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Tâches de jugement de préférence : mesures d’attitudes

Chapitre 4. Compatibilité sensorimotrice, fluence et jugement de valence

2. Le cas des mouvements latéraux

2.2. Fluence motrice des mouvements latéraux et valence : paradigmes expérimentaux

2.2.1. Tâches de jugement de préférence : mesures d’attitudes

L’étude de référence sur les liens entre valence et espace latéral a été menée par Casasanto en 2009. Son ambition était alors de déterminer sur quelles bases sont fondées les associations entre d’une part la droite et le positif et d’autre part la gauche et le négatif : s’agit-il d’un principe culturel universel ? D’un effet de la différentiation hémisphérique des motivations d’approche et d’évitement ? Ou bien ces associations sont-elles des conséquences des interactions sensorimotrices des individus avec leur environnement ?

Pour sa part Casasanto (2009) défend le point de vue sensorimoteur et propose la Body- Specificity Hypothesis, ou hypothèse de la spécificité corporelle. Sa proposition est que le contenu de l’esprit dépend de la structure du corps, et donc que notre façon de concevoir le monde résulte des contraintes que notre corps nous impose. Selon cette logique, des personnes avec des corps différents, ou du moins qui s’en servent différemment, devraient penser différemment. Pour tester son hypothèse, Casasanto (2009) a comparé des droitiers et des gauchers au niveau de leur conceptualisation de la valence en lien avec l’espace horizontal. Il présentait à des participants droitiers et gauchers une feuille de papier sur laquelle était représenté en bas au centre un personnage faisant face à deux boîtes disposées sur la gauche et la droite de la feuille. On expliquait aux participants que ce personnage a pour caractéristique d’aimer les pandas et de détester les zèbres. La tâche des participants consistait à dessiner chaque animal dans une des deux boîtes dessinées sur une feuille de papier. Les résultats ont montré que les droitiers présentaient une large tendance à représenter le « bon » animal à droite et le « mauvais » à gauche, alors que les gauchers faisaient l’inverse (Casasanto, 2009, Expérience 1). De plus, ce résultat a été répliqué dans une tâche où les participants doivent choisir à l’oral, sans geste moteur, la destination de chaque animal (Expérience 3). Dans la

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même étude, Casasanto montre que lorsqu’un participant doit choisir entre deux "fribbles" (objets-personnages fictionnels) lequel semble le plus sympathique ou le plus intelligent (Expérience 4), ou entre deux CV lequel semble le plus intéressant, ou encore entre deux produits celui qu’on préfèrerait acheter (Expérience 5), les participants ont tendance à choisir celui situé du côté de leur main dominante.

Casasanto (2009) interprète ces effets en termes de différences d’interaction avec l’environnement : on interagit plus fréquemment et plus facilement avec l’environnement en utilisant sa main dominante. Les mouvements effectués du côté dominant sont donc plus fluents que les autres, ce qui impliquerait, par exemple pour un droitier, une connotation positive de l’ensemble de l’espace péri-personnel de droite, et un marquage négatif de l’espace situé à gauche.

On remarque donc que seules les associations valence/latéralité des droitiers sont représentées au niveau des métaphores linguistiques. On peut présumer que cette suprématie est le reflet de la prédominance des droitiers dans le monde puisqu’on estime que plus de 85% de la population mondiale est droitière (Hardyck & Petrovich, 1977).

Les résultats obtenus par Casasanto (2009) dans son étude princeps ont été répliqués et étendus à diverses situations et populations, enrichissant la Body-Specificity Hypothesis (BSH). Casasanto et Henetz (2012) ont observé la présence des associations valence/latéralité chez des enfants dès l’âge de 5 ans, qui jugent un animal présenté de leur côté dominant comme plus gentil et plus malin qu’un animal présenté de l’autre côté. de la Fuente, Casasanto, Román et Santiago (2011) ont confirmé des associations similaires dans des cultures différentes où le sens de lecture est inversé et où les conventions culturelles sont plus fortes entre gauche et négatif. De la Fuente et al. (2011) ont fait compléter la tâche des animaux à des participants espagnols et marocains en faisant l’hypothèse que la force des tabous liés à la gauche dans la culture musulmane devrait impliquer des associations plus

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fortes entre droite et positif d’une part et gauche et négatif d’autre part. Leurs résultats ont mis en évidence des tendances de même orientation et de même intensité dans la culture européenne et dans la culture musulmane. Casasanto et Jasmin (2010) ont mis en évidence le caractère spontané de ces associations en observant les gestes de la main réalisés pendant des discours politiques. En relevant les mouvements des bras réalisés par les candidats à l’élection présidentielle des USA en 2004 et 2008, les auteurs ont montré que les mouvements de la main dominante étaient plus fortement associés à des discours de valence positive, alors que les mouvements de la main non-dominante étaient plus fortement associés aux discours de valence négative.

Les associations entre valence et latéralité étant fondées sur la dominance manuelle des individus, on pourrait s’attendre à ce qu’elles soient figées dans le temps. Or Casasanto et Chrysikou (2011) ont mis en évidence la flexibilité de ces associations, en étudiant les effets de changements à court et long-terme des possibilités d’action des personnes sur leurs associations entre valence et latéralité. Leur hypothèse était que si ces associations sont basées sur la fluence des habitudes motrices, alors agir sur cette fluence devraient les modifier. Dans une première expérience, Casasanto et Chrysikou ont fait appel à des patients droitiers hémiplégiques du côté gauche ou du côté droit consécutivement à un AVC. Ces patients ont passé la version orale de la tâche du personnage qui aime les pandas et déteste les zèbres (Casasanto, 2009, Expérience 3), en choisissant à haute voix le côté où ils plaçaient chaque animal. Chez les patients droitiers hémiplégiques à gauche, les associations ont été les mêmes que chez les droitiers sains, à savoir le bon animal a été préférentiellement placé à droite et le mauvais à gauche. Par contre chez les droitiers hémiplégiques à droite, les associations s’inversent pour refléter celles habituellement rencontrées chez les gauchers (bon à gauche et mauvais à droite). Dans la seconde expérience, des personnes droitières saines devaient manipuler des dominos tout en portant une moufle à une de leur main. La tâche nécessitant

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une certaine précision, la main portant la moufle devenait handicapée par rapport à la main libre. Après 12 minutes d’entraînement sur les dominos les participants passaient la tâche orale de l’animal bon et de l’animal mauvais. Les participants droitiers qui portaient la moufle à la main gauche ont conservé des associations classiques de droitiers (bon à droite, mauvais à gauche), alors que ceux qui la portaient sur leur main dominante ont manifesté des associations de gauchers (bon à gauche et mauvais à droite). Ces deux expériences ont donc permis de montrer que lorsqu’on modifie les habitudes sensorimotrices des individus en les empêchant d’utiliser leur main dominante (à long terme lors d’une hémiplégie, à court-terme en handicapant temporairement la main), les associations valence/latéralité qu’ils manifestent correspondent à celles que l’on rencontre usuellement chez des personnes de dominance opposée. Il semble donc que les associations valence/latéralité ne sont pas fondées uniquement sur la dominance manuelle des participants, mais bien sur leur manière d’agir avec le monde.

Les associations entre valence et latéralité semblent donc dépendre entièrement des contraintes corporelles, puisque les métaphores linguistiques ne reflètent qu’une partie de ces combinaisons, et qu’on retrouve des effets similaires dans des cultures différentes (de la Fuente et al., 2011 ; Casasanto, 2013).

Au-delà des associations se manifestant dans des tâches de jugement de préférence et dans des actions spontanées, les associations entre valence et latéralité influencent également des jugements de mémoire et la perception d’autrui.

Ainsi, lorsque des participants doivent se rappeler de la localisation sur une carte d’évènements évalués comme positifs ou négatifs, on assiste lors du rappel à un biais spatial dépendant de leur dominance manuelle et de la valence de l’évènement. Chez les droitiers, les évènements positifs sont localisés plus vers la droite que leur position d’origine, et les évènements négatifs plus vers la gauche. Réciproquement, les gauchers déplacent vers la

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gauche les évènements positifs, et vers la droite les évènements négatifs (Brunyé, Gardony, Mahoney & Taylor, 2012).

Enfin, lorsqu’on adopte la perspective d’autrui dans une tâche où l’on doit imaginer comment autrui placerait un item positif et un item négatif sur la gauche ou la droite, le facteur déterminant la position des items n’est pas la dominance manuelle ou la fluence motrice du participant, mais bien la connaissance qu’a le participant de la fluence motrice d’autrui. Ainsi, si l’individu dont on doit adopter la perspective a le bras droit dans le plâtre, on tendra à positionner l’item positif sur sa gauche, puisque c’est le côté qui lui permettrait d’agir le plus aisément (Kominsky & Casasanto, 2013).