• Aucun résultat trouvé

Rappel historique des fondements et de l’évolution de la chasse sportive en Afrique Centrale

Section 2.1. Du commerce au loisir

2.1.2. Les premières organisations de safari

Avant l’apparition de la profession de guide de chasse professionnel, les premiers chasseurs occidentaux, - surtout des Français - cherchant à se rendre en Afrique Centrale, doivent bien souvent organiser leurs voyages cynégétiques seuls ou avec l’aide de Sociétés géographiques. Luxe et aventure se mêlent lors de ces expéditions de plusieurs mois nécessitant une solide organisation mais comportant tout de même une forte part de hasard et donc de risques. Renaud précise, en parlant de ces chasseurs : « Ils doivent disposer de beaucoup de temps, de

1

Rapport général Lobaye-CFCO,1920, cité par GUILLAUME H., 2002. op. cit., p. 534.

2

moyens importants et d’une santé de fer. Les décès survenant lors de safaris sont davantage liés aux maladies et aux infections de plaies qu’à la chasse1. »

Un grand safari implique notamment une logistique conséquente embarquée sur des transatlantiques partant pour la plupart de Bordeaux via trois compagnies maritimes qui assurent des traversées régulières vers l’Afrique (les Messageries Maritimes, la Compagnie Paquet, la Compagnie Générale Transatlantique). Dans les années 1920-1930, il faut une dizaine de jours pour rejoindre la Guinée, 17 jours pour le Gabon.

« Les traversées sont assez rapides et confortables. Les complications commencent au débarquement sur la Côte Africaine où les chantiers de chemins de fer et de routes d’exploitation sont à peine amorcées. L’idéal, en Afrique Equatoriale, est de pouvoir profiter des hautes eaux de Juillet à Décembre, qui permettent de remonter les cours d’eau avec un bateau à vapeur ou une baleinière d’acier. Mais souvent, il faut se contenter d’une embarcation à l’équilibre instable, ou se déplacer à cheval ou en chariot à bœufs. Les relais doivent donc être soigneusement organisés. Malgré les préparations, les expéditions vers les colonies se transforment quelquefois en voyages interminables. Ainsi, parti le 27 Juin 1916 de Bordeaux, Louis Georges n’atteindra Fort-Lamy, au Tchad, que trois mois plus tard. Il débarque le 13 Juillet à Cotonou au Dahomey (actuel Bénin) après de nombreuses escales. Là, il prend une grande barque à voile, pour remonter la lagune jusqu’à Porto-Novo. Il rejoint ensuite avec un vapeur Lagos, au Nigeria, où il attend quelques jours le train pour Kano. 1200 kilomètres le séparent encore de Fort-Lamy, où il finira par arriver à cheval le 27 Septembre2. »

Un safari requiert également des hommes, et peut compter jusqu’à 150 porteurs, dont ceux affectés à la fameuse chaise « Tipoye »3 qui restera en vigueur tardivement et, paradoxalement, chez ceux que l’on nomme « les coureurs de brousse ». Durant plusieurs mois, ces expéditions de chasse doivent assurer leur autonomie dans une Afrique Centrale encore mal connue et très mal desservie.

De nombreux produits occidentaux (étoffes, verroteries, etc.) destinés à être troqués avec les chefs de villages contre des produits frais (œufs, fruits, etc.) et/ou la mise à disposition de

1

RENAUD J.J., 1993. op. cit., p. 31.

2

RENAUD J.J., 1993. op. cit., p. 34.

3

Le Tipoye est une chaise portée par 4 hommes qui était utilisée traditionnellement dans de nombreux pays d’Afrique Centrale et Occidentale pour déplacer les chefs coutumiers et les hautes personnalités. Ce moyen de transport a été très utilisé par les explorateurs et ensuite les administrateurs coloniaux pour faire leurs tournées en brousse, avant le développement des premiers véhicules motorisés qui ont mis fin à son utilisation par les Occidentaux.

porteurs, sont convoyés, ainsi que des tonnes de sel dont une partie seulement est échangée, le reste servant à la conservation des peaux et des trophées qui seront rapportés en Europe. Les tonnes de viande issues de la chasse ont des destinations variées : partagées entre les équipes de porteurs et pisteurs qui les boucanent, parfois offertes ou échangées dans les villages riverains, elles peuvent également servir à payer les courriers indigènes et le transport des trophées. Les chasseurs rapportent la plupart de ces derniers en métropole pour leur agrément mais il existe également une forte demande des Muséums d’Histoire Naturelle occidentaux, surtout lorsque les trophées sont rares ou appartiennent à une espèce encore mal connue. Les « massacres », c’est-à-dire les cornes ornant le crâne nettoyé des animaux abattus (Buffle, antilope, etc.) sont la forme de trophée privilégiée. Les peaux complètes sont également souvent conservées, notamment celles des fauves (lion, léopard) ainsi que, bien sûr, les défenses d’éléphant et certains crânes (singes, fauves, hippopotame). Les pratiques taxidermiques ne sont pas aussi développées et précises que de nos jours et certaines techniques coûtent très cher mais quelques animaux, sitôt rapportés en Europe, sont montés « en cape », c’est-à-dire reconstitués en entier, et exposés dans les salles des Muséums.

La chasse s’effectue selon des techniques qui, comme nous le verrons ultérieurement, ont peu évolué au cours du siècle. La plupart des animaux sont chassés à la rencontre ou au pistage, avec l’aide de pisteurs, impliquant de longues heures de marche…ou de tipoye pour les premières expéditions. Certains fauves comme le Lion ou le Léopard peuvent également être chassés à l’affût (une antilope ou autre gibier de taille moyenne servant d’appât) et des techniques d’appel du gibier, directement empruntées aux techniques de chasse locales, sont employées pour attirer le gibier. Les premières expéditions de safari réellement organisées n’apparaissent qu’à la fin de la première guerre mondiale, l’initiative en revenant au « Saint Hubert Club de France ». Elles sont en général moins luxueuses que les expéditions anglo-saxonnes1 mais des tonnes de bagages sont toutefois nécessaires pour l’agrément et le confort des participants blancs.

Pendant quelques décennies, de nombreux chasseurs vont ainsi se succéder pour participer à des safaris où les ingrédients de la réussite consistent en un savant dosage d’aventure mêlée de danger, de confort et de luxe.

1

Lors d’une chasse qui se déroulait en 1891 dans l’actuel Zimbabwe, Lord Randolph Churchill (père de Sir Winston) fit transporter avec lui un piano ainsi qu’un fauteuil roulant rouge et or qu’il voulait offrir à Lobengula, roi du Mashonaland.

Illustration 4 : Retour d’une chasse au lion durant la 2ème expédition Citroën Centre-Afrique, AEF

Source : RENAUD J.J., 1993. Les chasses coloniales par les cartes postales, Le Faubourg, Paris, p. 49.

Un cinéaste ayant accompagné des chasseurs blancs dans un safari en Oubangui-Chari raconte : « Certaines chasses étaient particulièrement dangereuses, la moindre faute, une

maladresse même légère, pouvaient avoir des conséquences graves. A vrai dire, les risques que court le chasseur compensent les souffrances imposées aux bêtes traquées. (…) Les riches amateurs de ces chasses ne se privent de rien, et suivant leurs moyens, emportent avec eux d’importantes provisions, du vin, de l’alcool, un frigidaire au pétrole, etc. Un repas de chasse se composait même d’alouettes, de caviar…sans oublier le champagne bien frappé. Le gibier évidemment ne faisait pas défaut. Certains blancs se faisaient accompagner par de très belles filles noires pour égayer leur solitude nocturne. Les nègres et les porteurs dormaient enroulés dans des couvertures autour des feux qui brûlaient toute la nuit.1. »

Hormis lorsque les Muséums ou les Sociétés de géographie participent aux frais, les coûts impliqués par ces voyages durant de longs mois rendent les safaris accessibles aux seules élites financières européennes. Beaucoup de ces premiers « chasseurs globe-trotters » font partie de l’aristocratie française rentière, comme G. de Teramond, le Marquis de Wavrin, G. Horngacher de Chateauvieux, E. de Poncins, J. d’Esme, J.P. de Trevières ou encore E.

1

Bruneau de Laborie. Mais des chefs d’entreprise, capitaines d’industrie et fils de familles bourgeoises, passionnés de chasse et en mal d’aventure, se lancent également dans ces longs voyages. Il s’adjoignent souvent des accompagnateurs moins fortunés, par exemple des journalistes mandatés par leurs journaux en quête de papiers à sensation originaux.