équivalent de deux boisseaux‖, chose remarquable quand on sait que chaque spécimen mesure moins d‘un centimètre [...] Au bout de sept ans, il étendait ses ravages entre le Maine et la Caroline du Nord. (Mann, 2013, p. 267).

Le doryphore est originaire du centre-sud du Mexique où il était initialement connu comme un prédateur de la morelle, Solanum rostratum, une herbacée à tige haute parente de la pomme de terre : « Il se peut que la morelle, après son arrivée au Texas, ait été disséminée par les troupeaux

Première partie – L‘usage d‘agrochimiques de synthèse dans la caféiculture : une crise de valeurs

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de bisons qui migraient vers le nord à chaque printemps » (Mann, 2013, p. 269). Or, « au milieu du XIXe siècle, le doryphore du Midwest subit une infime mutation génétique » qui a été suivie d‘un « changement de préférence alimentaire au profit de la pomme de terre, qui appartient comme la morelle à la famille des solanacées » (Mann, 2013, pp. 268-269). C‘est ainsi qu‘un « accident génétique isolé touchant un seul individu a réussi à provoquer un problème mondial. Le doryphore demeure à ce jour le pire ravageur de la pomme de terre ». Les contemporains étaient conscients de l‘ampleur du problème, chiffres à l‘appui. De sorte qu‘en 1875, un journaliste du New York Times calculait qu‘« un couple de doryphores, à l‘abri de toute perturbation pendant une année, engendrerait une progéniture de 60 millions d‘individus. [Le chiffre réel avoisinerait plutôt les 16 millions] ». Le péril représenté par le coléoptère est exprimé à l‘aide d‘une métaphore militaire, très parlante pour une société qui portait encore le souvenir lancinant de la guerre civile de Sécession (1861-1865). Le reporter new-yorkais notait donc que « la présente invasion démontre la regrettable ténacité de la bête de Colorado ; il est rare qu‘elle abandonne une localité avant de l‘avoir ravagée pendant plusieurs saisons [...] Dans ces conditions, la seule solution est de s‘engager dans une guerre agressive contre les doryphores » (Mann, 2013, p. 269). On assista alors à une recherche par tâtonnements pour trouver un produit insecticide susceptible d‘arrêter le fléau. Sans succès,

Les cultivateurs répandirent de la chaux et des cendres sur les plantes, et les aspergèrent de soufre et de jus de tabac. Ils arrosèrent les doryphores d‘un mélange d‘eau et de goudron de houille. Certains auraient même tenté le vin et le kérosène, mais rien n‘y faisait (Mann, 2013, p. 270).

Ce fut l‘arséniate de cuivre ou vert de Paris qui offrit, en 1867, aux cultivateurs l‘espoir d‘un redressement de la situation. Développé à la fin de XIXe siècle, on l‘utilisait communément pour les peintures, les textiles et les papiers peints.

Les vertus pesticides de la substance auraient été fortuitement découvertes par un fermier qui venait de repeindre ses volets. Dans un geste d‘humeur, il jeta le reste de peinture sur ses pommes de terres infestées de doryphores (Mann, 2013, p. 272).

L‘insecticide tant attendu venait d‘être trouvé. « Du point de vue des fermiers [et de l‘industrie chimique naissante], le Vert de Paris ressemblait à un cadeau du Ciel ». Pour s‘en servir, ils le dispersaient d‘abord dans la farine, et ensuite ils le « répandaient sur les pommes de terre, ou le dissolvaient dans l‘eau pour les en asperger » (Mann, 2013, p. 272). Ils ne tardèrent pas à tester l‘arsenic sur d‘autres phytophages. Un usage intensif et indiscriminé de produit ne manqua pas

Chapitre I – L‘avènement historique de la protection des cultures en fonction d‘agrochimiques de synthèse

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de provoquer des phénomènes de résistance chez ce coléoptère. Dès 1912, les fermiers observèrent que certains doryphores étaient « réfractaires au Vert de Paris » : « Dans les années 1940, des fermiers de Long Island se virent contraints d‘augmenter régulièrement les quantités d‘arséniate de calcium, la variante la plus récente, pour protéger leurs champs » (Mann, 2013, p. 272).

En Europe occidentale, par exemple dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle, on mena aussi des tests empiriques orientés vers la fabrication d‘insecticides capables de combattre les bioagresseurs qui s‘attaquaient aux monocultures dans lesquelles chaque région s‘était spécialisée. Un des symboles de l‘armement chimique de cette époque, était la bouillie

sulfocalcique : il s‘agit d‘un mélange de chaux vive et de fleur de soufre notamment dans l‘eau

chaude. En 1851, cette bouillie est connue sous le nom de Bouillie versaillaise. Il semble qu‘elle était vendue par un jardinier de Versaille pour traiter l‘oïdium de la vigne. Puis, en 1863, elle fut aussi préconisée contre le Pseudococcus et, en 1910, contre le Diaspidiotus perniciosus, plus connu sous le nom de « Pou de San José » (Lhoste et Grison, 1989, p. 37).

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