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Le devin ; contrôle des accusations, répression, thérapeutiques

Dans le document OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE (Page 108-114)

LES 27 CLANS PRIMORDIAUX DE DIOSSO

3. Le devin ; contrôle des accusations, répression, thérapeutiques

Les deux principaux singüga sont le ngâga kutesi et le ngüga rnbuka (3) ou guérisseur (le ngâga Nkisi est le guérisseur le plus important ; il soigne les maux envoyés par les Bakisi et les troubles, plus dangereux, occasionnés par les sorciers). Tous deux pratiquent la divination, à l'exclusion de toute géo- mancie, sous les deux seules formes existant chez les Ba-Kongo : l'interprétation des rêves et la voyance.

(1) Les bithomi des seuls Bakisi basi dont la réputation de puissance et le «rayon d'action » dépassent les limites d'une terre de clan ou d'une province, invoquent ces divinités à des fins de règlements de comptes et de répression.

(2) Kufesi mÜ:ga : rechercher les causes, enquêter.

(3) kubuka : soigner.

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Le ngüga kutesi (dont les techniques sont étudiées dans un autre chapitre) recherche la nature du mal, et s'il s'agit de sorcellerie, identifie le ndotchi coupable. 11 n'est pas guérisseur. Son rôle est cependant de première importance : décidant de l'origine de la maladie de celui qui le consulte, il détient pour une grande part le contrôle des accusations. En effet, selon ses dires, la maladie du consultant sera interprétée ( a ) comme la manifestation d'un Nkisi, ( 6 ) comme l'effet d'un maléfice de sorcellerie.

( a ) Le premier cas est jugé déterminé par l'une des deux éventualités énoncées précédemment : le viol d'un tabou ou un tort causé à un membre de l'entourage ; les troubles ressentis par le malade sont alors considérés comme la preuve de sa culpabilité et l'expression d'une ((justice immanente )) ; celui-ci, après avoir a?pris en rêve l'identité de l'individu qui a déclenché le Nkisi contre lui, ne peut répliquer par le même moyen sans s'attirer la colère des Bakisi, ni entamer de procédure judiciaire puisqu'il ne subit aux yeux de tous qu'un châtiment mérité. L'« affaire )) (1iÜ:bu) sera légalement close dès qu'une cérémonie expiatoire aura, comm- il convient, comyensé le viol de l'interdit, ou qu'un dédommagement (libumi) aura étO donné, s'il y a lieu, au promoteur du Nkisi. Toute vengeance ne pourra plus être, dès lors, que clandestinement satisfaite, par des pratiques de sorcellerie.

(b) Le second cas est le point de départ d'un double processus de règlement de comptes par voie de justicr et de sorcellerie, qui peut parfois s'étendre sur plusieurs générations. Livrant à son client I'iden- tité du présumé sorcier, le ngüga kutesi crie un ressentiment qu'il oriente vers qui bon lui semble.

La répression menée par l'administration judiciaire, qui tente de limiter le nombre des conflits en interdisant aux devins, sous peine de prison, de porter des accusations, n'a fait que repousser dans la clandestinité leurs lucratives activités. Un coup sérieux semble cependant avoir été porté à l'institution de la liboka, spectaculaire danse de divination qui ne peut être effectuée que publiquement (1).

- LP ngüga Nkisi (plur. singüga Sibakisi). Ainsi que le souligne A. BOUQUET (( la médecine tra- ditionnelle n'est pas le fruit de l'élaboration conceptuelle d'un individu, mais a été créée empiriquement au contact de la nature, au cours d'expériences individuelles qui se sont transmises d'une génération à l'autre )) ; elle utilise de nombreuses plantes possédant pour la plupart des vertus médicamenteuses et magiques, dont l'emploi dépend de l'origine imputée par le ngüga kutesi aux maux subis par le malade, qui ne sont que très rarement considérés comme naturels ou accidentels, surtout s'il s'agit d'un personnage important.

Sous le terme générique de ngüga mbuka, sont désignés tous ceux, hommes ou femmes, qui ont pour profession de soigner les troubles somatiques et les déséquilibres psycho-pathologiques (2). Le terme soigner (kubuka) qui est à prendre ici au sens large, revêt une signification proche de (( compenser )) et contient l'idée du rétablissemant d'un équilibre : en effet, le ngüga liboka, qui a pour mission de dépister les sorciers coupables des méfaits les plus graves, est considéré comme un ngüga mbuka, et se livre toujours aux manipulations d'un Nkisi (le plus souvent du Nkisi Mbumba) parallèlement à l'activité purement divinatrice de la liboka.

Le ngüga Nkisi est un guérisseur qui allie à ses combinaisons pharmaceutiques des relations mys- tiques avec une puissance spirituelle immanente à la nature, que la connaissance et la manipulation de certains éléments permettent à l'homme d'appréhender

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A. BOUQUET a remarqué, au cours de son passage en pays Vili et Yombe, une nette baisse des connaissances traditionnelles en matière de pharmacopée, due en grande partie au nombre très restreint de jeunes gens intéressés par l'apprentissage de ces méthodes ancestrales : l'attrait de débouchés professionnels mieux rémunérés ainsi que les contre-parties exigées par les vieux devins avant de transmettre leurs secrets (ces exigences manifestent autant le désir de valoriser

-(1) Le Ngiga liboka, Vili le plus connu, originaire de Mpili, a récemment fini de purger une peine de quelques années d'emprisonnement.

(2) Avec ou sans intervention de Nkisi

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU R O Y A U M E DE L O A N G O 109

la connaissance transmise que l'intention d'obtenir un profit), sont les causes principales de cette désaffec- tion. On pourrait croire que l'action de tous ces traitements, fruits d'une riche et patiente élaboration, est soumise au hasard de la voyance du ngiga kutesi qui dirige à son gré le malade vers tel ou tel devin, par simple divination, et douter ainsi de l'efficacité qui leur a été reconnue dans de nombreux domaines.

Mais l'efficience du guérisseur est préservée par plusieurs facteurs :

( a ) les composants des méthodes thérapeutiques adaptées aux effets de chaque Nkisi subissent de fréquentes modifications improvisées, tant dans le choix qui en est fait que dans leur agencement et leur préparation, en conservant toute leur efficacité.

(6) Certaines maladies régnant à l'état endémique, comme les rhumatismes et les infections pul- monaires, relèvent de plusieurs Bakisi et peuvent donc être soignées par des singiga aux spécialisations apparemment différentes. En effet, plusieurs Bakisi, en dépit de leurs caracteristiques spécifiques, sont censés envoyer aux humains des maux similaires.

(c) L'intensité des douleurs ressenties par le malade est également prise en considération par le ngiga kutesi : il existe une parenté (frère-sœur ou mari-femme) entre des Bakisi dont l'action est identique mais varie par l'ampleur des symptômes (comme vu précédemment : Bun :zi et Ngoyo), l'action du Nkisi masculin étant considérée comme plus virulente que celle du Nkisi féminin.

Cet élément de personnification des Bakisi procède d'une méthode de classement des maladies qu'il ne serait possible de connaître que par une répertoration et une description de tous les Bakisi, tâche rendue aujourd'hui particulièrement difficile sur la façade maritime du Congo, ou la tradition subit les attaques d'innovations religieuses à caractère synchrétique et messianique, qui imposent de nouvelles techniques curatives et jettent l'anathème sur toutes les méthodes traditionnelles.

Les considérations magiques, politiques et financières dont dépend la préférence donnée par le ngiga kutesi à tel ou tel ngiga Nkisi susceptible de soigner son client, ne nuisent donc pas définitivement aux vertus proprement médicales de la pharmacologie traditionnelle.

Les souffrances occasionnées par les Bakisi peuvent être ressenties a un paroxisme (correspondant à un certain stade de l'évolution de la maladie) qui nécessite l'entrée du malade (homme ou femme) en tchikumbi, la pratique des rites d'initiation féminine et l'observance des interdits qui s'y rattachent

...

L'évidence des rapports liant féminité et magie fait écrire à A. DOUTRELOUX la magie est naturelle à la .femme. Les hommes participent à ce mystère, les femmes sont ce mystère par toute leur personne D.

L'auteur ajoute « la femme plus encore qu'une magicienne est souvent une sorcière pour l'homme

...

». Ce lien apparaît à divers niveaux des manipulations de la magie et de la sorcellerie :

- le sorcier ne disposant pas de victime avec le sang de laquelle il puisse nourrir ses mati (auxi- liaires vivants et invisibles), alimente ceux-ci avec du sang menstruel ou du sang écoulé pendant un accouche- ment ;

- les singiga sibakisi ma:si sont en très forte majorité des femmes. Le ngiga Nkisi n'est jamais assisté par des hommes, mais par des femmes ayant été précédemment possédées par le Nkisi ;

- les sorcières sont toujours considérées comme plus voraces et plus dangereuses que les sorciers.

Ainsi ont-elles la réputation de ne pas hésiter à « manger )) leurs propres enfants ;

- le principe même de la féminité tombant sur la verge de l'enfant sous les apparences du lait maternel, oblige la mère à lécher le sexe de son fils de peur qu'il ne soit plus tard impuissant.

Ce stage de tchikumbi, qui correspond à la mort et à la résurrection spirituelle du coupable/malade, dure jusqu'à ce que celui-ci reçoive du Nkisi un rêve explicatif lui apprenant l'origine de son mal tout en lui en signifiant la fin prochaine.

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MIL3KO

Manipulations TROUBLES

PHYSIOLOGIûUES

1

d'un ~nrérdit sexuel

1

NGAGA

Aiitomatisme KUTESI

cllent

TCHlKUMBl

ddclenchement action magique O'EPREUVE

---+ enchainement social des mécanismes thérapeutiques et judicoaires

son1 les deux sortes de processus FIG. 5. - Eléments du processus agression

-

qui dépendent du ngZga kutesi thérapeutique - répression.

Le rêve par lequel se termine cette initiation rend valides les thérapeutiques et la réintégration sociale de l'individu auquel il donne non seulement la connaissance des causes de sa maladie, mais encore la révélation des caractéristiques du Nkisi qui est en lui et le possède ».

Le passage en tchikumbi constitue donc non seulement une guérison physiologique et une renais- sance sociale, mais encore une initiation magique du convalescent qui deviendra ngiga du Nkisi qui l'a affecté, s'il le désire et surtout si le Nkisi le lui ordonne dans un rêve.

Tous les devins versés dans l'art de déclencher un Nkisi, fréquentés et interrogés au cours de cette enquête, insistèrent sur leur rôle de guérisseur, et dissimulèrent du mieux qu'ils purent les détails relatifs au mil2ko. Certains d'entre eux n'hésitèrent pas a revendiquer une action strictement thérapeutique (1).

C'est essentiellement par prudence que les devins répugnent à révéler leur pouvoir de nuire à leur prochain.

En effet, bien que justifié par la culpabilité de celui contre lequel il est effectué, le mibko éveille contre le ngiga Nkisi la rancune et la malveillance du clan de sa victime.

En raison des réticences exposées ci-dessus, nous n'avons pu observer ni décrire toutes les méthodes de mil2ko utilisées pour déclencher l'action punitive du Nkisi, bien que les modalités gestuelles et les va- riantes en soient peu nombreuses. La forme la plus commune est le kubi:da mii:da, qui s'effectue en se- couant une calebasse remplie de graines (makundi mafingu) servant à (( actionner » le Nkisi, ou en f ~ a p p a n t des coups répétés sur le tchikalu, à l'aide de plantes, ou encore en enfonçant des pointes dans une repré- sentation sculptée du Nkisi. Ce faisant, le ngiga psalmodie les arguments invoqués par son client pour justifier cette action.

(1) Cette affirmation semblerait paradoxale, voire contradictoire, si un malade ne pouvait être soigné et guéri que le n g a a ayant préalablement déclenché le Nkisi contre lui. Il peut en fait être soigné par n'importe quel devin consacré B ce Nkisi.

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU ROYAUME DE LOANCO 111

Un ngàga Nkisi est obligé de respecter les interdits imposés par tous les Bakisi :

- II ne peut toucher, ouvrir et utiliser son tchikalu (ensemble des ingrédients végétaux et minéraux utilisés pendant les manipulations incantatoires) que pendant les premier et troisième jours de la semaine(]) en vigueur en pays Vili et Yombe : nduka et nsi:lu.

- Les femmes doivent se tenir à distance de leur tchikalu pendant les périodes menstruelles et les semaines qui suivent un accouchement.

En dépit de ces limitations de temps, les singàga Sibakisi ne manquent jamais de clients et jouissent d'une prospérité matérielle supérieure à la moyenne. En effet l'invocation des Bakisi met en circulation des biens d'échanges et de prestige dont nous avons déjà souligné le double usage commercial et rituel : nattes, calebasses, tissus, machettes, ainsi que du vin de palme, des noix de kola et diverses plantes cons- tituent le mb6do ; ce don fait au ngiga, sans lequel aucune manipulation ne peut être effectuée, est également un présent offert au Nkisi ; c'est pourquoi LAMAN, qui ne retient que cette dernière signification, traduit le mot mbodo par (( cadeau fait au Nkisi B.

L'exorcisme s'achève sur une autre offrande dénommée bisà:bu i bia:na, dont le montant plus élevé que celui du mbodo, constitue le véritable paiement (nsaku) du devin tout en conservant le caractère rituel d'une ultime prière adressée au Nkisi.

(1) Cette semaine est composée de quatre jours : nduka, nt2 :no, nsi :lu, ns2 :na.

Chapitre I X

INVOCATIONS DES PRINCIPAUX BAKISI

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THÉRAPEUTIQUES MAGIQUES

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