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Depuis plus de 20 ans l’équipe "chimie bioorganique et systèmes amphiphiles" (CBSA) de l’université d’Avignon développe des tensioactifs fluorés et hémifluorés, non déter- gents, capables de solubiliser les protéines membranaires dans leur état natif [115]. La structure de ces tensioactifs est similaire à celles des détergents classiques, hormis la présence d’atomes de fluor dans leur queue hydrophobe en quantité plus ou moins im- portante. Les chaînes hydrocarbonées et fluorocarbonées étant faiblement miscibles entre elles [116], l’incorporation d’un segment fluoré à la chaîne hydrophobe d’un tensioactif lui apporte un caractère également lipophobe. Ces composés sont donc incapables d’ex- traire efficacement les protéines membranaires d’une membrane cellulaire. En revanche les tensioactifs fluorés sont moins dénaturants que les détergents hydrocarbonés envers les protéines membranaires pour deux raisons essentielles :

1. Les lipides, les sous-unités protéiques et les cofacteurs indispensables à la conserva- tion de la structure native de la protéine ne sont pas ou peu séparés de celle-ci par les micelles de tensioactifs (hémi)fluorés.

2. Les chaînes fluorées étant plus volumineuses que leurs équivalentes hydrogénées, elles sont plus encombrantes et rigides, ce qui les rend moins intrusives vis à vis du domaine transmembranaire de la protéine membranaire, et limite la déstabilisa- tion des interactions permettant la conservation de la structure quaternaire de la protéine.

Les premières molécules mises au point au laboratoire ont été la série des

F-TAC, constitués d’une tête polaire oligomérique poly-alcoolique dérivée du Tris-

(hydroxyméthyl)aminométhane (THAM) et d’une chaîne hydrophobe perfluorée [117] à 6 ou 8 carbone fluorés, donnant respectivement le F6TAC et le F8TAC (figure 1.16). Ils

ont été initialement imaginés il y a 20 ans pour stabiliser les émulsions de bromure de perfluorooctane et de perfluorodecaline, composés possédant une très grande capacité de solubilisation de l’oxygène. L’objectif était alors d’obtenir des émulsions de perfluorocar- bures stables pour le transport de l’oxygène dans le sang in vivo (substitut sanguin). Les premières expériences ont montré que le FTAC n’étaient pas cytotoxiques, et c’est en cherchant pourquoi, qu’il a été démontré que les FTAC n’étaient pas des détergents : ils ne sont pas capables d’extraire les protéines des membranes et ne désorganisent pas les membranes cellulaires. Dès lors ces tensioactifs fluorés semblaient potentiellement moins dénaturants que les détergents hydrocarbonés et les auteurs ont voulu savoir s’ils permet- taient de résoudre les problèmes de dénaturation des protéines membranaires solubilisées en détergent. C’est ainsi qu’a débuté l’histoire des tensioactifs fluorés pour la manipu- lation des protéines membranaire avec les succès qu’on lui connait aujourd’hui [118]. Ils ont notamment été utilisés pour la purification de protéines [119] et comme molécules chaperonnes pour aider à la réinsertion de protéine dans les membranes de vésicules [120], ou à la production de protéine membranaire par un système d’expression in vitro [121].

Ces composés présentent toutefois le désavantage de ne pas pouvoir maintenir en solu- tion sur de longues périodes les protéines membranaires en solution. Celles-ci précipitent en raison du manque d’affinité de la chaîne fluorée lipophobe avec le domaine transmem- branaire de la protéine. Pour permettre une interaction plus favorables du tensioactif vis à vis de la protéine une famille de composés hémifluorés, les HFTAC, munis d’une extré- mité éthyl hydrocarbonée a été développée avec succès [122]. Le groupement éthyle placé au bout de la chaîne hydrophobe (figure1.16) permet alors d’accroître la stabilité du com- plexe HFTAC/protéine de manière significative pour arriver à des résultats comparables au DDM.

Figure 1.16 – Structure des FTAC et HFTAC

Cependant, la tête oligomérique des (H)F-TAC conduit inévitablement à une poly- dispersité structurale de ces tensioactifs. Si cela ne modifie pas leur CMC, les lots sont toutefois des mélanges d’oligomères et leur composition ainsi que leur masse peut varier d’une synthèse à l’autre. Pour pallier cet inconvénient, le laboratoire a remplacé cette tête polymérisée dérivée du THAM par des groupements polaires structurellement bien

définis tels que les oxydes d’amine [123], ou les groupements saccharidiques de type ga- lactose [118], d’acide lactobionique (HF-Lac et FLac) [124] ou maltose (HF-Malt) [125]. Les tensioactifs fluorés ioniques plus simples à synthétiser se sont révélés incapables de stabiliser les protéines, et ont été abandonnés au profit de têtes de type sucre. Mais ceux- ci doivent être greffés à la chaîne hydrophobe par leur carbone anomère, ce qui génère deux stéréoisomères α et β lors de la réaction. Il est ainsi difficile d’obtenir des composés glycosylés parfaitement purs. Le HF-Lac fait cependant figure d’exception puisque c’est un pseudo disaccharide constitué d’un résidu galactose terminal, dont la lactone a été additionnée par attaque nucléophile sur une amine hémifluorée pour obtenir une liaison amide.

Figure 1.17 – Structure des tensioactifs hémifluorés à tête polaire sucre

Toutefois l’étude de ces composés (H)F-Lac et HF-Malt sur le cytochrome B6f et la Bactériorhodopsine a montré qu’ils permettaient bien de maintenir en solution cette protéine sans la dénaturer, mais qu’ils formaient des larges agrégats mal définis, dont la taille évolue avec la concentration. Les complexes tensioactif/protéine obtenus sont alors polydisperses, ce qui est peu satisfaisant pour travailler avec les protéines membranaires, où il est préférable d’utiliser des tensioactifs formant de petites micelles de tailles bien définies. Comme la forme des agrégats formés dépend de la géométrie du monomère [99], une autre famille d’amphiphiles fluorés, à tête glycosylée, a été développée pour qu’il soit possible de moduler le paramètre d’empilement, en jouant sur l’aire de la partie polaire. Ainsi les les (H)F mono-, di- ou triGlu possèdent un motif polyfonctionnel polaire de type tris(hydroxyméthyl)aminométhane qui permet de fixer à volonté, un, deux ou trois résidus glucose, pour varier le volume et l’hydrophilie de la partie polaire (figure 1.18). La chaîne hydrophobe a quant à elle été calquée sur celle des (H)F6-TAC. Le composé mono-substitué donne, comme les (H)F-Lac et HF-malt, des micelles polydisperses, alors que les dérivés di- et tri-substitués forment de petites micelles de tailles bien définies. La taille de la tête polaire influe aussi sur la capacité du tensioactif à maintenir l’intégrité de la protéine, et pour laquelle le composé di-substitué a montré une bien meilleure aptitude que le composé à plus grosse tête polaire [126]. Toutefois à ce jour aucune étude de cristallisation de protéines membranaires avec ces tensioactifs n’a encore été effectuée.

Figure 1.18 – Structure des tensioactifs fluorés, modulables en terme d’hydrophobie, à tête polaire de type glucose : Ces composés peuvent présenter un, deux ou trois résidus glucose dans leur partie polaire (ici deux), et être perfluoré (F6-DiGlu), ou hémi-fluoré (H2F6-

DiGlu).

3 Synthèse des tensioactifs