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Les tentatives savantes pour lutter contre les bioagresseurs

CHAPITRE I – L‘AVÈNEMENT HISTORIQUE DE LA PROTECTION DES CULTURES EN FONCTION

2. L‘agriculture issue de la première révolution industrielle : la mise à l‘épreuve par ses bioagresseurs

2.3. Les tentatives savantes pour lutter contre les bioagresseurs

Cependant, il convient de signaler qu‘une bonne partie des insecticides et fongicides développés de ce côté de l‘Atlantique sont associés au nom des hommes de science de ce temps, de telle sorte que leur développement prit la forme d‘une mise en application de l‘esprit scientifique pour protéger le complexe agricole. C‘est à ce moment qu‘émergent et se développent une pathologie et une thérapeutique des animaux, des végétaux et des sols (Dagognet, 1973, p. 45). À cet égard, on trouve notamment la naissance au début XIXe siècle de la phytopathologie et de l‘entomologie appliquées (Lhoste et Grison, 1989, p. 16). Les sciences ont progressivement remplacé les déductions empiriques du passé par les connaissances issues de la méthode scientifique. En 1832, elles ont permis la création de la Société d‘entomologie de France et, en 1837, son intérêt pour l‘agriculture s‘est traduit par la naissance de l‘entomologie agricole, notamment, avec les travaux de Victor Audouin sur la pyrale de la vigne, Sparganothis

pilleriana (Regnault, de Sartre, Regnault-Roger, 2012, p. 97). Plus tard, en 1885, Paul Noël

établit à Rouen un laboratoire privé d‘entomologie agricole (Lhoste et Grison, 1989, p. 86). Un des résultats de l‘investissement des savants dans la lutte chimique fut l‘invention de la

Première partie – L‘usage d‘agrochimiques de synthèse dans la caféiculture : une crise de valeurs

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Gayon. Cette préparation fongicide, à base de sulfate de cuivre et de chaux vive, fut mise au point au cours de deux années de travail en laboratoire. La bouillie bordelaise permit, en 1885, de traiter avec succès les vignes attaquées par le mildiou, parasite qui entraînait aussi des épidémies sur la pomme de terre. Un peu plus tard, en 1896, l‘usage du sulfate de cuivre fut étendu à la lutte contre les mauvaises herbes (Regnault, de Sartre, Regnault-Roger, 2012, p. 97- 98). Le succès de la formule persiste de nos jours : par exemple entre 1906 et 2004, une usine à Bordeaux-Bastide, La Cornubia, a fabriqué de la bouillie bordelaise (Monteil, 2012, 30 juillet).

Le recours aux pesticides conduisit à poser rapidement la question de l‘équipement nécessaire pour l‘appliquer. Les viticulteurs ne tardèrent pas à s‘apercevoir que, pour traiter des vignes atteintes par le phylloxera avec de la bouillie bordelaise, il était inefficace et coûteux de se contenter d‘un déversement superficiel, d‘aspersions ou de bassinages ou même d‘un badigeonnage au pinceau du tronc et des branches. La solution à cet obstacle fut apportée par Victor Vermorel, un inventeur de machines agricoles, qui construisit en 1880 la sulfateuse, autrement dit le premier appareil épandeur capable de pulvériser les produits phytosanitaires. L‘usage de cette invention se généralisa à tel point que dans le langage courant, elle fut appelée la Vermorel. Ce genre de pulvérisateur connut une longue fortune, puisqu‘il ne devint techniquement obsolète qu‘à partir de 1940 (Lhoste et Grison, 1989, pp. 78-79).

Industriels et hommes de science furent donc mis à contribution pour protéger des cultures, en se fondant sur l‘étude des relations entre les organismes au sein des écosystèmes et des agrosystèmes. C‘est ainsi qu‘en 1865 le gouvernement missionna ou plutôt mobilisa Louis Pasteur pour trouver un moyen afin de contrer la pébrine, une pathologie affectant le vers à soie dans le sud de la France, en particulier dans les Cévennes, qui s‘étaient spécialisés dans la culture du mûrier et dans la sériciculture. Les producteurs avaient essayé divers expédients chimiques pour blanchir les taches noires qui polluaient les corps de chenilles, de sorte que les vers furent arrosés au chlore, à l‘eau-de-vie, voire à l‘absinthe. En 1866, les recherches de Pasteur firent apparaître l‘origine microbiologique de cette pathologie et débouchèrent sur l‘établissement d‘une solution prophylactique qui entraîna l‘éradication de la maladie (Regnault- Roger, 2014, p.10).

Nous retiendrons trois enseignements des cas qui précèdent. Premièrement, que ce soit grâce à des tests empiriques ou à l‘application des méthodes expérimentales, on assiste au cours du XIXe

Chapitre I – L‘avènement historique de la protection des cultures en fonction d‘agrochimiques de synthèse

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bioagresseurs, qui cherchent à tirer les cultivateurs de leur situation d‘impuissance par rapport à l‘ampleur des ravages occasionnés par les fléaux. Deuxièmement, la protection des cultures assume de plus en plus une forme agonistique, celle d‘une lutte ou d‘une guerre sans merci contre des organismes nuisibles et envahisseurs qu‘il s‘agit d‘éradiquer. Sans exclure la possibilité de la prophylaxie, les solutions retenues consistent principalement à renforcer l‘armement chimique à disposition des agriculteurs : insecticides, fongicides et herbicides. Troisièmement, la spécialisation des régions agricoles n‘est à aucun moment remise en cause, alors que l‘essor des monocultures est contemporain de l‘impact grandissant acquis par leurs bioagresseurs. Le cas du doryphore est à cet égard exemplaire :

Depuis les premières récoltes du Néolithique, les insectes sont une plaie constante pour les fermiers. L‘agriculture intensive leur a seulement offert de nouvelles opportunités. Pendant des millénaires, le doryphore s‘était contenté des morelles éparpillées sur les collines du Mexique. En comparaison, une exploitation de pommes de terre de l‘Iowa – une monoculture étendue sur des centaines de rangées tirées au cordeau – promettait à l‘espèce un véritable festin. [...] Les immenses fermes américaines offraient des stocks de provisions formidables aux espèces capables de les exploiter (Mann, 2013, p. 270).

2.4. L‘avènement de l‘agronomie industrielle : la figure de Lavoisier et le sens de la

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