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Rappel historique des fondements et de l’évolution de la chasse sportive en Afrique Centrale

Section 2.3. L'âge d'or des safaris en Afrique Centrale

2.3.2. Tchad : la perle cynégétique

La réputation du Tchad, « la perle cynégétique » de l’AEF, n’a pas eu la longévité de celle de la RCA ; en revanche, elle fut plus précoce et plus intense.

Dès les années 1920, des chasseurs professionnels vont être à l’origine de cette renommée, notamment l’un des plus célèbres d’entre eux, Etienne Canonne. Il débute en 1920 et son prestige s’établit rapidement : c’est un « coup de fusil » d’abord, un « homme de la brousse » ensuite. Pas moins de 1000 éléphants lui sont attribués sur toute sa carrière, et il aurait tiré quelques 350 rhinocéros en l’espace de 4 à 5 ans pour répondre à une forte demande occidentale. A partir de 1950 et jusqu’en 1976, une seconde carrière le mène à guider des clients chasseurs ; en 1974, il devient représentant des Guides de chasse à Fort-Archambault (aujourd’hui renommée Sarh). Le chasseur professionnel Théodore Lefèvre - dont nous avons vu précédemment quelques illustrations -, chasse de 1910 jusque dans les années

1930 principalement sur les bords de l’Aouk au sud du Tchad. La légende veut qu’il ait tiré durant sa carrière plus de 1500 rhinocéros et éléphants réunis. Enfin, des guides de chasse comme Edouard Tiran ou Marcel Vincent, tous deux disparus dans le cadre de leur activité, participeront également à la réputation du Tchad comme destination cynégétique phare du milieu du XXe siècle. Edouard Tiran sera tué par un éléphant en 1974. La mort de Marcel Vincent, tué par un Lion en 1951 lors d’une chasse avec le « journaliste globe-trotter » Albert Mahuzier, soulèvera une polémique ; le journaliste souhaitait réaliser un film à sensation et aurait demandé à Vincent de provoquer volontairement une charge de Lion ; mais l’affaire tourna mal et Mahuzier, pour avoir continué à filmer la mort de Vincent se faisant déchiqueter par le fauve avant de se décider à le tuer, sera accusé de n’avoir pas (ou pas su) porter secours à son compagnon.

C’est ainsi que Fort-Archambault devient, dès la fin de la Première Guerre Mondiale, le point de passage obligé de tout chasseur montant une expédition en Afrique Centrale. On y trouve des guides expérimentés et réputés mais aussi, si l’on souhaite chasser seul, une logistique appropriée et de nombreux renseignements ; c’est ce que feront longtemps des personnalités du milieu cynégétique français comme François Sommer ou François Edmond-Blanc1. L’histoire cynégétique du Tchad s’écrit et se raconte au comptoir et aux tables du fameux « Hôtel des Chasses », le plus haut lieu de l’histoire cynégétique coloniale française.

« On est tenté de dire ici quelques mots de la faune sauvage qui constitue une autre richesse, si appréciable pour le Tchad qu’elle pourrait prendre la troisième place dans l’échelle économique.(…) C’est peut-être entre Fort-Archambault et Fort-Lamy que la densité de la faune est la plus forte. La première de ces villes est le point de ralliement des meilleurs chasseurs et guides locaux qui savent découvrir le gibier de choix2. »

Le Tchad a la particularité de posséder une diversité de milieux offrant des chasses et des gibiers variés.Les territoires du sud du pays, principalement les préfectures du Moyen-Chari et du Salamat (le long du Chari et de l’Aouk), sont aussi giboyeux à l’époque que ceux de RCA ; ils sont aussi moins éloignés de la métropole Fort-Lamy (aujourd’hui renommée Ndjamenah) que les zones de chasse du Nord, facteur qui avait son importance avant le développement des moyens de transport motorisés. Dans le nord du Tchad, les zones semi-désertiques et semi-désertiques du Borkou, du Tibesti et de l’Ennedi permettent de chasser des

1

SOMMER F., 1951. Pourquoi ces bêtes sont-elles sauvages ?, La Toison d’or, Paris, 228 p. SOMMER F., et J., 1956. Le safari « la gâchette », Laffont, Paris, 242 p.

EDMOND-BLANC F., BURNAND T., 1967. Au péril des grands fauves, Le Bélier Prisma, Paris, 374 p.

2

espèces que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Afrique Centrale comme les oryx, addax, mouflons à manchettes ou gazelles Dama.

Ainsi que nous l’avons vu et comme dans les autres colonies, les milieux cynégétiques tchadiens sont très liés à l’administration gérant la faune sauvage et les mesures prises vont en faveur d’un développement du tourisme cynégétique. Pour exemple, en 1927, alors que le Tchad exporte annuellement de la seule ville de Fort-Archambault pas moins de 800 cornes de rhinocéros vers l’Europe, il est décidé de nommer des inspecteurs des Chasses qui puissent réfléchir à de nouvelles réglementations de la chasse commerciale et veiller à leur application. Le premier d’entre eux sera Emile Bruneau de Laborie1, connu pour sa passion de la faune sauvage et ses actions en faveur de sa protection, mais également et surtout concessionnaire de zones de chasse et grand chasseur devant l’Eternel (sa réputation sera fortement controversée après sa mort).

Les années 1950-1960 sont des décennies où le Tchad, en dépit d’une diminution régulière de la faune sauvage et ce malgré la rigueur accentuée de la législation, connaît ses plus belles heures de gloire cynégétique. La désormais célèbre Compagnie des guides de

Fort-Archambault est créée par le Colonel Anna. De nombreux guides de chasse viennent s’y

former comme Robert Montvoisin, Joël de Lambalerie, Jacques Valette-Vialard ou encore Claude Vasselet ; on retrouvera certains d’entre eux en RCA et au Cameroun2.

En 1966, les prémices de la guerre civile donnent le signal d’arrêt à cette dynamique. Six années après l’accession à l’Indépendance, des mouvements rebelles se forment, comme le Front de Libération Nationale né sous l’impulsion d’Ibrahima Abatcha, générant une insécurité qui va s’étendre à tout le pays. Des prises d’otages ont lieu, comme celle de Françoise Claustre (ethnologue prise en otage de 1974 à 1977 par les rebelles Toubous dirigés par Hissen Habré). Des campements de guides de chasse sont attaqués et brûlés, comme celui de Jacques Valette-Vialard en 1968, puis celui de Claude Vasselet qui se termine tragiquement par la mort de la femme du mécanicien Guy Croc. Ces événements contribuent à donner rapidement au Tchad une réputation de pays peu fréquentable. La mort du Président François Tombalbaye en 1975 lors d’un coup d’Etat militaire signera l’avènement d’une guerre civile meurtrière de 15 années qui ne prendra fin - et de manière relative - qu’en 1990 par la prise du pouvoir par Idriss Déby.

1

BRUNEAU DE LABORIE E., 1931. Guide de la chasse et du tourisme en Afrique Centrale et spécialement au

Cameroun, SEGMC, Paris, 180 p.

2

La faune sauvage paye alors, elle aussi, un très lourd tribut à la guerre civile. La faune du parc de Manda, dans le sud du pays, est quasiment exterminée au cours de la seule année 1979. Durant des années, les armes de guerre automatiques vont circuler dans tous le pays, les combattants de l’armée régulière et des différentes factions vont se ravitailler en viande sur le bétail mais aussi sur la faune sauvage, et le trafic d’ivoire va participer à financer « l’effort de guerre ». Si quelques guides de chasse acceptent de travailler dans ces conditions difficiles, d’autres se sont depuis longtemps repliés vers les territoires du Cameroun et de RCA. Pourtant, comme nous le verrons, la chasse sportive n’a pas totalement disparu du Tchad malgré la grande instabilité politique et l’on note une reprise timide de l’activité ces dernières années. Pour autant, le Tchad ne retrouvera jamais son aura de grand pays de chasse sportive.