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Les multiples inconvénients d’une place trop grande accordée aux cabinets ministériels sur la coordination de

Dans le document Le Secrétariat général du Gouvernement (Page 165-170)

administrative, synthèse des expériences et des réflexions menées pendant la Seconde Guerre

Section 2. Un mode de coordination questionné, dans les méthodes comme dans les acteurs

C. Les multiples inconvénients d’une place trop grande accordée aux cabinets ministériels sur la coordination de

l’action gouvernementale

216. La trop grande place accordée aux cabinets ministériels entraîne deux séries d’inconvénients majeurs : la remontée d’un nombre excessif de sujets à arbitrer vers le Premier ministre (1) et la déresponsabilisation des directeurs d’administration centrale (2).

1. La remontée d’un nombre excessif de sujets à trancher vers le Premier ministre

217. La critique principale du rapport Duport-Durieux porte moins sur des questions d’organisation administrative du travail gouvernemental que sur la structure du pouvoir lui-même, caractérisée par une tendance à la multiplication des postes ministériels et à une extension du rôle des cabinets ministériels. Le rapport identifie cette tendance comme une originalité spécifique à la France.

En effet, dans de telles circonstances, la coordination est évidemment absente, ou compliquée ; coordonner implique la confrontation de différentes options, la mise en cohérence de différents points de vue, ce qui suppose une certaine discussion, ou une négociation, avant un arbitrage. Sans surprise, le rapport Duport-Durieux critique

329 DUPORT-DURIEUX, Rapport sur la coordination du travail interministériel, rapport conjoint Conseil d’État - Inspection

la place excessive des cabinets et leur propension à ne pas filtrer les demandes : trop de sujets secondaires remontent vers le ministre, voire vers le Premier ministre.

Le rapport constate d’ailleurs que si les décisions et les réunions interministérielles ont augmenté, les effectifs du Secrétariat général du Gouvernement sont restés globalement stables ; ce sont les effectifs du cabinet du Premier ministre qui ont augmenté de 50 %.

Les services du Premier ministre ont conscience des inconvénients d’une absence de filtrage des décisions : ainsi la circulaire précitée du 6 juin 1997 précise à l’article 2 que le Premier ministre « ne souhaite pas trancher des divergences portant sur des aspects secondaires de l’activité gouvernementale et invite [les ministres] à les régler entre [eux]. [Il] n’en [devra] pas moins être saisi de tout projet de décision importante, ainsi que de tout projet suscitant des différends interministériels persistants. »

Mais la place disproportionnée des cabinets politiques a pour effet d’aggraver paradoxalement cette situation. On aurait pu croire que des effectifs nombreux permettent d’instruire les dossiers et d’arrêter des décisions alors que c’est le contraire qui se produit, et qui conduit à un risque politique pour les responsables, certaines décisions importantes étant prises à l’inverse par un représentant du cabinet, pas toujours habilité à le faire.

218. Pour les auteurs du rapport, le Secrétariat général du Gouvernement français n’assure pas aujourd’hui véritablement la coordination du travail gouvernemental. Il suggère donc de renouveler au Secrétariat général du Gouvernement sa fonction de coordination du travail gouvernemental : « Il est en effet indispensable que le cabinet du Premier ministre soit en mesure de se consacrer davantage aux sujets qui sont véritablement importants pour le Gouvernement. Cela suppose de confier au Secrétariat général du Gouvernement un rôle de coordination et de garant de la

qualité du processus de décision alors qu’il se borne aujourd’hui à organiser les réunions interministérielles »330.

Le diagnostic sévère porté par les auteurs du rapport souligne les risques d’un gouvernement aux ministres trop nombreux, qui entraîne fatalement des cabinets politiques proportionnels et des difficultés accrues de coordination. En effet, les services, qui pourraient justement effectuer ce travail préalable de réflexion ne le font pas, étant trop éloignés des cabinets ; ces derniers assument seuls la réflexion sur le problème soulevé alors qu’ils n’ont pas la compétence technique des fonctionnaires des services.

Cette analyse rejoint celle du contrôleur général des Armées André Ferragne, en poste au Secrétariat général du Gouvernement de 1998 à 2002 comme chef de la mission d’organisation des services du Premier ministre. Il porte également un regard critique sur le mode de fonctionnement actuel de la coordination du travail gouvernemental.

Pour lui, la faiblesse du Secrétariat général du Gouvernement dans l’organisation du travail gouvernemental est due à une trop grande importance accordée aux cabinets ministériels. L’ensemble dégage une impression d’inefficacité, parce que l’échelon politique investit des domaines techniques, en refaisant le travail effectué par les services sans apporter une réelle plus-value, sans pouvoir s’impliquer dans des choix qui eux sont de nature politique.

C’est ce qu’André Ferragne résume en soulignant qu’au lieu d’instruire et de décider à moitié, le politique devrait simplement décider, sans instruire. Il voit une solution dans le réinvestissement d’un rôle de coordination au bénéfice des secrétaires généraux des ministères, en lien avec le Secrétariat général du Gouvernement331.

Une autre conséquence de la place accordée aux cabinets est de déresponsabiliser les administrations.

330 BEN-GERA (M.), Coordination des centres du gouvernement: Fonctions et organisation du bureau du gouvernement -

Analyse comparative des pays membres de l’OCDE, des PECO et des pays des Balkans occidentaux, Documents SIGMA,

2004, n° 35, OECD Publishing. doi: 10.1787/5k40hts44936-fr.

2 La déresponsabilisation des administrations

219. La place croissante prise par les cabinets du Premier ministre et des ministres a progressivement remis en cause le rôle essentiel des directeurs d’administration centrale. En réalité, le cabinet politique instruit les dossiers parallèlement à l’administration.

Jacques Chevallier souligne lui aussi que la multiplication des structures de coordination, autant les conseils, comités ou réunions, que les cabinets politiques, sont un frein à la coordination elle-même : « La prolifération de ces structures de coordination aboutit cependant au résultat contraire à celui recherché en créant (…) de nouveaux problèmes de coordination »332. Ce manque d’efficacité dû à une

emprise excessive des cabinets est régulièrement dénoncée ; le rapport Picq333, mais

aussi le rapport Duport-Durieux334 ainsi qu’une doctrine très abondante et variée

pointent les inconvénients de cette place excessive ; démotivation, contournement des structures, moindre efficacité de la coordination.

220. Cette tendance est ancienne cependant ; elle existait déjà sous la IIIème République mais dans de moindres proportions, Poincaré ayant imposé par un décret du 13 février 1912 une limitation du nombre de conseillers335. En tout état de cause, le rôle des cabinets ministériels était alors très différent du rôle joué sous la IVème République, puis sous la Vème République.

Comme le rappelle René Massigli336, sous la IIIème République, les cabinets ministériels ont un rôle essentiel, sinon unique, d’intermédiaire : entre le ministre et le Parlement en premier lieu, - c’est même le seul lien existant entre le Gouvernement et les assemblées337 -, et entre le ministre et son administration : « entre le ministre,

ses services et le Parlement, le cabinet était intermédiaire. »338 Les cabinets ne se

substituaient pas aux services, notamment aux directeurs.

332 CHEVALLIER (J.), op. cit., p. 331.

333 Rapport Picq, L’État en France, servir une nation ouverte sur le monde, Paris, la Documentation française 1995.

334 Op. cit., DUPORT-DURIEUX, Rapport sur la coordination du travail interministériel, rapport conjoint Conseil d’État -

Inspection générale des finances, juillet 2007.

335 Rappelons toutefois que la pratique des « conseillers officieux » permet de contourner les règles imposées. 336 MASSIGLI (R.), op. cit., p. 51.

337 Cf. infra., n ° 240 et suiv. 338 MASSIGLI (R.), op. cit., p. 42.

221. C’est au cours de la IVème République, semble-t-il, que le rôle des cabinets a évolué vers un rôle d’instruction parallèle des dossiers. René Massigli critique le « court-circuitage » des directeurs d’administrations centrales, entraînant alors un désinvestissement des services et une inefficacité globale de l’administration.

222. Cette tendance s’est accentuée sous la Vème République. Au début de la Vème République, Étienne Burin des Roziers rappelle pourtant que le général de Gaulle recommandait à ses ministres de « limiter le nombre de leurs collaborateurs personnels et de traiter les affaires de leur département avec les directeurs de leurs administrations »339. Dans son intervention lors du colloque de l’IFSA, Jean

Donnedieu de Vabres, secrétaire général du Gouvernement du 14 mars 1964 au 9 août 1974, se demandait si le secrétaire général du Gouvernement pouvait jouer un rôle pour « canaliser la constitution des cabinets ministériels »340.

Jacques Fournier lui répondit que si le nombre maximum de collaborateurs au sein des cabinets a été scrupuleusement respecté, la question des collaborateurs « officieux » reste entière. Il estime en effet que la place des cabinets ministériels est « excessive » et qu’il faut éviter que le cabinet « ne fasse écran entre le ministre et ses services »341.

C’est que pour diverses raisons, les directeurs d’administration centrale voient leur rôle remis en cause. Marie-Christine Kessler suggère que ce court-circuitage s’explique par la crainte du ministre de voir les directeurs trop influencés par le cabinet du Premier ministre : « Cette collaboration avec les services administratifs s’effectuerait toujours, si l’on en croit les personnalités interviewées au cabinet du Premier ministre, avec l’accord des cabinets des ministères intéressés… En fait, les cabinets, s’ils connaissent les incursions de Matignon dans leurs administrations ne les craignent pas moins pour autant : “On peut toujours craindre, dans un cabinet de ministre, que des liens trop étroits se nouent entre un conseiller de Matignon et un directeur plus ou moins mécontent ou indocile qui court-circuite son ministre, et se

339 BURIN DES ROZIERS (E.), Retour aux sources 1962, l’année décisive, Plon, coll. Espoir, 1989, p. 8. 340 Colloque organisé par l’IFSA en 1986, Le Secrétariat général du Gouvernement, op. cit., p. 57. 341 Eod. loc.

trouver devant une coalition imprévue et souvent adroitement dissimulée : un ministre, on le sait, n’est jamais très sûr de ses directeurs” »342.

Autrement dit, la coordination ne pouvant être assurée au niveau des administrations de manière effective, l’ensemble des problèmes remonte sans discrimination vers le cabinet, pour arbitrage. Pierre Grémion souligne qu’en réalité, au lieu de se coordonner dans un but commun donné, les administrations poursuivent des objectifs spécifiques de défense d’intérêts de groupes sociaux et rendent l’arbitrage indispensable, à l’exception du ministère des finances, qui a tendance à trouver des solutions sans faire remonter les dossiers pour arbitrage. Jean-Luc Bodiguel remarque ainsi que « Là où un directeur pouvait trancher, il faut maintenant une réunion, quand ce n’est pas un comité restreint »343.

Conséquence de cette déresponsabilisation de l’administration, les secrétaires généraux d’administration centrale sont peu impliqués dans la coordination du travail gouvernemental.

D. La sous-utilisation préjudiciable des secrétaires

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