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2.1 De la cellule au cristal : un chemin semé d’embûches

2.1.2 La solubilisation des PM

Pour pouvoir être étudiées, les protéines membranaires doivent être extraites de la membrane cellulaire par un détergent qui permet ensuite de les maintenir en solution hors de leur environnement lipidique natif. Ces détergents sont des tensioactifs, ou mo- lécules amphiphiles : leur structure est composée d’une partie hydrophile, aussi appelée tête polaire, et d’une partie hydrophobe, dite queue hydrophobe ou lipophile (figure 3). Cette particularité structurale fait des détergents des agents de surface qui se placent aux

interfaces, leurs têtes polaires s’orientant vers la phase aqueuse et leurs parties hydro- phobes vers l’autre milieu (huile, air, solvant organique ou composé hydrophobe). Leur comportement en solution est gouverné par l’effet hydrophobe.

Figure 3 – Représentation shématique d’un monomère de tensioactif

Seuls en solution, les tensioactifs sont capables de s’auto-associer à partir d’une concen- tration particulière, appelée concentration micellaire critique (CMC). En effet pour mi- nimiser les contacts chaines hydrophobes-eau, entropiquement défavorables par rapport aux contacts eau-eau, les tensioactifs, à faible concentration, se placent à l’interface air- eau (figure 4B et C). Leurs têtes polaires s’orientent alors dans la phase liquide et leurs chaînes hydrophobes du coté de l’air en formant une monocouche de tensioactifs adsorbée à l’interface eau-air [22] [23]. Lors de l’ajout de tensioactif dans de l’eau, la quantité de surfactants adsorbée à l’interface augmente jusqu’à atteindre une saturation de la surface. Au delà de cette concentration, l’addition de nouveaux tensioactifs entraîne la formation de micelles dans la solution [24], comme représenté sur la figure4D. Dans ces assemblages, les tensioactifs exposent leurs parties polaires à l’eau et regroupent leurs parties hydro- phobes au cœur de la micelle dans l’optique de minimiser les interactions eau-chaînes hydrophobes. La CMC est plus exactement une plage de concentration sur laquelle se forme les premières micelles. Elle dépend de la structure du tensioactif mais aussi des conditions physico-chimiques de la solution (température, pH, force ionique, etc.). Les formes de ces agrégats structurés sont très variées (micelle sphérique, ellipsoïdale, cylin- drique, phase lamellaire, phase hexagonale, vésicule). Pour donner un ordre de grandeur de leur taille, on peut dire que les micelles sphériques des détergents classiques ont des diamètres d’une dizaine de nanomètres. Mais il faut garder à l’esprit que ces systèmes sont très dynamiques, il y a un équilibre permanent du tensioactif entre sa forme monomérique et sa forme micellaire, avec un turn over de l’ordre de 104-105 s−1.

Au contact de la membrane, le détergent déstabilise les lipides et s’insère petit à petit dans la bicouche lipidique jusqu’à être majoritaire. Il y a alors solubilisation de la membrane avec formation de micelles mixtes détergent/lipide et de complexes pro- téine/détergent [25] (figure 5). Dans ce complexe le détergent mime la bicouche lipidique en recouvrant la surface hydrophobe de la protéine, ce qui permet de la maintenir en solution, d’où le terme de "bouée" pour désigner cette quantité de détergent associée à la protéine. Il faut noter que certains lipides natifs restent liés à la protéine après l’ex- traction, d’où l’utilisation de la dénomination complexe PDL pour désigner le complexe protéine/détergent/lipide.

Figure 4 – Schéma du comportement des tensioactifs en solution et CMC : Évolution de la concentration en monomères (noir) et micelles (gris) lors de l’ajout de tensioactif dans l’eau et représentation schématique de leur comportement en solution.

Figure 5 – Solubilisation des membranes par le détergent. A : La protéine membranaire est insérée dans la bicouche lipidique (gris clair) avec les molécule de détergent dans la solu- tion (gris foncé) B : Partition du détergent dans la membrane ; C : solubilisation totale de la membrane, formation de micelles, micelles mixtes et complexes protéiques.

La solubilisation est une étape cruciale pour l’obtention de protéines membranaires qui dépend grandement du choix du détergent. Celui-ci doit permettre un bon rendement d’extraction et conserver la stabilité structurale et fonctionnelle de la protéine. La plupart

des détergents utilisés en biochimie sont soit non-ioniques (têtes polaires de type sucre) soit zwitterioniques et possèdent des longueurs de chaînes généralement relativement courtes (maximum 12 carbones linéaires). Les détergents "historiques" de la cristallisation des protéines membranaires peuvent être classés en 5 familles (figure 6).

O H HO H HO H O OH H H OH O H H HO H H OH H O OH CnH2n+1 CH3 N H2n+1Cn CH3 O O H HO H HO H H OH H O OH CnH2n+1 O H HO H HO H H OH H S OH CnH2n+1 H2n+1Cn O H n 1 2 3 4 5

Figure 6 – Structures des détergents classiques

1. Les n-alkyl-β-glucosides (CnGlu)1: l’octylglucoside (OG), C8Glu, est certainement

le plus fréquemment utilisé de cette famille. C’est un détergent doux même s’il peut dénaturer certaines protéines. Sa CMC relativement haute (22.1 mM) et ses micelles plutôt petites font de lui un composé de choix en vue d’un échange du détergent par dialyse.

2. Les n-alkyl-β-thioglucosides(CnthioGlu) 2 : Ils présentent l’avantage d’être moins sensibles à l’hydrolyse que les CnGlu en raison de la plus haute stabilité de la fonction thioacétal. Ce sont donc des composés plus stables que leur équivalents oxygénés.

3. Les n-alkyl-maltosides (CnMalt) 3 : Le décylmaltoside et le dodécylmaltoside (DDM), respectivement C10Malt et C12Malt, dont les micelles sont un peu plus

grosses que celles des glucosides, ont permis la cristallisation de plusieurs protéines membranaires. Leurs CMC sont respectivement de 1,7 et 0,17 mM.

4. Les n-alkyl-diméthylaminoxides (Cn-DAO)4 : Ces détergents sont particulièrement stables. Le composé en C12 (LDAO) est sans doute le plus utilisé de cette famille. Cationique à des pH inférieurs à 3, il est zwitterionique au dessus de cette valeur. Ces micelles sont d’une taille comparable à celles de l’octyl-glucoside mais sa CMC est plus basse (1,4 mM).

5. Les n-alkyl-oligoethylene glycol-monoether (CnEm)5: ils sont souvent nommés CnEm où n correspond au nombre de carbone de la chaîne et m le nombre de groupement éthylenoxyde. Les plus classiques pour les applications en cristallographie sont les C8E4, C8E5 et C12E9 seuls, ou en mélange avec l’octyl-glucoside. Mais les solutions

aqueuses de ces composés ne sont pas stables et aboutissent à la formation de per- oxydes et aldéhydes lorsqu’ils sont stockés à l’air ambiant.