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Modélisation des effets bidirectionnels entre action et évaluation

Série 2. Discussion générale

3. Eléments de réponses aux questions soulevées

3.3. Modélisation des effets bidirectionnels entre action et évaluation

La question centrale de cette thèse portait sur l’existence d’effets bidirectionnels entre le jugement de valence et la fluence motrice. Les travaux existants avaient jusque-là mis en évidence des associations spontanées entre ces deux dimensions (Casasanto, 2009 ; Casasanto & Jasmin, 2012 ; Casasanto & Henetz, 2012 ; de la Fuente et al., 2011), de telle sorte que selon la fluence motrice des gestes de la main (déterminée par la dominance manuelle et les habitudes sensori-motrices), les individus associent différemment les valences positive et négative avec l’espace horizontal. D’autres chercheurs avaient pu mettre en lumière l’influence de l’évaluation positive et négative sur la réalisation de gestes de réponse : évaluer un item positivement facilite la réalisation d’un geste fluent (connoté positivement) par rapport à un geste non-fluent, alors qu’évaluer négativement facilite l’exécution d’un geste non-fluent par rapport à un geste fluent (de la Vega et al., 2012, 2013 ; Kong, 2013). Enfin, l’étude de Casasanto et Chrysikou (2011) montrait que des variations dans les habitudes sensorimotrices des individus induisaient des modifications dans leurs associations spontanées de la valence et de l’espace latéral. L’ensemble de ces travaux interprètent les résultats obtenus comme fondés sur la fluence motrice des actions des individus : la fluence motrice étant connotée positivement, le geste le plus fluent est associé à cette valence positive.

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fluence motrice. En d’autres termes, l’évaluation émotionnelle doit faciliter la réalisation de mouvements émotionnellement compatibles grâce à la fluence motrice, mais on imagine également que le caractère émotionnel de la fluence motrice liée à certains mouvements doit impliquer des jugements émotionnels de même valence. D’une manière générale, nous nous attendions donc à des effets bidirectionnels entre l’action et l’évaluation.

Les résultats obtenus dans les deux séries d’expériences présentées dans cette thèse nous ont permis de mettre en évidence les deux types d’influences, aussi bien l’effet de l’évaluation émotionnelle sur l’action que l’influence de l’action sur le jugement de valence.

De plus, ces diverses expériences nous ont permis de mettre en évidence deux processus différents dans ces effets, avec d’une part un effet de compatibilité (série 1) et d’autre part un effet d’attribution (série 2), nous permettant de proposer une modélisation des effets bidirectionnels entre action et évaluation (voir figure 6).

Dans la première série d’expériences, l’évaluation positive des mots présentés a permis des réponses plus rapides par le geste le plus fluent, et les mots évalués négativement ont entrainé des réponses plus rapides par le geste le moins fluent, la fluence des mouvements étant liée à la fois à l’effecteur utilisé (main droite ou gauche) et à la disposition des touches de réponses. Nous interprétons ces variations de temps de réponse comme des effets de compatibilité émotionnelle : les gestes de réponse réalisés les plus rapidement sont ceux dont le marquage émotionnel (lié à la fluence motrice et à la congruence du clavier de réponse) est compatible avec l’évaluation émotionnelle du mot présenté. Une évaluation émotionnelle positive est donc compatible avec un geste marqué positivement, c’est-à-dire un geste fluent. Les mouvements les plus fluents sont ceux pour lesquels la main de réponse et la disposition du clavier sont congruents, c’est-à-dire main droite et réponse « positif » à droite, ou main gauche et réponse « positif » à gauche. En revanche, une évaluation émotionnelle négative est compatible avec le mouvement de réponse moins ou non-fluent, c’est-à-dire pour lequel

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l’effecteur n’est pas congruent avec la disposition de réponse, comme main droite et réponse « positif » à gauche, et main gauche et réponse « positif » à droite. Les travaux de de la Vega et al. (2012 ; 2013) révélaient les mêmes effets : lorsque les réponses étaient données avec les deux mains, c’est le geste le plus fluent (par la main dominante, marqué positivement) qui était réalisé le plus rapidement après l’évaluation de mots positifs, et le moins fluent (main non-dominante) qui était exécuté le plus vite après l’évaluation de mots négatifs.

En résumé, nous concevons l’influence de l’évaluation émotionnelle sur la réalisation de comportements moteurs latéralisés comme un effet de compatibilité émotionnelle basé sur le caractère hédonique de la fluence motrice.

Figure 6. Proposition de modélisation des effets bidirectionnels entre l’action motrice et l’évaluation émotionnelle

Dans la seconde série d’expériences, la réalisation de mouvements latéraux, associée à l’usage d’une échelle d’évaluation congruente ou non avec la fluence motrice des participants, a entrainé des variations dans l’évaluation de mots habituellement évalués comme neutres, positifs et négatifs. Ainsi, les mots neutres ont été évalués plus positivement sur une échelle congruente après un mouvement fluent, et plus négativement sur une échelle non-congruente après un mouvement non-fluent. Ces effets reflètent d’après nous un processus d’attribution :

Evaluation émotionnelle Action motrice

Effet de compatibilité

Effet d’attribution FLUENCE

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avoir conscience de la cause réelle. Ici, le ressenti émotionnel lié à la fluence est attribué à la tâche en cours, à savoir le jugement de valence. Quand les participants ont ressenti un marquage positif lié à la fluence, ce marquage a été attribué au mot présenté, favorisant une évaluation positive. En revanche, l’absence de fluence et la non-congruence du clavier ont entrainé un ressenti plutôt négatif, se reflétant dans l’évaluation négative des mots présentés.

Les résultats obtenus dans la seconde série d’expériences semblent indiquer que le processus d’attribution est également à l’origine des variations dans l’évaluation des mots de valence positive et négative. En revanche, ce n’est pas directement le ressenti émotionnel lié à la fluence qui a été attribué aux mots à évaluer, mais plutôt la compatibilité de ce ressenti émotionnel avec les autres dimensions de la tâche, à savoir la valence des mots présentés et la congruence du dispositif de réponse avec cette valence. Lorsque la fluence motrice était incompatible avec les autres dimensions, on a pu observer une connotation négative des items : nous avons interprété cela comme un effet de l’écart, ou discrepancy (Whittlesea & Williams, 1998, 2000) entre les diverses dimensions. En accord avec les idées de Mandler (1980) cet écart semble associé à une coloration émotionnelle négative, qui a alors été attribuée aux items présentés dans la tâche de jugement de valence.

En résumé, l’influence de l’action sur l’évaluation émotionnelle, médiatisée par le caractère émotionnel de la fluence motrice, nous semble correspondre à un effet d’attribution du ressenti émotionnel à l’activité de jugement.

Pour conclure, les expériences réalisées dans cette thèse nous ont permis de témoigner de l’existence d’effets bidirectionnels entre action motrice et évaluation émotionnelle, ces relations étant basée sur le caractère émotionnel de la fluence motrice, et résultant de deux processus distincts : l’influence de l’évaluation sur l’action serait liée à un processus de compatibilité, tandis que l’effet de l’action sur l’évaluation aurait pour origine un processus d’attribution.

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