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Rappel historique des fondements et de l’évolution de la chasse sportive en Afrique Centrale

Section 2.1. Du commerce au loisir

2.1.3. Le progrès technique au service du safari

A la fin du XIXe et durant le XXe siècle, les progrès technologiques vont largement contribuer à simplifier et à démocratiser l’accès au safari, notamment au travers de l’évolution des transports et de l’armement. Rapidement, l’avion va remplacer le bateau et le camion, le

tipoye.

a) Quand le développement des moyens de transport « démocratise » le safari

Dans les années 1930-40, le transport aérien se développe de façon notoire et des cargos moyens-porteurs comme les DC4 mettent les métropoles à quelques journées de vol des principales capitales africaines au lieu des semaines nécessaires par la voie maritime.

Une grande expédition motorisée va également être à l’origine d’une transformation du rythme des safaris. Le 20 Octobre 1924, la mission Citroën Centre-Afrique, connue sous l’appellation « La Croisière Noire », quitte la France, traverse l’Afrique du Nord, l’Afrique Occidentale puis l’Afrique Centrale et arrive à Bangui le 11 janvier 1925. Les huit chenillettes ont affronté et vaincu les rudesses des déserts, des forêts et de la brousse et cet exploit, outre ses résonances géopolitiques, va être déterminant dans le développement important de la motorisation dans l’Afrique la plus reculée pendant toute la décennie suivante. Dans le même temps, les réseaux routiers de l’AEF et de l’AOF se développent sensiblement, au détriment du chemin de fer qui, s’il est souvent en projet - notamment en Oubangui-Chari et au Tchad, entre Bangui et N’djamena, où il ne verra finalement jamais le jour1-, reste très marginal (ligne Ngaoundéré-Douala au Cameroun, Dakar-Bamako entre le Sénégal et le Mali, Trangabonaise au Gabon).

Les premiers camions Citroën, mais aussi Renault et Ford, équipés pour la brousse, permettent alors d’accéder sans fatigue démesurée et assez rapidement à des territoires qui nécessitaient auparavant des semaines de portage avec comme conséquences directes, des safaris moins longs, moins onéreux mais qui perdent en quelque sorte de leur substance. Car, si la chasse était le but principal des premiers grands safaris, ceux-ci « se méritaient » : c’étaient, sur de longs mois, de véritables campagnes dont les multiples péripéties dépassaient

les seules actions de chasse. L’avion et le camion rendent le safari accessible à une clientèle moins fortunée, donc moins « sélectionnée » et « l’esprit » du safari s’en trouve fortement modifié. Cette forme de « démocratisation » du safari, malgré tout relative, ne sera pas du goût de tous les acteurs cynégétiques, comme nous le verrons plus loin. Enfin, l’emploi de camions en brousse va bien sûr inciter les moins scrupuleux des chasseurs à tirer depuis les véhicules, comme ces deux américains qui auraient inscrit à leur tableau 323 lions en un safari de plusieurs mois effectué au Kenya2. »

b) Une modernisation progressive de l’armement

Dans la même mouvance, l’armement du chasseur de safari va, lui aussi, fortement évoluer de la moitié du XIXe à la moitié du XXe siècle. L’attention que portent les chasseurs à leur arme est déjà primordiale. Jean d’Esme, du Conseil International de la Chasse, écrit : « principe

essentiel, vérité primordiale qu’aucun chasseur de grosses bêtes ne doit jamais perdre de vue : de l’arme que vous avez en main dépend le succès de vos expéditions et très souvent votre vie3. »

La chasse sportive, d’une part va bénéficier des avancées technologiques liées aux objectifs militaires4, d’autre part va engendrer la création d’armes et de calibres spécifiques, notamment pour la chasse aux grands fauves. Les premières armes à canon rayé voient le jour aux Etats-Unis à partir de la fin du XVIIIe siècle avec les fameux Kentucky destinés principalement à la chasse aux bisons, aux ours et aux cervidés (Elan, Wapiti). L’arme de chasse prend un véritable essor au début du XIXe siècle avec le développement du fusil à piston5. On passe du fusil à capsule - bourre, plomb et poudre - aux premières armes utilisant les cartouches à broches inventées par Lefaucheux (encore utilisées pendant la Seconde Guerre Mondiale). La gamme de fusils à broche était très étendue en calibres (de la petite 12 millimètres au canon de 80 millimètres, en passant par de nombreux modèles rayés pour le tir à balle). Ces armes ne sont pas sans inconvénients : elles sont lourdes (souvent plus de 10

1

SAUTTER G., 1999. Un projet colonial sans lendemain : le chemin de fer Bangui-Tchad, AEF.

2

GALMOT A., DE LAUBIER P., 1991. Le grand guide des safaris africains, Gallimard, Paris, 374 p.

3

Cité par ROURE G., 1952. Notes sur la faune de chasse de l'AOF, sa protection et sa mise en valeur, p. 93.

4

La poudre aurait été inventée par les Chinois au Xe siècle et les premiers canons fondus au XIIIe siècle. L’art de tuer à distance devient pourtant très tôt une spécialité européenne, nécessitant une amélioration et un perfectionnement constants des armes à feu, permettant de s’assurer rapidement une supériorité durant les conquêtes. En 1869, les britanniques abandonnent l’Enfield pour le Martini-Henry. Les Français produisent le fusil Gras, les allemands le Mauser.

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Souvent à 2 canons, il était équipé de chiens dont l’extrémité creuse recevait une capsule de fulminate (d’où l’appellation de fusil à capsule). Quand le chien s’abattait sur la cheminée, une étincelle se produisait, qui enflammait la poudre. Devant être rechargées par la bouche, sensibles à l’humidité, lourdes et peu précises, ces armes vont subir des améliorations constantes.

kilos) et dangereuses car c’est encore l’époque de la poudre noire qui oblige à faire un pas de côté après un tir pour évaluer le résultat. Leur recul est aussi fort que leur précision est moyenne, mais elles sont pourtant utilisées couramment par les chasseurs commerciaux d’ivoire. La lenteur des balles est compensée par leur poids pour arrêter la charge éventuelle de pachydermes blessés ou provoquer des hémorragies abondantes. Le chargement par la culasse puis les modèles à répétition à partir de 1890 améliorent encore les performances des armes de chasse. Winchester invente le fusil à pompe en 1900, Browning le premier fusil de chasse semi-automatique fonctionnant par emprunt de gaz, et la balle dum-dum1 se fait une réputation pour la chasse aux fauves africains.

La qualité, la fiabilité et la précision des armes de grande chasse évoluent alors très rapidement du début au milieu du XXe siècle. Elles s’allègent et leurs calibres se diversifient tout en se spécialisant. Les armes et balles réservées aux plus grands gibiers africains deviennent même des calibres de légende, mythologie indissociable de l’histoire du safari africain. Armes de calibre moyen, la 10.75 Mauser, la 350 Rigby Magnum ainsi que la Mauser 366 ou la Mauser 9.3 magnum, mais aussi des armes encore largement utilisées de nos jours comme la 9.3 x 62 ou la 375 Holland Holland Magnum, ont toutes une réputation d’excellence chez les initiés du safari africain et sont privilégiées pour la chasse aux lion, léopard et grandes antilopes. De plus gros calibres en carabine à verrou comme la 425 Westley-Richards, la 505 Gibbs ou la 416 Rigby (encore utilisée) rivalisent de renommée pour l’Eléphant, le Buffle ou le Rhinocéros, avec les Express2. Ces derniers, réservés aux plus fortunés, sont les armes favorites des guides professionnels, comme les 470 et 475 Jefferey n°2, et souvent des monstres de puissance comme les 500, 577 et 600 Nitro express. Sans que des évolutions techniques majeures interviennent depuis les années 1950, la renommée de certains calibres va ainsi traverser des décennies jusqu’à nos jours où la passion pour les armes de chasse continue à animer le monde initié du safari africain.

1

La balle dum-dum vient de l’usine du même nom, près de Calcutta où elle est inventée et brevetée en 1897. Elle sera prohibée pour les combats militaires entre Etats « civilisés » à la Conférence de la Haye en 1899 et réservée aux guerres coloniales puis ensuite à la grande chasse sportive.

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Carabines à canon double tirant 2 balles le plus souvent réservées aux guides de chasse professionnels qui l’utilisent en arme d’arrêt sur les charges d’animaux.

Section 2.2. Pratiques cynégétiques et gestion de la faune au temps des