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Tâches de jugement de valence : mesures de temps de réponse

Chapitre 4. Compatibilité sensorimotrice, fluence et jugement de valence

2. Le cas des mouvements latéraux

2.2. Fluence motrice des mouvements latéraux et valence : paradigmes expérimentaux

2.2.2. Tâches de jugement de valence : mesures de temps de réponse

Les associations valence/latéralité décrite par la Body-Specificity Hypothesis (BSH) s’expriment également par des facilitations dans les temps de réponses lors de tâches de jugement de valence. Avant même la formulation de la BSH, Root, Wong et Kinsbourne (2006) avait montré chez des participants droitiers une plus grande rapidité de la main droite à répondre à des items positifs que négatifs, et un effet inverse pour la main gauche. Plus récemment, Baraniecki, Gajda, Mańko et Michalowski (2012) ont repris l’expérience de Meier et Robinson (2004) sur les liens entre valence et espace vertical, en l’adaptant à l’espace horizontal. Ils présentaient en amorce un mot positif ou négatif au centre de l’écran, puis une forme géométrique apparaissait à droite ou à gauche de l’écran. La tâche des participants consistait à détecter la présence de cette cible le plus vite possible. Les résultats ont mis en évidence une activation de l’attention spatiale du côté correspondant à la valence du mot amorce. Les participants, tous droitiers, repéraient plus rapidement une cible à droite qu’à gauche après un mot positif, et inversement détectaient plus tôt la cible de gauche que celle de droite après un mot négatif.

Chapitre 4. Compatibilité sensorimotrice, fluence et jugement de valence

Ces travaux se sont concentrés sur les participants droitiers, mais récemment de la Vega et ses collaborateurs (de la Vega, de Filippis, Lachmair, Dudschig & Kaup, 2012 ; de la Vega, Dudschig, de Filippis, Lachmair & Kaup, 2013) se sont intéressés aux différences de performance entre droitiers et gauchers dans des tâches de jugement de valence de mots émotionnels.

de la Vega et al. (2012, voir aussi Kong, 2013 pour le jugement de valence de mots et de visages) ont mis en place une tâche de jugement de valence de mots positifs et négatifs réalisés par des droitiers et des gauchers (Expériences 2 et 3). Les sujets répondaient par deux touches de réponses situées à gauche et à droite, avec chaque main qui répond sur la touche située de son côté. Les résultats montrent que les participants sont plus rapides à juger les mots positifs avec leur main dominante, et à juger les mots négatifs avec leur main non- dominante. Malgré ce résultat encourageant pour la BSH, une limite de cette expérience est que le design confond main de réponse et côté de réponse. Or déterminer le facteur responsable de ces effets de compatibilité permettrait de mieux comprendre les associations entre valence et latéralité. Si c’est le côté de réponse qui détermine la vitesse de réponse aux items émotionnels, alors il peut s’agir d’un effet de compatibilité entre les hémisphères cérébraux qui traitent l’espace latéral et la valence émotionnelle. Mais si c’est la main de réponse qui induit les effets observés, alors on confirme que ces associations de la valence et de la latéralité sont dépendantes des actions mises en œuvre.

Pour séparer ces deux facteurs, de la Vega et al. (2013) ont répliqué l’expérience de de la Vega et al. (2012) chez des sujets droitiers mais en faisant répondre les participants avec les mains croisées, c’est-à-dire que la main droite répondait sur la gauche du clavier, alors que la main gauche répondait à droite du clavier. Les résultats obtenus ont mis en évidence que la facilitation est portée par la main et non par le côté de réponse, puisque les mots positifs sont jugés plus vite quand la réponse se fait avec la main droite, bien qu’elle réponde à gauche.

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Inversement, les mots négatifs sont jugés plus vite avec la main gauche, bien qu’elle réponde à droite.

Ces résultats appuient le rôle crucial des habitudes sensorimotrices dans le développement et le maintien des associations entre valence et latéralité, au-delà de toute influence de la culture, du sens d’écriture ou encore des activations hémisphériques. Toutefois une explication alternative des effets de compatibilité entre valence et latéralité peut être avancée par le biais du principe de correspondance des polarités (Proctor & Cho, 2006). La plupart des phénomènes de compatibilité sont expliqués en termes de similarité perceptive, motrice ou conceptuelle. Proctor & Cho (2006) proposent qu’une similarité structurale entre deux dimensions suffit à induire des effets de compatibilité. Cette similarité structurale se fonderait sur une correspondance de polarité. En effet, toute dimension binaire serait codée par un pôle + et un pôle -, la modalité la plus saillante de la dimension étant le pôle + (Proctor & Reeve, 1985). Par exemple, pour la dimension verticale le haut est le pôle + et le bas le pôle -, et pour la dimension horizontale la droite est la polarité saillante, codée, + et la gauche la polarité codée – (Weeks & Proctor, 1990). Ces chercheurs ont montré que le pôle saillant d’une dimension est plus fréquent dans le langage que le pôle non-saillant, qu’il est appris plus tôt par les enfants, ou encore qu’il dispose d’un bénéfice de traitement intrinsèque par rapport à l’autre modalité. Le principe de correspondance de polarité propose que dans des tâches de classifications binaires (haut/bas, gauche/droite, positif/négatif …), on code les modalités des stimuli et des réponses en polarités + et -, et que la sélection des réponses est plus rapide quand les polarités du stimulus et de la réponse correspondent que lorsque ce n’est pas le cas (voir Proctor & Cho, 2006, p. 418).

Il nous semble que le principe de correspondance de polarité permet d’expliquer les résultats obtenus chez les droitiers par de la Vega et al. (2012) : la main droite, codée +, répond plus rapidement aux mots positifs (pôle +) que négatifs (pôle -), et inversement, la

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main gauche (codée -) répond plus vite aux mots négatifs (pôle -) que positifs (pôle +). Par contre, l’inversion du pattern chez les gauchers sous-entend que le codage de la dimension horizontale n’est pas figée, mais dépend de la dominance des participants : chez les droitiers, le côté droit est le plus saillant, mais chez les gauchers c’est le côté gauche qui domine, justifiant des effets de correspondances des polarités opposés (pour un débat sur le caractère figé des polarités, voir Pecher, Van Dantzig, Boot, Zanolie & Huben, 2010 ; Lakens, 2011 et Van Dantzig & Pecher, 2011). Pour autant, aucun test direct de la théorie de la correspondance des polarités n’a été mis en évidence dans l’étude des liens entre valence et latéralité.

3. Synthèse

Les activités cognitives ne concernent pas que le contenu de la pensée construite lors de l’interaction avec un objet, mais également la façon dont s’est construit ce contenu. Ainsi, un feed-back métacognitif renseigne le système cognitif sur la facilité avec laquelle un objet est traité : la fluence. Lorsque cette facilité est liée à la réalisation d’un comportement moteur, on parle de fluence motrice, caractérisée par un marquage affectif positif qui colore aussi bien l’action elle-même que la situation dans laquelle cette action est exécutée.

La notion de fluence motrice a permis d’éclairer d’un point de vue incarné et situé la question des phénomènes de compatibilité entre valence émotionnelle et comportements non émotionnels, c'est-à-dire hors gestes motivationnels et expressifs. L’étude des mouvements latéraux, comme cas naturel de fluence motrice, a mis à jour des phénomènes de compatibilité valence/latéralité agissant sur les jugements en termes d’attitudes et de vitesse de réponse, phénomènes sensibles à divers facteurs tel que la dominance manuelle ou les changements

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d’habitudes motrices. Pour autant, de nombreuses questions sont soulevées par ces travaux, auxquelles nous nous attacherons à répondre dans cette thèse.

La prochaine partie exposera donc ces questions laissées en suspens, ce qui nous permettra d’énoncer la problématique qui anime ce travail, avant de présenter nos hypothèses de travail et l’opérationnalisation de ces hypothèses.

Problématique et hypothèses

Problématique et hypothèses

A l’issue de ces considérations théoriques, nous nous situons donc dans une conception incarnée et située de la cognition et de l’évaluation émotionnelle. Nous nous inscrivons dans une approche constructiviste de l’émotion, selon laquelle la dimension émotionnelle d’un objet est tributaire des interactions sensorimotrices avec cet objet. Nous nous intéressons ici à un type particulier d’interactions sensorimotrices que sont les comportements moteurs latéralisés, en nous interrogeant sur les circonstances dans lesquelles ces comportements s’associent à des évaluations émotionnelles.

Afin de présenter plus en détail l’objet de ce travail, nous commencerons par exposer les questions qui d’après nous sont laissées en suspens par les travaux existants, notamment au sujet de la direction et de la flexibilité des liens entre valence et latéralité. Nous présenterons ensuite la problématique qui anime cette thèse, ainsi que les hypothèses de travail que nous avons choisi de défendre. Enfin, nous décrirons les deux séries d’expériences mises en place afin de valider nos hypothèses.