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Les jumeaux (biba :sa) envoyés des Bakisi basi

Dans le document OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE (Page 48-52)

Leur naissance est considérée comme une manifestation essentielle des Bakisi basi.

La connexion permanente entre l'eau et la fécondité humaine apparaît directement liée au rapport

(1) Autre prononciation du mot fchinfhorni (prêtre).

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de cet élément avec les Bakisi basi. C'est en effet par un contact avec l'eau, lors d'une baignade, d'une pêche ou de la traversée d'un marigot, qu'un homme ou une femme reçoit, à son insu, d'un Nkisi si, le pouvoir d'engendrer des jumeaux (biba:sa). Aussi, les parents s'efforcent-ils, à l'issue de cette double naissance,de se remémorer les circonstances susceptibles d'avoir déterminé cet événement.

Les jumeaux, dont le premier né est considéré comme le plus jeune, doivent venir au monde sur des nattes. Ce sont des cc envoyés des génies )), à la durée de vie incertaine, dont la mort fait dire qu'cc ils sont repartis vers leurs vrais parents, les Bakisi basi n, des visiteurs de passage qu'il faut honorer et dont il importe d'affermir et de prolonger le séjour parmi les humains. C'est dans ce but que peu de temps après l'apparition des jumeaux, les parents en ligne paternelle et maternelle se réunissent pour danser la tchiü:ga, festivité à laquelle sont conviés les autres ((enfants )) des Bakisi basi que sont les biba:sa, mizinga, misafu, bisunda et futi (ce dernier nom désignant le premier né après des jumeaux) des environs.

Un individu, homme ou femme, qui est lui-même tchiba :sa (jumeau) ou futi et porte en cette occa- sion le titre de nguli ba:sa (1) dirige la cérémonie aux participants de laquelle le père desnouveaux-nés fournit du vin de palme, de la noix de kola et du nlodo (cf. annexe Botanique). II joue le rôle d'un témoin délégué par les Bakisi basi pour veiller sur les jumeaux et assistera, dans l'avenir, à toutes les cérémonies à caractère politique et religieux, matrimonial et mortuaire concernant ces derniers ; i l marque avec de l'ocre et du kaolin les personnes participant à la tchiü:ga tchibiba:sa, de deux points de couleur près du lobe de chaque oreille. Puis il donne ces deux argiles à la mère génitrice des jumeaux, mélangées à quelques produits végétaux contenus dans un liba :sa, petit paquet d'ingrédients ou « médicaments )) (bilogo) aux vertus pharmaceutiques et magiques, enveloppés dans un morceau d'étoffe et destinés à protéger les deux enfants. Si ces derniers sont de sexe masculin, leur père donne deux coqs au nguli ba:sa ; dans le cas contraire, il lui fait don de deux poules.

Un parent de chaque lignée prend successivement chacun des bébés dans ses bras, le presse sur sa poitrine, le palpe et lui transmet ainsi un (< buti D, pouvoir occulte décuplant l'efficacité de son propriétaire dans certains domaines d'activité : déplacements, art de la parole, acquisition de richesse, etc.

Bien que se déroulant de nuit, la scène n'est éclairée que par quelques flambeaux de résine (mwinda mphaka), à l'exclusion de tout feu de bois. Avançant en une file sinueuse et entourant la mère des jumeaux qui, assise sur une natte, tient ses enfants dans les bras, les femmes chantent et dansent en retroussant leur pagne. Alternant les déhanchements et les battements de mains, elles s'arrêtent de temps à autre devant les nouveau-nés pour remonter plus haut leur pagne et faire mine d'exhiber leurs attributs sexuels, remuant d'avant en arrière dans de brusques saccades.

Chaque refrain est répété à plusieurs reprises

cc Nzinguebula ng6 :di ntchia :ma... » c( L'arc-en-ciel rampe autour de la lune

...

».

Le météore au sept couleurs, représenté par la file des danseuses, semble entourer la lune pour la protéger, incarnée en l'occurrence par les Biba:sa.

(c Ma :me yab6 :ga liü :bu, mphüdika bis6 :bu i bia :na »

cc Oh ! ma mere ! il m'est arrivé une lourde affaire. Donne-moi le lis5 :bu i bia :na ».

La venue des jumeaux, enfants difficiles à maintenir en vie et à élever, est un événement exceptionnel qui constitue à la fois une responsabilité et une charge pour la mère au nom de laquelle s'expriment les chanteuses en désignant cette naissance sous le nom de 1iÜ:bu ; ce terme, traduisible par les substantifs

« affaire » ou « histoire » et particulièrement employé dans le vocabulaire judiciaire, désigne aussi une

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(1) Nom désignant conjointement la mère génitrice et la mère rituelle des jumeaux.

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU ROYAUME DE LOANGO 49

charge ou une difficulté survenue soudainement. Le bisü:bu i bia:na, aujourd'hui le plus souvent constitué par une somme d'argent, est le prix donné à tout individu sollicité pour entrer en communication avec des Bakisi basi et les Bakisi, par une danse ou diverses méthodes d'invocation. II est offert avec des noix de kola, du nlôdo et du vin de palme. Les chanteuses qui réclament ainsi implicitement leur paiement au clan des jumeaux, répondent moins à un quelconque appas du gain qu'à la nécessité de valoriser la tchiü:ga, l'invocation des Bakisi basi, et, par là-même, d'honorer ces derniers.

Nguli bu :sa bemphapa, moni watchi umphedü :ga undofuli :ga, Tchikdo tchinene tchinguli bu :sa 'nsu :ru ura :ta bu :sa unene P.

(( Les mères des jumeaux sont nombreuses ; tu lèches et tu caresses avec insistance la sentinelle, la sentinelle de la vie, Le clitoris de la mère des jumeaux est très gros. La verge du père des jumeaux est très grosse )).

La fécondité des parents des jumeaux est exaltée par une description imagée de leurs organes sexuels.

Le clitoris (tchikolo) est nommé sentinelle de la vie (moni watchi).

Wayama ne :no, kanuku nü :di yi vuata n l ~ l e ( i ) ;

Mwe ne :no, wayama ne :no, e ne :no 'mboti i ke simb6 :go D.

(( Mon vagin est un trésor, sans lui je ne peux me vêtir ;

Seigneur vagin, mon précieux ami le vagin est un bon vagin qui me rapporte de l'argent D.

La naissance des jumeaux est non seulement la marque de la fécondité sexuelle, mais l'annonce d'une prochaine prospérité économique dont bénéficiera tout le clan, car ceux-ci envoient à leurs parents des rêves dans lesquels ils leur dévoilent les plus sûrs moyens de s'enrichir. L'importance et la valeur du vagin (ne:no) dans lequel ont été conçus les jumeaux, soulignées par l'adjonction de la particule honori- fique mwe, sont particulièrement exprimées par le mot wayama (trésor objet ou être précieux), dont la répétition a permis de livrer ces deux traductions complémentaires qui en restituent tout le sens.

Le premier terme de cette célébration de la sexualité féminine constitue un rappel de la répartition des tâches entre les époux et de leur complémentarité économique couramment exprimées par le proverbe suivant :

Mphena fwa yi libakala, nza :la fwa yi ntchi~ :to ))

(( L'homme évite A sa femme d'être nue, cette dernière évite a son mari de souffrir de la faim )).

La dernière phrase (wayama ne:no, e ne:no 'mboti i ke simb6:go) évoque spécifiquement la richesse attirée par les jumeaux sur leur clan.

(< Bane ba :ma, bane ma :ma, kanuku ne :no wu nvuka bifula Ta :ta ba :sa ke yi 'nsutu unene nvuka bifula )).

« Mes enfants, chers enfants, c'est ce vagin qui provoque toutes ces histoires C'est le père des jumeaux qui a une grosse verge et provoque tant de désordre )) (1).

Ces paroles sont chantées sur un ton faussement plaintif. Le désordre déterminé par cette naissance exceptionnelle, est ici jugé dangereux et, somme toute regrettable.

(< Nguli bu :sa, nguli bizinga, mphana bisü :bu i bia :na, Ba :nabumi beyisa bemphapa )).

(( Mère des jumeaux, mère des bizinga, donnez-nous le paiement rituel, Mes enfants sont venus nombreux 1).

Dans ce refrain, chanté en dernier, avant que la danse ne cesse, les femmes, par la bouche desquelles s'expriment les Bakisi basi, réitèrent leur exigence de paiement.

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-(1) La signification du mot bifula peut être rendue par les deux termes : « histoires » et CC désordres ».

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Cette cérémonie, qui doit être fréquemment renouvelée et ne l'est que selon les ressources du clan des jumeaux, vise à maintenir parmi les vivants les biba:sa qui mènent jusqu'à l'âge de cinq ans, selon la croyance commune, une double vie parmi les hommes ainsi que parmi les Bakisi basi et sont susceptibles de ((repartir » chez ces derniers sous le moindre prétexte. Pour les maintenir en vie, les parents doivent vivre en parfaite harmonie et les éduquer de manière identique :jouissant du même traitement, les ju.meaux ont droit, tous deux, aux punitions et cadeaux mérités par l'un d'entre eux. Lorsque l'un de ces ((envoyés des génies » meurt, un jeune palmier est déraciné et replanté devant sa tombe afin que le mort, apaisé par cette proximité symbolique de son frère, ne revienne pas chercher celui-ci au milieu des vivants.

Le nguli ba:sa taille dans un bois spécial (non identifié), appelé lugungu lu Nzü:mbi, une statuette dénommée tchiba:sa (jumeau), substitut du défunt, qu'il remet à sa mère. Celle-ci devra la vêtir du même tissu dont elle habille le jumeau survivant, la gronder et la récompenser ainsi qu'elle le fait de son véritable enfant. Ce dernier, parvenu à l'âge de six ou sept ans, reçoit de son nguli ba:sa, une reproduction réduite de la statuette détenue par sa mère, qu'il devra conserver sur lui jusqu'à sa mort. 11 sera enterré à côté d'une tombe spécialement creusée pour cette sculpture.

Il n'est pas rare que des jumeaux, dont l'origine était restée longtemps inconnue, dévoilent brus- quement celle-ci avec force détails : noms des Bakisi basi qui les envoyèrent, lieux où leurs parents humains les reçurent.

Ils reçoivent des noms particuliers présentant des rapports plus ou moins étroits avec des éléments religieux ou magiques : Tchiniungu, Kwa :bu, Tchiba :sa, Nâ :ga, Ngoto, 'NI5 :bu, Ntchia :ma, Mbumba, 'Nsun:da, Mphüm:bu. Ils portent aussi très souvent le nom du lac ou du cours d'eau dont ils sont origi- naires : Loémé, Ntombo, Ntogni, etc. (orthographe IGN).

L'importance des déterminations exercées par le Nkisi si sur la fécondité (l), la spiritualité et le comportement (2) humains se retrouve au niveau de la parenté dont l'analyse effectuée dans le chapitre suivant :

- montrera que la fonction religieuse du chef de clan s'accompagne d'un rôle clandestin de sorcier ; - développera le concept d'esprit par les dimensions mêmes du clan (1ikÜ:da) qui inclut les vi- vants (3) (bü:tu bamo:nio) et les morts (4) (esprits des morts : bakulu) ;

- introduira la notion de conflit par une description schématique des prestations de mariage ainsi qu'une première approche du « monde invisible », des caractéristiques du sorcier et des activités de ce dernier en rapport avec les différents composants de la Personne Humaine ;

- esquissera une première description d'un habituel climat de terreurs et d'angoisses par un résumé des activités de sorcellerie et le développement des diverses modalités de la notion d'esprit.

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(1) Naissance des jumeaux.

(2) Initiations et interdits.

(3) Vivants au sens physiologique du terme.

(4) Morts physiologiquement mais vivants sous une forme invisible et spirituelle.

Chapitre IV

PARENTE

ET CONFLIT

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