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L’intérêt des mouvements latéraux dans l’étude de la fluence motrice

Chapitre 4. Compatibilité sensorimotrice, fluence et jugement de valence

2. Le cas des mouvements latéraux

2.1. L’intérêt des mouvements latéraux dans l’étude de la fluence motrice

Diverses raisons font des mouvements latéraux un cadre pertinent pour l’étude des liens entre fluence motrice et émotion. Des travaux relevant aussi bien de la neurophysiologie, de la psycholinguistique ou encore de la psychologie cognitive ont mis en évidence des contacts étroits entre actions latérales, processus émotionnels et fluence.

Une grande partie de ces travaux s’est penché sur la question des activations cérébrales liées aux comportements latéraux, en lien avec la spécialisation hémisphérique du traitement émotionnel.

Comme évoqué précédemment (voir Chapitre 3, point 2.), Davidson (1984, 1992) a distingué au niveau cérébral deux systèmes de réponse correspondants aux dimensions motivationnelles d’approche et d’évitement : un système d’approche lié à la valence positive, situé dans l’hémisphère gauche, et un système d’évitement lié à la valence négative qu’il situe dans l’hémisphère droit. C’est sur ces localisations que ce sont basés de nombreux travaux

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émotionnels. Les effets rapportés dans ces travaux montrent une performance accrue lorsque deux dimensions d’une même situation activent le même hémisphère.

Par exemple, la présentation d’un stimulus dans un hémi-champ visuel active l’hémisphère cérébral controlatéral (e.g., champ visuel de droite et hémisphère gauche), dont la dimension motivationnelle correspondante. Ainsi, la présentation d’un stimulus dans le champ visuel de droite active l’hémisphère de gauche associé à la motivation d’approche. Par conséquent, cette présentation permet une identification plus rapide de visages positifs que négatifs, et induit une évaluation positive de visages initialement neutres. Réciproquement, la présentation en champ visuel gauche (i.e. hémisphère droit et motivation d’évitement) entraine une identification plus rapide des visages négatifs plutôt que positifs, et une évaluation négative de visages neutres (Ahern & Schwartz, 1979 ; Reuter-Lorenz & Davidson, 1981 ; Van Strien & Van Beek, 2000).

Un nombre désormais conséquent de recherches se sont intéressées à l’effet des contractions musculaires unilatérales sur des tâches affectives, postulant que l’activation hémisphérique liée à la contraction favorise des évaluations de valence correspondant à la motivation associée à cet hémisphère. Ainsi, des contractions unilatérales des muscles de la main ou d’un côté du visage influencent de nombreuses activités. Les contractions des parties droites du corps, activant l’hémisphère gauche lié à l’approche, induisent un affect positif (Harmon-Jones, 2006), par exemple en entrainant des interprétations plus positives d’une image ambigüe que les contractions à gauches (Schiff & Lamon, 1994), ou encore une persistance plus longue dans la résolution de problèmes insolubles (Schiff, Kenwood, Guirguis & Herman, 1998). Cet effet n’est pas spécifique à la contraction musculaire volontaire, puisque l’application de vibrations sur la peau entraine des résultats similaires : des vibrations sur le bras droit entrainent également plus de persistance dans une tâche

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impossible, ainsi qu’un jugement plus positif d’un film neutre que des vibrations de même intensité sur le bras gauche (Bassel & Schiff, 2001).

Cependant, des travaux plus récents ont montré que les effets affectifs des activations hémisphériques n’étaient pas toujours liés à l’hémisphère activé : l’approche et donc la valence positive, censée être liée à l’hémisphère gauche (HG) peut également être associée à l’activation de l’hémisphère droit (HD). Schiff et Bassel ont montré en 1996 que lorsque la contraction unilatérale du visage et le doigt de réponse activent le même hémisphère, on réalise plus facilement un geste d’approche que d’évitement, et ce pour les deux hémisphères. Ainsi une contraction à droite (HG) facilite la flexion (approche, HG) par rapport à l’extension (évitement, HD) de l’index droit (HG). Cet effet n’est pas présent pour une contraction unilatérale gauche (HD). Lorsque le geste est réalisé par l’index gauche (HD), l’effet s’inverse : la flexion (approche, HG) est facilitée après une contraction à gauche (HD), mais pas à droite (HG).

De même, Cretenet et Dru (2004) ont montré l’effet de la congruence des activations hémisphériques sur l’évaluation d’idéogrammes chinois neutres. Ces chercheurs ont manipulé le bras contracté (gauche, HD ou droit, HG) et le geste effectué (flexion, HG ou extension, HD) et mesuré l’impact de ces deux facteurs sur l’évaluation émotionnelle. Les résultats ont montré des évaluations plus positives pour les conditions où les deux dimensions activaient le même hémisphère (gauche/extension et droite/flexion) par rapport aux conditions où les deux hémisphères étaient activés (gauche/flexion et droite/extension). Les résultats étaient similaires que les gestes soient réalisés en unilatéral (un seul bras contracté, Expérience 1), ou en bilatéral (deux bras contractés, Expérience 2).

Toutefois, il est à noter que l’intégralité des travaux cités ci-dessus a eu recours à des participants droitiers afin de déterminer les liens entre activités motrices, hémisphères cérébraux et activités affectives. On peut alors s’interroger sur le rôle de la dominance

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manuelle dans les effets présentés. Peu de travaux se sont penchés sur cette question, et pour ceux qui l'on fait, leurs conclusions sont variables. Van Strien et Van Beek (2000) n’ont pas trouvé d’effet de la dominance manuelle dans leur expérience sur l’effet de la présentation en hémi-champ visuel sur l’évaluation émotionnelle de visages neutres. Par contre, Reuter- Lorenz, Givis et Moscovitch (1983) ont mis en évidence une inversion des résultats entre droitiers et gauchers dans une tâche de détection de visages émotionnels présentés dans un hémi-champ visuel. Enfin, la première expérience à notre connaissance qui a objectivement montré des différences d’activations cérébrales entre droitiers et gauchers a été conduite par Brookshire et Casasanto (2012) en utilisant des mesures par électroencéphalogramme (EEG) : ces chercheurs ont comparé les activations cérébrales au repos de participants droitiers et gauchers selon leurs tendances motivationnelles d’approche, mesurées par une échelle d’activation comportementale (BAS, Carver & White, 1994). Les analyses ont révélées des corrélations positives entre les tendances d’approche et les activations de l’hémisphère gauche des droitiers, alors que les mêmes tendances comportementales chez les gauchers sont associées à des activations plus importantes de l’hémisphère droit.

La question des liens entre latéralité et émotion s’est également étendue à l’étude des concepts abstraits. En effet, la valence émotionnelle est un concept abstrait qui n’est pas directement lié à une dimension sensorimotrice permettant de la conceptualiser. Comme on l’a vu précédemment (Chapitre 2, partie 3), nous avons alors recours à des métaphores conceptuelles et linguistiques qui rattachent une notion abstraite comme la valence à une dimension sensorimotrice connue, comme la dimension spatiale verticale (Meier & Robinson, 2004).

Il existe également une métaphore linguistique liée à l’espace horizontal : la valence positive est fréquemment associée à la droite (« c’est mon bras droit », « être quelqu’un de droit ») alors que la valence négative est associée à la gauche (« passer l’arme à gauche », « se

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lever du pied gauche »). On remarque que ces associations correspondent à celles de la latéralité hémisphérique, en tout cas concernant les droitiers.

Au-delà de ces liens cérébraux et linguistiques entre émotion et latéralité, l’intérêt majeur de l’usage de mouvements latéraux dans l’étude de la fluence motrice est que le facteur déterminant de ces mouvements, à savoir la dominance manuelle, constitue un cas de fluence motrice naturelle. En effet, le fait d’avoir une main dominante permet des interactions préférentielles avec son environnement, avec un renforcement tout au long de la vie de l’usage de ce membre dominant plutôt que l’autre. Comme on l’a vu plus haut, chaque main, et par extension chaque bras agit plus rapidement de son propre côté que de l’autre côté (Fisk & Goodale, 1985, voir aussi Elliott, Roy, Goodman, Carson, Chua & Maraj, 1993; Hodges, Lyons, Cockell, Reed & Elliott, 1997). Cette plus grande rapidité des mouvements ipsilatéraux des membres supérieurs laisse supposer une plus grande fluence que les mouvements controlatéraux, et peut faire présumer un marquage positif des mouvements latéraux fluents par rapport à des actions non-fluentes.

Enfin, il nous apparait important de souligner que les mouvements latéraux sont fréquemment utilisés dans des tâches expérimentales, notamment dans des tâches émotionnelles où les participants doivent presser deux touches situées à gauche et à droite. Au vu des associations et compatibilités entre latéralité et émotion présentés ci-dessus, on peut s’interroger sur l’effet des dispositifs de réponse latéralisés sur les performances dans les tâches émotionnelles.

L’ensemble de ces points renforce l’intérêt de l’étude des liens entre latéralité, fluence et évaluation. Nous allons désormais présenter les paradigmes expérimentaux et les résultats principaux obtenus dans les recherches existantes, autant par des mesures d’attitude que des mesures de temps de réponse.

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