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Modalités de l'esprit

Dans le document OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE (Page 57-62)

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le plus précieux » (tchik3ka tchikü:da) du clan auquel elle a été remise en gage. Si les parents de cette esclave ne peuvent s'acquitter du montant de leur dette (tchidcfu), celle-ci se marie dans le clan de ses pos- sesseurs qui bénéficient alors de la dot. De même que ses enfants pourront réclamer l'affranchissement (kulüduka fa tchioika : sortir de l'esclavage) en prouvant qu'ils ont été maltraités, ils seront libres de ne pas retourner auprès de leurs parents maternels si ces derniers désirent les racheter.

Les conflits qui surgissent à l'issue de discussions relatives au remboursement d'une dot ou au rachat d'un 'nvika donnent fréquemment lieu à des accusations de sorcellerie, surtout si l'un des membres des deux clans antagonistes tombe malade.

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dans le ni:mbi par le double invisible (mbisi rnu:tu : traduisible par chair humaine) de la personne physique.

Celui-ci, porteur de I'esprit (nkulu) possédé par l'Homme, peut-être séparé du corps après la mort (lufhva).

La puissance du sorcier (ndotchi) réside dans sa capacité de se (( dédoubler » pour tuer invisiblement son prochain et manger dans le ni:mbi le mbisi mu:tu du mort, extrait d u cadavre par de mystérieux et savants procédés.

La question s'est longtemps posée de savoir si le mbisi mu :tu n'était pas la substance même de I'esprit, au lieu d'en être le siège dans l'Invisible ; en effet la fréquente et inexacte identification du nkulu (esprit d'un mort) au mbisi mu :tu ou chair invisible dont se nourrit le sorcier dans une anthropophagie toute spirituelle, est illustrée par l'expression « manger l'âme » de quelqu'un, qui suggère clairement l'asi- milation de l'âme ou double invisible de l'Homme. La description des activités de sorcellerie livre deux facteurs de distinction entre l'esprit et le double invisible :

- par l'une de ses nombreuses manœuvres de transsubstantiation, le ndotchi peut incarner le mbisi mu :tu de sa victime dans un objet (brindille, perle) et le montrer à l'entourage sous cette forme anodine ;

- la dissection d u mbisi mu:tu à laquelle se livre le sorcier dans le ni:mbi, afin de se nourrir et de s'octroyer des pouvoirs occultes, privilégie la tête comme siège de I'esprit ( 1 ) .

Les causes et le: péripéties essentielles de l'Aventure Humaine sont d'ordre spirituel et ne peuvent être appréhendées que par une définition de la notion d'esprit, dotée de différentes dénominations suivant ses modes d'incarnation, ses attributions, ses lieux de résidence, les intentions qui l'animent, les pouvoirs magiques qui accroissent sa puissance ...

Habitant une personne vivante, le tcki1un:zi représente I'esprit dépourvu de toute équivoque malé- fique, ignorant des pratiques d e sorcellerie ; ce terme éminent est surtout e m ~ l o y é pour désigner I'incarna- tion physique d e I'esprit tout entier consacré à Nzü:mbi et aux Bakisi bas;.

Le nkulu, terme générique chargé de significations troublantes, désigne I'esprit après la mort dans ses rapports directs, permanents, avec l'au-delà, l'invisible. Les Bakulu font partie intégrante du likü :da.

C e sont les défunts qui continuent a vivre invisiblement en formant une véritable société. Ils résident en un lieu qui leur est réservé : le tchibun :gu, dont i l n'existe aucune matérialisation symbolique, mais dont toutes les descriptions font état d'une enceinte hermétiquement fermée voire barricadée, et gardée par le Fumu nka :da afin d'empêcher toute incursion d'un ndotchi (sorcier) étranger parmi les ancêtres du clan.

En cet endroit, résident aussi, parfois, les bakulu des personnes extérieures a u clan, tuées a u cours de luttes antérieures par le Fumu nka :da, et dont ce dernier a capturé l'esprit. Cependant les bakulu étrangers sont, le plus souvent, emprisonnés par le sorcier dans une « maison invisible » (mphindi), spécialement accom- modée à cet usage et où sont aussi entreposés divers accessoires de sorcellerie.

VAN WING considère le nkulu comme « l'habitant du village des ancêtres », c'est-à-dire I'esprit évadé dans I'au-delà après la mort physique, mais toujours inclus dans la vie sociale du clan. Cette défini- tion d u lieu de résidence des esprits des morts est adéquate aux conceptions des Bavili, dans la mesure où elle tient compte de l'intense animation qui règne dans le tchibun :gu où s'activent les bakulu qui y exercent les occupations qu'ils avaient dans le monde physique (mu :ni), travaillent, dansent, s'amusent, s'aiment ou se haïssent

...

Les limites restreintes qu'elle implique ne cadrent cependant pas avec les dimensions du tchibun :gu o ù les bakulu jouissent, sans en sortir, d'un espace considérable - correspondant selon de nombreux avis à la superficie des terres du clan - se livrent à la pêche, à la chasse, a u recueil d u vin de

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(1) Cf. création des mari.

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palme et à d'autres activités dont les produits sont souvent pris par le ndotchi Fumu nkü :da au cours de certaines de ses visites, et transportés par lui dans le mu :ni. Aucun culte organisé n'est rendu aux bakulu, avec lesquels les humains n'ont de rapports que par des moyens de sorcellerie. On ne peut parler d'un culte des ancêtres chez les Bavili et les Bayombe qu'en référence aux Bakisi basi.

Le nkulu se réincarne parfois dans d'autres corps. I I peut s'éloigner à de grandes distances pour remplir une fonction procréatrice : c'est ainsi que s'est répandue, parmi les Bavili, la croyance selon laquelle certains bakulu vont féconder des femmes en France. En effet, ces derniers se manifestent également dans le monde physique sous des a?parences animales ou humaines. Entendant le cri du ndoji (l), le marcheur isolé se sait guetté par u.n nkulu, scrute anxieusement les arbres qui l'entourent et hâte le pas.

1. L'esprit spécifiquemrnt tourné vers le mal est désigné sous le nom de linthengo. La rencontre la plus redoutée est cependant celle d'un tchinium:ba ou « revenant », esprit d'un mort ayant provisoire- ment repris son corps physique d'antan, et revenu parmi les vivants pour entraîner 1'u.n d'eux dans l'au- dela et le dévorer. Les binium:ba sont les réincarnations d'esprits damnés pour leurs méfaits, ex.clus de leurs clans et séjournant en un lieu maudit appelé ~vüda ma:si, gerdé et commandé par u.n esprit maléfique nommé mambumbul~ :Io (malfaiteur, criminel), reprisentation du mal (mbi) directement issue de l'enseigne- ment missionnaire. On affirme aussi, couramment, que wüda ma:si est, non pas gouverné par le diable (mambumbul~ :Io), mais habité indistinctement par tous les rnambumbul~ :Io (criminels).

Wüda ma :si signifie « l'eau qui emporte », l'aval ; ce fleuve maudit délimite un domaine du ni :mbi comparable au Styx de la mythologie grecque ou au trou du Palatin, fermé par une lourde pierre, qui cons- tituait pour les Romains le seul passage vers le monde infernal.

Afin de ne pas être reconnu par ceux qui le fréquentèrent de son vivant, le tchinium :bu, qui est aussi appelé litembo, tend ses traquenards en des lieux éloignés de la région oii il vécut lorsqu'il était une per- sonne vivante (mu :tu lumonio). La seule caractéristique susceptible de le trahir auprès de gens ne l'ayant pas connu de son vivant, est d'ordre culinaire : à la différence des humains il se nourrit exclusivement de noix de kola et d'insectes ; il apprécie particulièrement les araignées, les blattes ou « cafards » et autres insectes nocturnes orthoptères. Nombreux sont les récits d'aventures personnelles qui nous furent contés par des individus affirmant avoir rencontré, au détour d'une piste, une personne morte et enterrée depuis plusieurs années. Un mythe relatant la lutte que menèrent les enfants de Nzü :mbi contre les binium :ba s'avère particulièrement explicite : « Nz3 :mbi l'éternel eut deux enfants : une fille nommée Tchitula (2) Tchinzü :mbi et un garçon, Mavungu TchinzG :r>tbi.

Tchitula était belle et désirée par de nombreux prétendants qu'elle repoussait avec hauteur, refusant, malgré les exhortations de son père, d'arrêter son choix sur l'un d'entre eux. Elle reçut un jour la visite d'un jeune homme gai et séduisant, qui se ~ r é s e n t a sous le nom de Fwenbila:na, mais n'était autre qu'un tchinium :bu, impatient d'enlever et d'entraîner une femme dans le repaire des damnés. Ignorante du dan- ger qu'elle courait, Tchitula se laissa éblouir par le charme du nouveau venu. Alors qu'elle s'avançait, souriante, vers ce dernier, elle entendit par trois fois le cri d'un coq qui l'avertissait : « bayi1i~:la )>,«atten- tion »... La jeune fille n'en tint pas compte et annonça le j0u.r même à son divin père, son désir d'épouser

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(1) Qiseau non identifié.

(2) Selon d'autres versions de ce mythe, il s'agit de la fille « d'un grand personnage » nommée Tchirula u müga @:ri.

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l'étranger. Inquiet et envahi par un sombre pressentiment, Mavungu fit part de ses craintes à Nzi :mbi, auquel il demanda d'interdire cette union. Tchirula sut cependant se montrer si persuasive qu'elle reçut l'accord de son père et que le mariage eut lieu peu de jours après la première rencontre. Au soir de la céré- monie, avant de se cou.cher, les nouveaux époux se firent apporter des mets appétissants auxquels Fwenbila:

na refusa de goûter. Un mom:nt après, la jeune femme vit avec stupéfaction son mari saisir furtivement sur le sol et croquer si~,ccessivement une grosse araignée et un cancrelat. A ses questions angoissées, le rchi- nium:ba répondit qu'il ne fai~ait que manger quelques miettes de noix de kola. Le lendemain matin, Fwembi1a:na décida, en dépit de l'opposition de son beau-frère, d'emmener sa femme dans son pays.

Les nouveaux mariés partirent donc, escortés de nombreux gardes et porteurs. Après plusieurs heures de marche, Tchitula, qui avançait en tête, précédée de son mari, sentit soudain peser un su.rprenant silence et réalisa que les rires et les chants des porteurs avaient cessé. Regardant en arrière elle s'aperçut que les membres de la caravane avaient disparu. Fwenbi1a:na calma l'anxiété de sa femme en lui assurant que I'e~corte avait pris u.n peu de retard en effectu.ant u.ne pau.se, m.ais qu'il n'y avait rien là que de très normal.

Ils continuèrent donc tous deux leur marche. Quelques instants plus tard, Tchitula constata, stupéfaite, que le chapeau (mphu), le pagne ( n l ~ l i ) et les :andales (biliararufi) en peau d'antilope de son compagnon avaient disparu, que celui-ci demeurait nu et poursuivait imperturbablement sa marche, sourd au.x questions qu'elle lui posait. La stupeur fit place à l'angoisse lorsque Tchirula vit disparaître successivement un bras et une jambe de son mari dont ne subsistait plus qu.'u.ne forme incomplète et irréelle

...

Continuant à marcher, la jeune femme réalisa enfin la gravité de son impru.dence et le bien fondé des réticences de son frère devant sa subite passion pour l'étranger

...

Après u.ne longue route au cours de laquelle Tchirula vit échouer toutes ses tentatives de fuite, ils arrivèrent devant un large fleuve. En pleurant, elle demanda à son ravisseur où ce1u.i-ci l'emmenait ; i l lui répondit que leur destination était wida ma:si, où elle devrait dé- dormais habiter. A cette nouvelle Tchitula sut qu'elle était perdue, ferma les yeux

...

et ne sut jamais com- bien de temps s'était écoulé jusqu'au moment où, se sentant ballotée et aspergée d'eau elle regarda autour d'elle et vit qu'elle se trouvait dans une demi-calebasse, au milieu du fleuve dont les vagues 1u.i apparais- saient à présent monstru.euses. Debout devant elle, dans cette mystérieu.se embarcation, le rchinium:ba glapissait une étrange mélopée tout en pagayant, hau.ssant la voix et hurlant les qu.atre dernières syllabes de son refrain au terme de chaque poussée dans l'eau. Le rythme de son chant s'accélérait avec la cadence de son mouvement : « Mu tchiben :ga rchimbin :da pa

...

pakelika, mu rchiben :ga tchimbin :da pa ... pakelika )).

« Ce tesson de calebasse nous balance

...

». A mesure qu'ils a?prochaient de la rive opposée, encore dissi- mulée par un épais brouillard, Tchirula percevait plus distinctement un grand m.u.rmure de foule d'où perçaient quelques éclats de rire, des appels, des ricanements. Ils abordèrent enfin, accueillis par u.ne longue clameur. La jeune fille fut happée, portée, tâtée par d'innombrables mains, ligottée et allongée, jambes repliées, dans u.n « nk3ko 'nri » (tambour taillé dans un tronc d'arbre) su.r 1equ.el un batteur se mit à frapper avec entrain pour annoncer à tous les binium :ba l'intéressante capture, tandis que la multitude dansait de joie. Bien loin de là, les réflexions de Mavungu sur le brusque départ de sa sœur lui firent soup- çonner le danger qu'elle courait. Il se décida à tenter une ultime manœuvre pour sauver l'imprudente : utilisant ses pouvoirs magiques, il planta un arbre qu.i poussa en une nuit, dont les branches grandirent et s'allongèrent jusqu'à wida ma :si. Le jeune homme ordonna aux siens de danser la liboka (danse habituelle- ment effectuée pour découvrir l'auteur d'un ensorcellement) sans s'intei-rompre, jusqu'à son retour. Puis, ayant attaché sous un bras son nkhobi (petit sac contenant des bil6go (1)) et accroché à son cou. une gourde remplie de vin de palme mélangé à du chanvre, il grimpa dans l'arbre et courut le long des branches, en direction du pays des damnés. Il parvint jusqu'au rassemblement des binium :ba auxquels il affirma être l'un des leurs ; ceux-ci méfiants, le mirent à l'épreuve en lui ordonnant de battre le tambour dans lequel

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(1) Les bilogo, ou ((médicaments », sont des ingrédients d'origine animale, végétale ou minérale qui servent aux manipulations magiques.

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était enfermée Tchitula.. Mavungu, qui connaissait les rythmes favoris des binium :bu, commença de frapper sur le nk3ko 'nti en chantant sur un train endiablé :

(( Tindi zuda zuda ... zuda mphukuta nkisi mamü :di nkisi ))

(( Tindi zuda zuda

...

zuda Le (( doyen )) est un nkisi

.

la mère est un nkisi (1) D.

Rassurés et joyeux, les damnés s'étaient remis à danser, tandis que les femmes partaient cueillir des bananes et récolter du manioc afin de préparer le repas dont Tchitula allait bientôt constituer le mets le plus délicat. Profitant du tumulte, Mavungu, penché sur le tambour, parla à sa sœur et la rassura, lui an- nonçant qu'il la protégeait. Puis le fils de NzZ:mbi faisant circuler sa gourde à la ronde, laissa les danseurs se griser. Attendant l'effet de la boisson, il recommença de battre frénétiquement le tambour en chantant à l'égard de sa sœur :

« Tchitula umüga ni:zi, abu wakwenda mu w5da masi muka bambumlul3 :Io >>

« Tchitula, toi qui refusas le bonheur, te voilà emportée par le courant, là où sont les malfaiteurs )) ...

Refrain repris par la foule dont la danse s'accélérait furieusement.

Grâce à ses bilogo, Mavungu s'introduisit dans le nk3ko 'nti, tout en donnant l'illusion aux danseurs qu'il continuait de jouer du tambour devant eux ; il plaça sa sœur dans le nkhobi et disparut avec elle.

Ivres de nsümba et de chanvre, les binium:ba dansèrent jusqu'au matin. Constatant la disparition de Mavungu et de Tchitula, les habitants de wüda masi, affamés et furieux, en attribuèrent la responsabilité à Fwembila :na, se jetèrent sur lui et le dévorèrent. Le conteur ajoute que Tchitula épousa quelques temps plus tard un prétendant choisi par sa famille n.

2. Moins dangereux que le tchinium:ba, le nlibi, est un esprit sans maître, perpétuellement errant, et apparaît surtout de nuit. Grande silhouette décharnée, aux longues jambes, à la chevelure et aux ongles interminables, le nlibi s'assied et se chauffe silencieusement au feu du chasseur endormi. S'éveillant subite- ment et apercevant la fantastique apparition, celui-ci ne doit pas céder à l'épouvante ; suivant le conseil qu'il reçut maintes fois des chasseurs les plus expérimentés, il saisit une pierre chaude du foyer, ou à défaut un tison (jugé cependant moins efficace que la pierre) qu'il jette au monstre. Le nlibi happe le projectile et s'enfuit aussitôt. Ses pleurs se font alors longuement entendre dans la forêt avant de s'éteindre dans le lointain. Si l'eau qui suinte de ses cheveux toujours mouillés tombe sur un humain, ce dernier gardera, durant toute sa vie, l'odeur du nlibi.

Dans les trois derniers chapitres (2) de cette première partie de notre étude, nous décrirons le sys- tème politique du Loango en localisant les sources de conflit ainsi que les antagonismes permanents,

« statiques » (clan royal détenteur de la terre) et « dynamiques )) (course au pouvoir pendant l'interrègne) desquels procèdent la dialectique de la course au pouvoir et

...

l'originalité des institutions du royaume.

(1) Traduction incertaine.

(2) Chapitres V, VI, VII.

Chapitre V

DIVISION DU POUVOIR POLITIQUE

Nous avons vu précédemment que le culte des Bakisi basi détermine une nette bipartition sociale.

L'originalité et l'équilibre du royaume de Loango procèdent en effet de la coexistence de deux courants de forces opposées.

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