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Systhme de parenté

Dans le document OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE (Page 52-57)

Chapitre IV

PARENTE

ET CONFLIT

52 F. HAGENBUCHER - SACRIPANTI

Chez les Bavili et les Bayombe du royaume de Loango, la parenté sur les deux lignées paternelle et maternelle s'exprime par le terme mbutana. Le mot tchijium:ba, qui est appliqué à un groupement plus restreint que le clan, composé par la parenté utérine proche d'Ego, correspond à la notion de lignage, mais peut aussi s'employer pour désigner le vaste groupement de plusieurs ethnies, ainsi que le montre un proverbe cité plus haut : (( mu Vili nguna, mu Teke nguna, tchijiumba kemosi ». Selon ce dicton, Bavili et Bateke seraient issus d'une même souche et formeraient un seul tchijium:ba ; ce terme signifie à la fois la famille originellement restreinte d'où seraient issus ces deux peuples, ainsi que la communauté, la famille au sens large, qu'ils constituent de ce fait aujourd'hui.

Le groupe de descendance utérine localisé en un lieu précis est appelé (( ngudi )) (mère) par V A N

WING. L'appellation Vili plus détaillée de tchivumu tchinguli ( 1 ) (ventre de la mère) désigne également ces lignées qui sont susceptibles de s'opposer et de se séparer à l'issue de rivalités politiques ou de conflits judiciaires. C'est ainsi que les deux branches Koncie et Nkliata du clan royal ont essaimé ju.sque chez les Bakugni en plusieurs sous-groupes qui sont devenus autant de clans différents dont les anciens revendi- quent encore aujourd'hui une origine royale.

Le clan Vili (1ikà:cia) est caractérisé par :

- un nom qui est celui de l'ancêtre divinisé (Nkisi si), auquel est ajouté soit le nom d'un autre Nkisi si apparenté (ex. : Lusun :ii i Nià :bi, clan de Diosso, désigné par les noms de deux Bakisi basi qui sont respectivement sœur et frère) soit celui du bosquet-sanctuaire (tchibila) où est pratiqué le culte de cet ancêtre. Aucune règle précise ne détermine les positions respectives des deux termes composant la dénomination du clan, au début ou à la fin de laquelle le nom du tchibila et celui du Nkisi si peuvent être indifféremment placés. L'appellation usuelle ne retient le plus souvent qu'un seul de ces deux noms : ainsi les clans Nk6 :go tchimpwatuj et Tchivutu Mani sont dénommés, dans la conversation courante, par les noms de leurs bibila respectifs : tchimpwatuj et tchivutu. Il n'est pas rare que le langage courant unifie deux clans en une seule appellation ; ainsi les clans de Diosso, Kaï Nkendjila et Silu tchilatayi :lu sont désignés sous le terme unique de Ka? i Silu ;

- une devise (ntzdulu) rappelée en toute circonstance solennelle ;

- un emblème (noila) animal ou, plus rarement végétal, qui fut adopté par un ancêtre lors d'un événement marquant par lequel un animal ou une plante intervint dans la vie du clan ou de l'un de ses membres. La relation rituelle existant entre les membres du 1iki:da et le nvila est caractérisée par un inter- dit alimentaire (tchi:na mukulia) dans lequel on ne peut voir une forme ou une séquelle de totemisme que si l'on définit ce terme avec RADCLIFFE-BROWN (2) dans son sens le plus large, comme (( la relation parti- culière existant entre chaque groupe de la société et une ou plusieurs classes d'objets, habituellement des espèces naturelles d'animaux ou de plantes ».

Des clans possédant le même nvila ne sont liés par aucune parenté (mbutana), mais entretiennent, particulièrement dans le Mayombe, des liens économiques et matrimoniaux préférentiels favorisant l'alliance (bundiku).

La parenté interclanique qui assemble deux clans, ou plus, en une unité exogamique, est principa- lement déterminée par la position et la proximité des terres dont la limite commune est marquée par un accident géographique (cours d'eau, baobab, colline). Cette parenté implique la préséance politique du clan dont l'ancêtre arriva le premier dans la contrée et distribua les terres environnant la sienne aux gens qui le suivaient. A Diosso, la source de Matombe, réputée pour la pureté de son eau et habitée par un Nkisi si féminin dont elle porte le nom, est située sur la terre du clan Niimbu tchikoko au fond du cirque

(1) En Vili : nguli (mère).

(2) Structure et fonction dans la société primitive. Les éditions de minuit. Paris, 1968.

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU R O Y A U M E DE L O A N G O 53

mphupi (les gorges de Diosso), vaste dépression à la végétation touffue, aux parois abruptes et de couleur ocre, en contrebas de la source de Mbunga (qui jaillit sur la terre du clan Lusun :zi i Niü:bi), où réside iin Nkisi si masculin du même nom.

Un conflit opposa les deux Bakisi basi après que Mbunga, arguant de sa position en surplomb qu'il envoyait son eau à Matombe »,eut réclamé des redevances à cette dernière. Matombe refusa de s'exécuter mais proposa, avant que 1'« affaire )) (1iÜ:bu) ne s'envenime, de régler ce litige par la création de liens de parenté (mbutana). Mbunga accepta et scella ainsi la réconciliation définitive

...

Ce récit, qui ne précise pas la manière dont furent créés et officialisés ces liens, constitue la trans- position mythologique d'une querelle qui mit les membres des deux clans aux prises, à une époque in- déterminée, et ne s'apaisa que par leur union dans le cadre de la parenté. Depuis cet événement, le sanctuaire de Matombe, bien que situé sur la terre de Nzimbu tchikoko, est desservi et entretenu par un tchinthomi choisi dans le clan Lusun:zi i Niü:bi. Les anciens évoquent parfois le prestige de Tchilumbu, jeune fille de ce clan, qui se rendait chaque jour à Matombe, munie d'une assiette de bois (lul6:ga lunti) remplie d'eau de pluie recueillie dans un creux de tronc d'arbre, dans laquelle elle trempait deux mb6:zi avant d'asperger les alentours de la source en suppliant le Nkisi si à haute voix : « Mphani ma:si ». Le débit de l'eau augmentait alors, tandis que les femmes remplissaient jarres et calebasses. Tchilumbu ne se maria jamais. Elle laissait sa case ouverte lors de chacune de ses unions avec un garçon du pays, choisi par elle, révélant ainsi la puissance de ses pouvoirs magiques qui la dissimulaient aux yeux de tous. Ces rapports étaient cependant suivis de violents malaises qui l'assaillaient pendant plusieurs jours. Lusun:zi et Niü:bi venaient alors chercher la jeune fille qui disparaissait pour un temps.

L'éclatement fréquent des clans et la dispersion des ligiiées sont principalement déterminés par l'inhérence de la sorcellerie (tchindotchi) à la parenté utérine, que révèlera particulièrement l'analyse de la contestation des structures claniques et de l'ordre politique par les sorciers ; la communauté méta- physique des membres du likü:da, qui participent de la même Force Vitale, oblige les sorciers à ne tuer

(( le plus souvent )) que dans les limites du clan. Les relations psychologiques des membres du clan sont illustrées par plusieurs proverbes rappelant également que toute société matrilinéaire porte au niveau des rapports individuels un germe de conflit dû à l'attachement d'un hom.me pour sa « famille » et sa lignée.

Susu uyitubila 'nuni, mu:tu lumonio uyitubila nkhasi ». « La poule ne donne vie qu'à un futur 'mari', l'être humain enfante un 'oncle' )) (l'enfant soutiendra son père et le protégera dans sa vieillesse, j o ~ ~ a n t ainsi le rôle de l'oncle maternel).

(( Tchvu :mba kukufumbula ; ta :ta tchivü:ga kukuvü:ga tchi:ka ». « La parenté utérine t'achève.

Seul le père géniteur te fait une place ».

Pour LAMAN, le cu.lte des ancêtres est une manifestation du pouvoir paternel (tchita:ta)(l), que le père est capable de déclencher contre ceux qui ne lui offrent pas les hommages et les dons qui lui sont dus

...

Quelle que soit la valeur de cette interprétation, elle montre bien, ainsi que nous avons pu le vérifier chez les Bavili et les Bayombe, que la sorcellerie peut aussi être pratiquée dans le cadre de la parenté enten- due au sens large (mbutdna). Notons que la plupart des informateurs ont précisé qu'il ne s'agit, dans ce cas, que d'une sorcellerie « secondaire )) et incertaine, n'autorisant une pleine efficacité que par l'utilisation d'un intermédiaire )) (2) appartenant au clan de la victime, et que les manipulations les plus importantes par lesquelles le sorcier entretient et augmente ses pouvoirs nécessitent la communauté d'appartenance clanique de ce dernier et de sa (( proie ».

Le règlement des prestations du mariage révèle la traditionnelle opposition entre clans preneurs et donneurs de femmes, permanente et quasi institutionnalisée par l'obligation relevant plus d'une poli-

-

(1)

...

désigné par l'auteur sous le terme Yombe kira:ta.

(2) Cf. chapitre relatif aux mati.

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tique de prudence que de que1qu.e « morale », dans laquelle se trou.ve tout homme de faire régulièrement des cadeaux aux membres les plus pu.issants de la famille de son épouse, afin de ne pas être ensorcelé par ceux-ci.

De n0mbreu.x chefs coutumiers, rom?us à la compréhension des intrigues matrimoniales exposées lors des débats de justice, affirment que des sorciers nuisent fréquemment à une femme de leur propre clan et à ses enfants afin de se venger de l'attitude d'indifférence et d'avarice que leur témoigne le mari de ce1 le-ci.

La direction dans laquelle s'exercent ces représailles (motivées, selon certains par 1'« envie », au service de laquelle œuvre la sorcellerie) reçoit de ces derniers trois sortes d'explications :

- les dimensions claniques de la notion de responsabilité, en fonction desquelles chaque membre, d'un 1ikü:da est susceptible de subir les représailles consécutives à la conduite'de l'un des siens ;

- la facilité de se livrer à la sorcellerie sur les membres de son propre lik5:da ;

- la nécessité de donner un avertissement à l'individu vilipendé, sans le mettre toutefois dans l'impossibilité physique ou psychique de s'acquitter, vis-à-vis du clan de son épouse, de devoirs écono- miques trop longtemps délaissés.

SINKHAKULA

SINKHAKA

MAYAYA Aya Aya

SINKHOMBA Nkhomba Nkhomba Nkhoinba Nkhomba

l

Nkhomba Nkhomba

I

Nnhal<a s I M A : M A

B A N A

BATEKULU

SIND;: DI

A:rna A:ma Mankhasi BATA:TA Mankhasi

Fic. 3. - Terminologie de parenté.

A.ta A:ma A:ta A:ta

La femme n'est cédée par les siens qu'au terme de préliminaires et de négociations se déroulant en plusieurs phases :

- Unk2talum :bu : entrée dans la concession (kuk2ta : .entrer ; lum :bu : concession). Porteurs de quelques cadeaux sous forme de boissons (vin de palme, rhum, vin rouge), le père, la mère et l'oncle

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maternel du prétendant, viennent en visite chez les parents de la jeune fille et formulent la demande en mariage. Aucune réponse ne leur est donnée ce jour-là.

- 'Mbula 'nkhungu (kubula : discuter ; 'nkhungu : discussion). Les parents du prétendant arrivent de bon matin, munis de vin et d'argent qu'ils offrent à leurs hôtes. La discussion s'amorce entre les deux partis qui détaillent respectivement leur généalogie, vantent l'origine et le prestige de leur clan. Aucune précision définitive n'est encore fournie par la famille de la jeune fille sur le montant de la dot.

- Tchiufu : la demande (kufula : demander). Cette demande, qui s'effectue lors d'une troisième visite concerne le montant de la dot (simb6:go simakwslaj et s'accompagne du versement d'une somme d'argent (simb6 :go sing6 :bo).

- Tchibüza : la permission. Le prétendant accompagne ses parents, lors de cette dernière visite protocolaire à l'issue de laquelle il pourra amener sa femme chez lui, avant même que ne soit termirlé le versement de la dot, mais la renverra chaque jour chez les siens pour lesquels elle continuera de travailler jusqu'à ce que ceux-ci aient perçu la totalité de ce qui leur est dû.

Le jour de l'entrée de la jeune femme dans la case de son mari, les parents de celle-ci apportect aux deux époux le tchiküdu, paquet composé d'une natte de raphia (tchitcfa), et d'une natte de papyrus (1wÜ:du) dans lesqurlles sont enveloppés :

- des morceaux de pâte de manioc (bingn~ele) ou des cossettes ('mbwembwele) ;

- susu ntcba : un poulet rôti accompagné d'une racine de manioc trempée, pelée, séchée au soleil (ntcba) qui sera mangé par le mari.

Ce paquet est accompagné d'un nombre variable de nithcti (1) mayaka (paniers de manioc). Chaque nthcti contient aussi un poulet et quelques poissons fumés.

La nkwü:ga, également nommée nzügoma, est une danse de joie (metchinu maci:zi) exécutée en la circonstance par les parents des deux nouveaux époux.

Ainsi que le remarque G. BALANDIER dans son étude des changements sociaux chez les Ba-Kongo, la dot, qui distingue l'épouse de la concubine et de la femme-esclave (qui est achetée), tend, malgré le développement de l'économie monétaire, à conserver son caractère de signe et non à apparaître comme le 'prix' de la femme cédée en mariage n. Elle est partagée par le nkhasi nkü:da (oncle maternel, chef du clan) entre les différents oncles maternels et le père de la mariée. La part de ce dernier est généralement très inférieure à celle d'un oncle maternel. La montée croissante du droit paternel est à l'origine de nom- breux conflits par lesquels s'affrontent le progressif avènement de la propriété individuelle et le caractère clanique de la circulation des biens.

Les divorces (divorcer : kuv6:da makwc:la : tuer le mariage) sont très fréquents. Si l'épouse est jugée dans son tort, le mari, soutenu par ceux de son clan, réclame le remboursement de la dot et du mon- tant des cadeaux qu'il fit à ses beaux-parents lors des naissances de ses enfants, des fêtes et des visites qu'il leur rendit depuis son mariage (kutüga libüda : compter les biens relatifs au mariage). Tout individu, astreint au remboursement d'une dot ou au paiement d'une amende (tchikügu) qui lui est infligée pour un méfait quelconque, doit remplir cette obligation afin de préserver le prestige de son clan (bunnene bukü:da).

Si ses moyens ni ceux de l'ensemble de son clan ne lui permettent d'en réunir le montant, il utilise son droit d'oncle maternel (nkhasi) en livrant à son créancier un esclave choisi parmi ses propres neveux uté- rins, le plus souvent une jeune fille. Cette dernière ne sera ni vendue, ni traitée par son maître comme une esclave de commerce (ndogo) étrangère et corvéable à merci, mais désignée sous le nom de 'nvika qui marque à la fois son état de dépendance et la considération à laquelle elle a droit, et sera estimée comme « le bien

(1) Le ntheti est un panier oblongue fabriqué avec des feuilles de palmier.

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le plus précieux » (tchik3ka tchikü:da) du clan auquel elle a été remise en gage. Si les parents de cette esclave ne peuvent s'acquitter du montant de leur dette (tchidcfu), celle-ci se marie dans le clan de ses pos- sesseurs qui bénéficient alors de la dot. De même que ses enfants pourront réclamer l'affranchissement (kulüduka fa tchioika : sortir de l'esclavage) en prouvant qu'ils ont été maltraités, ils seront libres de ne pas retourner auprès de leurs parents maternels si ces derniers désirent les racheter.

Les conflits qui surgissent à l'issue de discussions relatives au remboursement d'une dot ou au rachat d'un 'nvika donnent fréquemment lieu à des accusations de sorcellerie, surtout si l'un des membres des deux clans antagonistes tombe malade.

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