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La Révolution verte en tant que activité technoscientifique : cerner un sujet pluriel à travers

CHAPITRE I – L‘AVÈNEMENT HISTORIQUE DE LA PROTECTION DES CULTURES EN FONCTION

3. La « Révolution verte » comme révolution technoscientifique

3.2. L‘agro-industrie en tant que Révolution verte : Un cas exemplaire de révolution technoscientifique

3.2.2. La Révolution verte en tant que activité technoscientifique : cerner un sujet pluriel à travers

La Révolution verte, en tant qu‘entreprise technoscientifique, est le résultat d‘un engrenage d‘acteurs. Leur diversité est grande, aussi bien dans leur nature, dans leur organisation que dans leurs comportements. Pour réussir à cerner la pluralité, la cohérence et les conflits à l‘intérieur de cette constellation d‘agents, nous examinerons brièvement et successivement les valeurs qu‘ils visent à satisfaire à travers leurs agissements activités.

L‘appellation de Révolution verte prend tout son sens quand on connaît les valeurs politiques qu‘elle cherchait à accomplir dans le contexte de la Guerre froide entre les régimes capitalistes et le bloc socialiste. La lutte pour contrer les mouvements révolutionnaires promus par l‘URSS s‘est doublé d‘un plan de soutien économique afin d‘améliorer les conditions de vie misérables des masses populaires, notamment rurales, qui étaient susceptibles d‘adhérer aux idées socialistes ou à l‘idéologie soviétique, et de déclencher ou de soutenir des tentatives insurrectionnelles anticapitalistes. Comme le déclare Michel Griffon :

Le communisme chinois s‘était construit politiquement sur la capacité de révolte de la paysannerie pauvre et sous-alimentée. Le soutien de la Chine à la Corée du Nord contre la Corée du Sud et le déclenchement de la guerre froide ont alors très vite persuadé le gouvernement des États-Unis que les pénuries alimentaires de l‘Inde et, d‘une manière plus générale, celle de l‘Asie pourraient faire basculer la totalité de ce continent dans le communisme. Dès lors, un raisonnement simple s‘est imposé : si les pénuries pouvaient entraîner la révolution sociale, celle- ci pouvait être évitée par une révolution technique pour accroître la production alimentaire. Ainsi la décision d‘aider massivement l‘Inde à accroître sa production alimentaire (et d‘envoyer massivement de l‘aide alimentaire) a-t-elle été une décision éminemment politique directement liée à la guerre froide (Griffon, 2006, p. 68).

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A l‘échelle de la politique internationale, les États-Unis ont consolidé leur leadership sur le bloc des démocraties libérales de marché en conduisant plusieurs programmes régionaux de transferences technologiques, d‘aides incitatives au développement et d‘appui matériel. Au fond, cette politique d‘encouragement à l‘agriculture en Asie et ensuite en Amérique, à travers le programme Alliance pour le progrès, entamée au début des années 1960, avec la Colombie pour porte d‘entrée,

cette politique volontariste n‘était pas très différente de celle que les pays occidentaux avaient appliquée ou appliquaient à l‘époque. Le plan Marshall, établit notamment pour sortir l‘Europe de la pénurie alimentaire dès l‘après-guerre, et l‘action du général MacArthur au Japon pour relancer l‘économie étaient fondés sur le même effort massif combinant une nouvelle technologie et des mesures d‘aide très fortement incitatives (Griffon, 2006, pp. 71-73).

Cette initiative était dirigée par les États-Unis, pays d‘origine de la technoscience et qui en fixe les règles de jeu (Echeverría, 2003 p. 12, 64 ; Bensaude-Vincent, 2009, p. 29). Le chef de fil du capitalisme mondial était aussi celui de l‘agro-industrie globale. Comme le précise Michel Griffon, « sous la bannière des États-Unis, les pays développés ont donc proposé un bond en avant technique, ―la révolution verte‖, transposant dans le monde tropical la modernisation que nous avons connue dans les années 50 et 60 » (Griffon 2003, p. 4). Cette vocation politique de la Révolution verte était une évidence pour William Gaud, administrateur de l‘Agence Internationale pour le Développement des États-Unis (USAID), qui a assuré la célébrité de cette expression en l‘employant lors d‘un discours prononcé le 8 mars 1968 à Washington :

Ces nouveautés, associées à d‘autres innovations dans le domaine de l‘agriculture laissent présager d‘une nouvelle Révolution. Ce n‘est pas une Révolution rouge violente, comme celle des Soviets, ou une Révolution blanche, comme en Iran. Mais je l‘appellerais plutôt la Révolution verte basée sur l‘application de la science et de la technologie (Griffon, 2003, p. 1).

Économiquement, la Révolution verte a reposé sur une forme d‘interventionnisme des pouvoirs publics, à différentes échelles, internationale, nationale, régionale :

Le modèle de la Révolution verte n‘est pas, comme on le croit très souvent seulement un modèle technique [...]. C‘est tout autant une politique agricole d‘accompagnement qui a été très favorable à l‘agriculture, et fondée sur des subventions importantes [...] Plus précisément, le modèle économique d‘accompagnement tel qu‘il s‘est ensuite diffusé en Asie et dans le monde est caractérisé par les mesures de base suivantes :

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59  garantie d‘achat des récoltes pour le producteur ;

 garantie de prix donné au producteur avant la campagne de production ;  subvention aux engrais, aux produits de traitement et aux semences ;

 prêts subventionnés du crédit agricole pour les achats annuels et les équipements  vulgarisation gratuite de connaissances (Griffon, 2006, pp. 71-73).

L‘accompagnement pouvait prendre la forme d‘un partenariat entre une fondation d‘origine privée et un pouvoir public : ainsi, en 1943, le gestionnaire de la Révolution verte, l‘agronome américain Norman Borlaug, a dirigé le premier programme international d‘aide agricole en associant la Fondation Rockefeller9 et le gouvernement du Mexique.

Ces politiques d‘accompagnement étaient orientées vers une augmentation des rendements des cultures. Les résultats de l‘application de ce modèle d‘agriculture sont éloquents : la production de riz paddy en Inde est passée d‘environ 58 000 milliers de tonnes en 1961 à 140 000 au début des années 2000 ; des accroissements semblables ont été obtenus en Indonésie et Vietnam (Griffon, 2006, pp. 74-75). Cette hausse de la productivité agricole dans les pays sous- développés a été constamment liée à un accroissement de la consommation en dispositifs techniques fabriqués par les nations développées. Il s‘ensuit qu‘après l‘effondrement du bloc socialiste en 1989, le recul des politiques interventionnistes et l‘essor de l‘économie libérale de marché a placé les pays en développement dans une situation structurelle de déficit commercial.

Quant aux valeurs sociales, la Révolution verte visait à satisfaire les valeurs de souveraineté et de sécurité alimentaires, ou du moins à provoquer une réduction de la sous-alimentation et de la faim dans le monde et notamment dans les pays les plus pauvres : au XXe siècle, les famines touchent certains pays asiatiques surpeuplés tels que l‘Inde, le Bangladesh et la Chine. En Chine, par exemple, entre 1920 et 1961 il y a eu 43 millions de morts de faim (Griffon, 2006, p. 33-34). L‘accomplissement de ce projet constituait un véritable défi et une indiscutable nécessité : il s‘agissait de nourrir, en 1950 une population d‘environ quatre fois (2,519 milliards) supérieure à celle de 1750 (629 à 691 millions). Un demi-siècle plus tard, ce programme interventionniste a apporté un bouleversement dans la variété, la quantité et la qualité du régime alimentaire de la population humaine occidentale. Selon l‘ingénieur des mines et économiste Bruno Parmentier, « malgré les nombreuses imperfections subsistant, malgré la ―malbouffe ‖, malgré les dégâts induits par le progrès, malgré la véritable ―épidémie‖ mondiale d‘obésité et la multiplication des

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Voir, Norman E. BORLAUG ET Christopher DOWSWELL. (2004). La révolution verte: un programme inconclus, FAO. Récupéré de : http://www.fao.org/docrep/meeting/008/J3205f/j3205f00.htm#P26_2751

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cancers, on mange mieux que l‘on n‘a jamais mangé » (Parmentier, 2009, p. 14). Aujourd‘hui l‘Occident ne semble plus menacé par des crises malthusiennes de subsistance, les produits de première nécessité sont en général abordables et pourtant jamais la nourriture n‘avait eu des répercussions aussi inquiétantes, pour ne pas dire nuisibles sur la santé publique des consommateurs des produits issus de l‘agro-industrie.

À première vue, l‘agro-industrie est sans rapport avec les valeurs militaires. Cependant, un lien apparaît quand on considère l‘émergence et l‘usage des pesticides au cours du XXe

siècle. Les investigations qui ont donné naissance aux puissants insecticides organiques de synthèse tels que les composés organochlorés, dont le prototype, le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), ont d‘abord prouvé leur efficacité sur les soldats états-uniens contre les moustiques et les poux, arthropodes vecteurs de maladies telles que le paludisme et le typhus. Synthétisé par le Strasbourgeois Zeidler en 1874, ce ne fut qu‘en 1939, au sein de la compagnie suisse Geigy, que le chimiste suisse Paul Hermann Müller a mis en évidence l‘action insecticide et, l‘efficacité du DDT, le laboratoire l‘a ensuite mis à disposition de l‘armée nord-américaine lors de la Seconde Guerre mondiale. En même temps, les Allemands développaient les premiers insecticides organophosphorés à partir des gaz de combat (sarin, tabun) (Regnault-Roger, 2012, p. 102). Ces insecticides à usage militaires furent utilisés dans les années 1950 par les exploitants agricoles états-uniens, qui virent, par exemple, dans le DDT un remède définitif contre les doryphores. De plus, depuis que les sources d‘approvisionnement en pyrèthre, insecticide d‘origine végétale extrait des fleurs de chrysanthèmes importés à l‘époque du Japon, ont été détruites par les Guerres mondiales, le DDT étant peu coûteux, de grande stabilité chimique et facilement applicable sur de grandes surfaces, il s‘est massivement imposé dans l‘agriculture mondiale, appuyé par les plans de relance développés par les Nord-Américains (Regnault-Roger, 2012, p. 102).

L‘introduction du DDT en agriculture a représenté la première intrusion de masse de la chimie dans le monde agricole : insecticide à large spectre, il était effectivement actif sur 240 espèces de ravageurs et il permettait de protéger environ 330 cultures différentes (Regnault-Roger et Philogène, 2005, p. 26). Le DDT a donc été une arme redoutable dans le cadre de la lutte phytosanitaire qui a connu un succès spectaculaire. Comme Michel Serres le suggère, on peut voir dans les pesticides des dispositifs qui gardent leur vocation militaire et qui intensifient la Guerre mondiale c‘est-à-dire la guerre des humains contre le monde non-humain (Serres, 2011). Chaque région cultivée sous le modèle agricole de la Révolution verte, dans n‘importe quel

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endroit de la planète, constitue, selon Serres, « le théâtre des opérations » d‘une guerre chimique dont les « ennemis » sont des insectes, des champignons et des « mauvaises herbes », en règle générale, tous les organismes vivants qui signifient une menace pour le rendement des cultures.

À propos de l‘accomplissement des valeurs épistémiques, il convient de saisir la spécificité de la technoscience dans ce domaine. La composition même de ce néologisme est évocatrice. A cet égard, Bernadette Bensaude-Vincent affirme :

Ce terme évoque, en première approche, une mutation de rapports entre science et techniques. La technique ne serait plus dépendante de la science ni subordonnée à elle dans le système de valeurs. Les priorités se trouveraient inversées, comme le suggère l‘ordre du mot composé (Bensaude-Vincent, 2009, p. 7).

Cette priorité du technique se traduit par la place qu‘occupent les dispositifs dans la recherche scientifique. Selon Bernadette Bensaude-Vincent : « le dispositif se distingue de l‘instrument traditionnel au sens où il accomplit des opérations, il intervient activement sur le monde. […] Le dispositif ne vise pas à représenter la réalité objective. Il intervient activement sur cette réalité et livre en retour le résultat de cette intervention » (2009, pp. 117 – 118). Autrement dit, « l‘objectif n‘est plus d‘observer ni de comprendre la nature, mais d‘observer les effets de notre intervention technique sur elle » :

À la posture du spectateur, extérieur au monde, qui aspirait à une objectivité idéale, à une ‗‗vue de nulle part‘‘, succède la posture du chercheur immergé dans le monde à déchiffrer. Équipé d‘instruments – de visualisation et de manipulation –, il se promène partout dans les paysages éloignés de l‘infiniment grand comme de l‘infiniment petit (Bensaude-Vincent, 2009, p. 121).

La recherche scientifique fondamentale vise de manière significative à l‘élaboration de nouveaux dispositifs, et pas seulement pour satisfaire des valeurs épistémiques ou épistémologiques comme c‘était le cas des révolutions scientifiques caractérisées par Kuhn. Cette inversion des priorités est reconnue dans le document qui est considéré comme la base de la politique scientifique états-unienne, ce qui a probablement eu une influence significative sur la construction des politiques scientifiques de nombreux pays, dont la Colombie. Nous parlons ici du très célèbre rapport Science, the Endless Frontier qui a été présenté en 1945, après la Seconde Guerre mondiale, par l‘ingénieur américain et alors directeur du Bureau pour la Recherche et Développement Scientifiques, Vannevar Bush au président des États-Unis de l‘époque, Franklin

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Roosevelt. Dans la lettre d‘accompagnement au rapport, comme cela a été mis en évidence par Echeverria (2003, p. 189), s‘exprime ce qui peut être considéré comme la thèse du document : « Le progrès scientifique est une clé essentielle pour la sécurité de notre nation, pour améliorer notre santé, avoir du travail de meilleure qualité, élever les conditions de vie et progresser culturellement » (Bush, 1945, p. 1).

Echeverria attire l‘attention sur le fait que, dans ce document, le « progrès scientifique » est considéré comme un moyen pour atteindre de buts de divers types. Cela nous place face à une transformation de ce qui a été une des sources de changements dans notre culture, la science, puisqu‘à partir de la deuxième moitié du siècle précédent il est évident, à la suite du Projet

Manhattan, que « la connaissance est un bien économique (et militaire, et social, et sanitaire), non seulement un bien épistémique » (Echeverría, p. 194). Dans cette nouvelle réalité de

l‘activité scientifique ou, plus exactement, technoscientifique, sont reconnus comme essentiels les développements que la recherche fondamentale a apportés au changement de l‘agriculture et des pratiques agricoles. À titre d‘exemple, dans la première partie de l‘introduction du Rapport

Bush, intitulée Le progrès scientifique est essentiel (Scientific Progress Is Essential), celui-ci

affirme :

De grands progrès dans l‘agriculture sont également basés sur des recherches scientifiques. Les plantes qui sont plus résistantes aux maladies et adaptées à une courte période de croissance, la prévention et la guérison des maladies du bétail, le contrôle des insectes ennemis, de meilleurs engrais et l‘amélioration des pratiques agricoles, tout dérivé de minutieuses recherches scientifiques (Bush, 1945, p. 1).

Coïncidence ou non, par la suite le vert a commencé à faire partie de la classification de la biotechnologie par couleurs, de telle manière que la biotechnologie verte est appliquée à l‘agriculture.

La Révolution verte a donc été l‘un des premiers programmes mis en place dans le cadre du système de recherche scientifique et développement technologique (R et D). La R et D se caractérise parce qu‘elle combine la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental. La notion de R et D s‘est généralisée après la Seconde Guerre mondiale, notamment aux États-Unis, et ensuite dans l‘Europe et le Japon de la reconstruction (Plan Marshall et Plan MacArthur, respectivement). L‘Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) créa en 1963 le Manuel de Frescati comme une référence

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internationale pour mesurer le progrès en R et D. Ce Manuel est complété du point du vu de l‘innovation (R et D+i) par le Manuel d‘Oslo qui surgit à partir de 1997.

Le modèle agricole de la Révolution verte vise à atteindre une production de haut rendement, au moyen des pratiques de forçage, fomentées par un système de R et D grâce à la connaissance obtenue dans des domaines tels que : l‘amélioration génétique de plantes ; la chimie organique de synthèse associée aux engrais chimiques et aux pesticides, les organochlorés par exemple ; la maximisation de la fonction de productivité des cultures en revoyant l‘accomplissement des procédés de semailles, récolte et post-récolte. De sorte que l‘accent est mis sur les transformations praxéologiques qui découlent des transformations épistémiques. En d‘autres termes, on évalue l‘activité technoscientifique, notamment dans l‘agriculture qui est notre domaine d‘étude, moins sur la base des changements dans la connaissance, que sur la base des bouleversements dans les pratiques agricoles rendues possibles par les nouveaux savoirs engrangés.

Compte tenu des succès que la Révolution verte a eus aux États-Unis, en Europe et en Asie, elle est devenue un véritable exemple mondialement reconnu par les chercheurs dans le domaine agricole. D‘où un transfert technologique lié à la création de centres de recherche et à la mise en œuvre de leurs résultats dans divers pays tels qu‘en Mexique, en l‘Inde, en Chine, parmi d‘autres (Griffon, 2006). La Révolution verte a offert alors un cadre scientifique et technique commun qui a joué un rôle unificateur et déterminant à plusieurs niveaux : aussi bien au niveau des politiques nationales de recherche scientifique en l‘agronomie et pour le développement des centres de R et D, qu‘au niveau des intérêts économiques des corporations privées ou des populations agricoles. Bref, la Révolution verte constitue un « paradigme » agrotechnologique.

Enfin, la satisfaction des valeurs écologiques n‘était pas au centre des préoccupations d‘un agir technique articulé autour de l‘efficacité et par conséquent sur le forçage des agroécosystèmes. Ce forçage a été conduit de manière à repousser toujours plus loin des limites franchies par les pratiques d‘artificialisation. En effet, la Révolution verte intervient les écosystèmes en les soumettant à une même dynamique linéaire, de telle sorte que pour obtenir une plus grande production il faut apporter régulièrement et immanquablement une plus grande quantité d‘intrants externes pour maintenir la productivité des cultures et pour lutter contre les ravageurs, les adventices et les maladies. Cette agriculture en fonction d‘intrants de synthèse s‘est répandue et normalisée à échelle mondiale, alors que certains agronomes ont constaté que ce n‘est que

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dans des cas exceptionnels, à cause des conditions agro-écologiques extrêmes, qu‘il pourrait s‘avérer opportun de réguler la croissance des plantes ou la défoliation, de dessécher, de clarifier et de protéger les cultures ou les produits agricoles, avec une prépondérance des inputs externes (Parmentier, p. 145).

Or à cause de cette dynamique décontextualisée dans les pratiques agricoles, la Révolution verte a engendré et engendre ses propres limites en suscitant des problèmes auxquels elle ne peut pas faire face d‘une manière satisfaisante. C‘est ainsi qu‘a commencé à se manifester l‘inefficience d‘une agro-industrie qui, lancée à la poursuite de résultats à court terme, perdait de vue les conséquences lointaines, mais inévitables, et parfois irrémédiables, de ses agissements. D‘où une difficulté ou un « paradoxe » :

La technoscience, qui a provoqué une mutation radicale dans l‘entreprise technologique en transformant la négociation avec nos limites en une exploration sans limites de possibles [...], bute sur une limite : l‘impossibilité de confiner, de contrôler. D‘où l‘ampleur des risques, d‘où les visions de cauchemar et les problèmes de gouvernances (Bensaude-Vincent, 2009, p. 146).

La technoscience a construit des dispositifs d‘évaluation de résultats, afin d‘apprécier leur conformité par rapport à ce qui était attendu en termes de performances, par exemple des investissements. Ces dispositifs d‘évaluation ont assez rapidement mis en évidence une perturbation des écosystèmes cultivés. Le premier constat de l‘inefficience, pour ne pas dire de l‘imprévoyance des effets non-désirés, qui est attachée à une agriculture en fonction d‘intrants chimiques de synthèse, est venue de l‘intérieur même de l‘acteur pluriel de la technoscience, issu de son foyer originaire, entendons des États-Unis. Publié en 1962, l‘ouvrage Printemps

silencieux de Rachel Carlson, biologiste de formation, a rendu patent que dans les écosystèmes

agricoles où se répandent des substances ou « association de substances » chimiques, il n‘est pas possible de « repousser, détruire ou combattre » seulement « les ravageurs et les espèces indésirables de plantes ou d‘animaux » sans repousser, détruire ou combattre d‘autres organismes ou espèces vitales pour l‘écosystème ; ni sans affecter profondément le produit « souhaité », ceux qui le consomment et tout le réseau des écosystèmes qui composent la région où se déroule cette pratique agricole, voire plus loin encore.

L‘un des principaux effets non désirés concerne les perturbations physiologiques et environnementales causées par l‘usage des pesticides. Depuis les années 1960 (Carson, 1962,

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