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Une tendance ancienne, liée à la place subordonnée du Premier ministre

Dans le document Le Secrétariat général du Gouvernement (Page 176-180)

administrative, synthèse des expériences et des réflexions menées pendant la Seconde Guerre

Section 2. Un mode de coordination questionné, dans les méthodes comme dans les acteurs

A. La tentation récurrente des services de la présidence de la République d’intervenir dans l’action

1. Une tendance ancienne, liée à la place subordonnée du Premier ministre

232. Le Président de la République ne s’est jamais désintéressé des questions de coordination du travail gouvernemental, parce que le Premier ministre est, à l’exception des périodes de cohabitation, considéré comme subordonné au Président de la République, dont il met en œuvre le programme. Pour Maurice Duverger, par exemple, « le Premier ministre n’est que le préparateur et l’exécuteur des décisions prises par l’Élysée »353.

Comme le rappelle Marie-Christine Kessler, le comportement du général de Gaulle vis-à-vis de ses Premiers ministres successifs, se structure en deux temps : jusqu’en 1962, il n’intervient pratiquement pas : il est plutôt très respectueux du périmètre d’action du Premier ministre. Dans son article précité, Marie-Christine Kessler affirme ainsi : « Parallèlement, le général de Gaulle était extrêmement respectueux des pouvoirs de son Premier ministre. Il entendait lui laisser gérer le « court terme », se réservant le « long terme ». « L’Élysée était très en retrait », « Le général respectait au maximum notre autonomie » (interview). « Si le général souhaitait faire parvenir des instructions aux ministres, il passait par l’intermédiaire de son Premier ministre. (…) La question algérienne a marqué une rupture et un tournant dans cet équilibre des débuts de la Cinquième République. Le général de

Gaulle s’en est occupé personnellement et a été amené à intervenir plus directement : “ Le général s’est occupé personnellement de certaines affaires du Premier ministre. Le Premier ministre en a été très frappé ” (interview). Pour l’Algérie, Joxe prenait ses instructions directement chez le Président de la République (…) Après cela, l’Élysée a accentué son emprise sur Matignon »354.

Cette phase intermédiaire est en effet attestée par Étienne Burin des Roziersqui souligne que Michel Debré avait les « coudées franches » et qu’il « se comportait, dans une large mesure en chef du gouvernement, présidant fréquemment à Matignon des conseils de cabinet »355.

Étienne Burin des Roziers souligne d’ailleurs que le travail de coordination se faisait à Matignon et que « c’est à Matignon que s’est élaborée la vaste œuvre législative et règlementaire des premiers temps de la Vème République »356. Il est vrai

que la plupart des textes pris sur le fondement de l’ancien article 92 de la Constitution ont été élaborés pendant les premiers mois de la Vème République, à une époque où le général de Gaulle exerçait encore les fonctions de chef du Gouvernement, avant d’accéder à la fonction présidentielle aux premiers jours de l’année 1959.

233. Dans la continuité de son prédécesseur, Michel Debré, devenu Premier ministre, a exercé effectivement ses fonctions. Mais, après son départ, la présidence de la République a accentué son implication dans le fonctionnement du Gouvernement.

Cet interventionnisme accru s’accompagna de conseils interministériels, présidés par le général de Gaulle, alors que cette pratique était restée limitée à l’époque où Michel Debré était Premier ministre.

Symétriquement, les conseils de cabinet, qui rassemblaient les ministres et le Premier ministre en dehors du Président de la République cessent définitivement à partir de cette date. L’interventionnisme accru de la présidence de la République

353 DUVERGER (M.), Échec au Roi, Albin Michel, 1978, p. 141.

354 KESSLER (M.-C.), op. cit., p. 94. 355 Op. cit., p. 39.

passe donc par une présence accrue dans les questions de coordination du travail gouvernemental. Le secrétaire général du Gouvernement, dont le rôle naturel est de préparer la coordination du travail gouvernemental voit alors son rôle diminué ; plus exactement, il doit compter avec les décisions du Président de la République.

234. L’année 1962 coïncide en effet aussi avec l’adoption par voie référendaire du principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Ce rééquilibrage, cette légitimité accrue du Président de la République, son élection sur un programme qui se précisera au fur et à mesure des élections, rendent de plus en plus inévitable après l’élection une intervention du chef de l’État dans le travail du Gouvernement ; d’autant que le Président de la République dispose de pouvoirs non négligeables, propres ou contresignés.

Rapidement, le Premier ministre, « commis »357 du Président de la République, met en œuvre le programme présidentiel. Les interventions directes sur le travail gouvernemental sont donc assez régulières ; mais comme le suggère Jean Massot358, c’est aussi une question de tempérament, une certaine conception de leurs fonctions respectives qui font que les Présidents de la République interviennent plus ou moins dans la sphère d’influence de « leur » Premier ministre.

Comme le soulignent Maurice Duverger et Stéphane Rials, cette prépondérance du Président de la République ne s’explique toutefois que partiellement par le mode d’élection ; ailleurs qu’en France, d’autres Présidents de la République, élus au suffrage universel et disposant parfois des mêmes prérogatives constitutionnelles que le Président français n’ont pas la même stature. Pour Stéphane Rials, le phénomène du fait majoritaire est le facteur qui explique cette prépondérance du Président de la République : « L’exercice de la suprématie présidentielle, (…) résulte ainsi moins des pouvoirs de droit du chef de l’État que de son mode d’élection et moins de ce dernier seul que de sa combinaison avec la configuration particulière du fait majoritaire en France. C’est dire que cette suprématie, fortement enracinée, n’est pas intrinsèquement définitive »359.

357 RIALS (S.), Le Premier ministre, Paris : Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 1981, p. 90. 358 MASSOT, (J.), op. cit. pp. 14 et suiv.

235. La présidence de Valéry Giscard d’Estaing est assez différente en ce que les interventions de la présidence de la République sont plus systématiques, et surtout parce que le Président de la République introduit lui-même une dynamique de rationalisation, avec la création des programmes du travail gouvernemental sur les six mois à venir, les lettres au Premier ministre rendues publiques, dans lesquelles il développe assez précisément les tâches du Gouvernement. Comme le souligne Marceau Long, « tout cela s’harmonisait avec la création du programme du travail gouvernemental qui était une initiative de Valéry Giscard d’Estaing. Mettant de l’ordre et ayant décidé qu’il y aurait chaque semestre, dès 1975, un programme du travail gouvernemental, arrêté par le Président de la République avec le Premier ministre en fin de compte et avec le concours du secrétaire général du Gouvernement et du secrétaire général de la Présidence de la République qui définissait les choses à faire dans les six mois à venir. Textes à prendre, décrets à soumettre au Conseil d’État ou au Conseil des ministres, communications que chaque ministre aurait à faire sur telle ou telle question. Application en a été faite avec une certaine souplesse, pour ordonner et coordonner les travaux du gouvernement et permettre au Président de la République de voir si le gouvernement exécutait bien le programme »360.

Dès cette époque, certaines réunions se tenaient en dehors de la présence du secrétaire général du Gouvernement ou d’un de ses représentants : « Initiative de Valéry Giscard d’Estaing ; pour les conseils qui se tiennent à l’Élysée, il n’appelait pas le secrétaire général du Gouvernement, c’était le secrétaire général de la Présidence de la République qui assistait seul »361. Ainsi que le fait remarquer Marie-

Christine Kessler, les services du Premier ministre regrettent cette inflexion, qui aboutit à une moins bonne coordination du travail gouvernemental : « Le poids de l’Élysée est devenu très sensible. La présidentialisation est sensible au niveau des deux cabinets. Il fallait sans cesse aller en rapport au cabinet du Président de la République. (…) C’est un grand changement par rapport à la présidence du général de Gaulle »362.

360 Entretien du 24 avril 2010.

361 Entretien du 24 avril 2010.

C’est bien pour cette raison que Jacques Chirac démissionne en 1976 ; il explique en effet ne plus pouvoir gouverner dans le cadre qui l’enserre.

De même, en 1981, François Mitterrand fait mettre en œuvre par Pierre Mauroy, son Premier ministre, le programme de la campagne présidentielle présenté d’ailleurs de manière suffisamment précise, sous la forme de 110 propositions, pour que le Gouvernement puisse le traduire rapidement en réalisations363.

L’intrusion du Président de la République ou de ses services est ponctuellement inévitable, mais cette intervention est porteuse de difficultés si elle remet en cause les modes de fonctionnement de la coordination du travail gouvernemental. Autrement dit, lorsque le secrétaire général du Gouvernement n’est pas prévenu, ou n’est pas associé à la prise de décisions, des dysfonctionnements surviennent immanquablement.

2. L’utilisation des ministres par le Président de la

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