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Rappel historique des fondements et de l’évolution de la chasse sportive en Afrique Centrale

Carte 7 Les Aires protégées d’Afrique Occidentale Française en 1954

Sour ce : VILLENAVE G.M. (dir.), 1954. La chasse, Larousse, Paris, p. 327.

2.2.3. Evolution de la législation, des mentalités et des pratiques cynégétiques

Les législations ayant trait à la chasse et à la gestion de la nature dans les colonies françaises vont être directement héritées de la métropole : « Sans grand effort d’innovation et

d’adaptation, il faut bien le dire, ces législations transposèrent le modèle métropolitain avec les principes du gibier res nullius, de l’indépendance des droits de chasse et de propriété, du permis de chasse individuel, des réserves de chasse et des réserves intégralement protégées, etc. Un peu différents pour l’AOF et l’AEF, les codes forestiers et codes de la chasse tenaient compte de la Convention de Londres. Ces législations ont plus qu’inspiré celles qui ont cours aujourd’hui dans les Etats francophones d’Afrique, la quasi-totalité des grands principes ayant été retenue1. »

Sur le plan international, les questions liées à la faune sauvage et à sa chasse sont, à partir de 1930, traitées par le Conseil International de la Chasse (CIC) qui intervient comme un organe consultatif. Le CIC est une association internationale non gouvernementale qui regroupe des Etats, des administrations nationales chargées de la planification, du développement de la chasse et de la conservation de la faune sauvage, des organisations nationales et internationales, des chasseurs et des scientifiques. C’est encore, avec plus de 67 pays adhérents depuis 1973, la plus haute instance gérant les activités cynégétiques mondiales. Il a eu pour Présidents d’honneur de hautes personnalités telles que Claude Hettier de Boislambert, puis plus récemment l’ancien Président français Valérie Giscard d’Estaing et enfin actuellement le Roi Juan Carlos d’Espagne. Structure créée par 121 personnalités cynégétiques appartenant à 28 nations différentes, dont font partie les plus illustres chasseurs, le CIC comprend notamment à l’époque une Commission de la chasse des grands fauves et une Commission des oiseaux gibiers migrateurs, qui deviendront en 1973 la Commission du

gibier tropical.

Le Conseil supérieur de la chasse aux colonies, créé par décret le 18 juin 1945 et composé de personnalités appartenant aux milieux cynégétiques coloniaux, de représentants du Muséum National d’Histoire Naturelle, des directeurs intéressés du ministère et des chefs des services des chasses des grandes fédérations de la France d’Outre-mer, est plus spécialement chargé d’étudier et de proposer au ministre les projets de réglementation de la chasse, du fonctionnement des réserves, du tourisme cynégétique et des sociétés de chasse.

1

CHARDONNET Ph. (dir), LAMARQUE F., SOURNIA G., CREPIN Ch., 1992. Faune sauvage africaine,

Bilan 1980-1990. Recommandations et stratégie des actions de la coopération française, Ministère de la

Au niveau local, sous la direction des Inspections générales des Forêts, où fonctionnent des sections Chasse et protection de la Nature, sont mises en place les Inspections des chasses et leurs fameux inspecteurs des chasses. Le corps des inspecteurs des chasses est créé au début des années 1950, la structure et la gestion des services liés à la faune sauvage relevant alors (et encore maintenant) de la direction des Eaux et Forêts, suivant le modèle militaire avec Directions, Inspections et Cantonnements. Ce corps, qui n’est pas systématiquement composé de forestiers, ne sera pas renouvelé après les années 1980.

Avant que cette lourde structure administrative ne soit installée, à peu près partout en Afrique jusqu’au début des années 1930, le simple achat d’une licence de chasse donne le droit de tuer n’importe quel animal, n’importe où et en n’importe quelle quantité. Pourtant, la chasse pratiquée sportivement comporte déjà des règles et des codifications issues des milieux cynégétiques métropolitains et adaptées aux spécificités africaines ; le respect d’un code déontologique dans l’art de tuer se veut marque indéniable de la différence entre une chasse coloniale « noble » et la cruauté barbare de l’indigène. Et il est intéressant de noter que le chasseur colonial de l’époque semble extrêmement choqué par le rapport de l’indigène à la viande de chasse. « Extraordinairement avides de viande, il n’y a pas de sacrifices auxquels

ils ne consentent, ni de fatigues auxquelles ils ne s’adaptent pourvu qu’ils puissent s’en procurer ; et une fois qu’ils l’ont obtenue, ils se la disputent si nécessaire avec la férocité aveugle du sauvage. Il m’est déjà arrivé plusieurs fois d’assister à des bagarres furieuses autour du corps de quelque grosse proie, bagarres accompagnées de hurlements à vous déchirer les tympans, à la lueur des tranchants couteaux à écorcher que le troupeau famélique brandissait frénétiquement. Dans ces cas-là, il faut autre chose qu’un chef de village pour tenir la bride à ces forcenés ; il n’y a que la présence de l’Européen, son prestige, et, surtout, le providentiel sifflement du Kurbach qui aient le pouvoir de rétablir l’ordre1. »

Ces régulations que l’on pourrait qualifier de « socioculturelles » ne concernent pas tous les chasseurs - et sûrement pas ceux qui font de leur activité un commerce -, ni les quantités d’animaux abattus. La ressource semble inépuisable, ce qui autorise tous les excès lors des premières expéditions.

Avec les dernières années d’une chasse commerciale supplantée peu à peu par la chasse de loisir, la carrière de « chasseur professionnel » est abolie officiellement en 1935 par un accord international, au profit de celle de « Guide de chasse professionnel ». La plupart des territoires

1

MARIN N., 1932. « Na Giambia » (nella grande Foresta), Cacce nel Congo Belga Milan, Agnelli, p. 124, cité par DALLA BERNARDINA S., 1996. op. cit., p. 237-238

coloniaux se dotent alors d’un appareil législatif ayant trait à la gestion des ressources fauniques, et plus spécifiquement à la régulation de la pratique cynégétique. Devant la réduction constante du cheptel faunique sur l’ensemble des territoires mais également sur les zones réservées ou autorisées à la chasse, différents procédés sont testés ; instauration puis réduction des superficies des zones cynégétiques, limitation progressive des techniques autorisées. Outre les difficultés à contrôler l’activité effective des chasseurs sur le terrain, l’établissement de quotas d’abattages par permis individuel ne se révèle pas efficace car il ne prend pas en compte la diversité des milieux. Pour exemple, en 1936 en AOF, un permis sportif est attribué nommément pour une validité d’un an et autorise les prélèvements suivants :

Tableau 4 : Espèces autorisées par chasseur titulaire d’un permis sportif en Afrique Occidentale Française en 1936

Espèces autorisées Nombre d’animaux par permis sportif

Nombre d’animaux par permis supplémentaire Girafe 1 0 Eland de Derby 1 1 Grand Koudou 1 1 Ane sauvage 1 1 Eléphant 2 1 Hippopotame 2 1 Bongo 2 1 Sitatunga 2 1 Addax 2 1 Oryx 2 1 Mouflon 2 1 Autruche 2 1 Grue couronnée 2 0 Gorille 4 2 Chimpanzé 4 2 Colobe 12 6 Patas 12 6 Marabout 12 6 Aigrette 12 6 Hippotrague 12 6 Gazelle Dama 12 6 Buffle 15 12

Lion pas de restrictions pas de restrictions

Source : ROURE G., 1952. Notes sur la faune de chasse de l'AOF, sa protection et sa mise en valeur, Inspection générale des Eaux et Forêts, Dakar, 110 p.

NB : Le chasseur a le droit de prélever, en plus de ceux de son permis sportif, les animaux du permis supplémentaire, moyennant l’acquittement préalable d’une taxe.

Ces permis sportifs sont le plus souvent honorés en totalité par leurs possesseurs, parfois même les permis supplémentaires, que leurs zones d’action soient giboyeuses ou non. A noter que le Lion, alors considéré comme nuisible à peu près partout en Afrique, ne se voit assigner

aucune limite d’abattage. Des chimpanzés sont également attribués et, plus étonnant, des gorilles… dont les plus proches représentants doivent se trouver au moins à 2 000 kilomètres de l’AOF. Beaucoup plus tard, à partir des années 1970, l’établissement de quotas en fonction des superficies des secteurs de chasse puis ensuite plus ou moins en fonction de données de comptages des animaux réellement présents sur les territoires, aura pour effet de limiter sans cesse les prélèvements potentiels.

Cependant, dès les années 1930, le clivage qui existe déjà dans les mentalités des chasseurs anglo-saxons apparaît aussi chez les chasseurs francophones. Certaines perceptions de la faune sauvage évoluent, fortement influencées par les nouvelles philosophies du rapport à la nature qui se développent en Occident. La chasse des grands primates ou d’autres espèces sans réel intérêt « sportif » comme la Girafe commence à être condamnée tant pour des raisons éthiques qu’écologiques.

« Nos territoires, si giboyeux il y a une trentaine d’années, voient rapidement leur faune

disparaître. Il est pourtant regrettable que figurent sur nos permis A et B - j’écris en 1936 - des chimpanzés et des gorilles. Ces singes anthropoïdes n’offrent absolument aucun intérêt cynégétique : leur espèce devrait, en outre, inciter un pays qui occupe un rang élevé dans l’échelle de la civilisation comme la France, à protéger les derniers représentants de cette race qui s’éteint1. »

Conséquemment, un débat s’ouvre, concernant l’influence et le rôle des chasseurs blancs dans la raréfaction et parfois même la disparition locale de certaines espèces. J.A. Hunter, l’un des chasseurs les plus réputés du début du siècle, écrit en 1952 : « Dans la génération actuelle,

l’esprit sportif n’est pas en baisse, assurément, le ciel en soit loué, et c’est une satisfaction pour l’esprit humain que les relations entre l’homme et l’animal aient pu s’établir sur les principes où elles se fondent aujourd’hui. Le tireur qui jadis s’enorgueillissait de tableaux excessifs , prenant le maximum de ce à quoi il avait droit est devenu en minorité, et n’est plus admiré ni encouragé, à peine toléré. Le vrai sportsman choisit son trophée avec jugement et soin, tue l’animal d’une façon aussi peu cruelle que possible, épargne les femelles et les très jeunes animaux, et demeure un honneur pour le monde sportif et un ami du gibier2. »

La même année, G. Roure, chasseur et Conservateur des Eaux et Forêts de l’AOF, a cette vision plus critique mais qui semble moins partisane : « La chasse dite sportive a été

pratiquée par les Européens depuis un siècle sans tenir compte des plus élémentaires règles

1

GROMIER E., 1936. La vie des animaux sauvages de l’Afrique, Payot, Paris, 344 p.

2

HUNTER J. A. 1952. Chasses tropicales : les aventures et les expériences d'un guide de chasse en Afrique, op.

de protection de la faune, soit dans un but intéressé et lucratif pour obtenir de l’ivoire, ou de la viande pour la main d’œuvre des plantations et des services publics, soit dans un vain esprit de forfanterie et dans la recherche de tableaux spectaculaires, soit enfin dans la recherche de gibier et de trophées quelconques au mépris des règles élémentaires de la chasse, car il faut bien avouer que le colonial, à de rares exceptions près, qu’il soit chasseur accoutumé ou chasseur occasionnel, respecte scrupuleusement, en Europe, les règlements, mais devient bien souvent dans la savane ou la forêt peu policée d’Afrique, un braconnier1. »

Coïncidant avec ces différentes évolutions législatives couplées avec celles des mentalités et des pratiques, c’est à partir des années 1945-1950 que le tourisme cynégétique va connaître dans certains pays d’Afrique Centrale, un « âge d’or ».