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Ngofo

Dans le document OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE (Page 136-144)

LES 27 CLANS PRIMORDIAUX DE DIOSSO

B. A Kakamoèka, le ngüga Nsasi sollicité par un individu pour dresser le Nkisi contre l'auteur d'un méfait, procède d'une manière différente, non dépourvue, cependant, d'analogies avec la méthode

6. Ngofo

La caractéristique de l'action de ce Nkisi ma :si, réside dans la surveillance continue et implacable qu'il exerce sur l'individu (homme ou femme) par le conjoint duquel il a été invoqué et sollicité à cet effet.

Son importance est attestée dans la hiérarchie sociale par l'existence de la charge de Mügofo attribuée à un ngiga Ngofo particulièrement puissant, chargé de veiller sur la conduite des femmes du Malwi :gu et des principaux Fumu et dignitaires qui l'entourent.

L'homme trompé par l'une de ses épouses, subit une perte de considération et de prestige aussitôt que cet événement est publiquement connu. C'est pourquoi nombreux sont, parmi les personnages im- portants de Loango, ceux qui sollicitent le pouvoir de Ngofo, afin de renforcer définitivement la surveillance qu'ils exercent sur leurs épouses ...

Le Mügofo est parfois chargé par le roi d'apaiser les ru.meu.rs et les cabales par lesquelles les mécon- tents et les ambitieux tentent fréquem.ment d'échauffer les esprits, de manœuvrer la massedeshomines influents pour satisfaire des visées politiques. Toutefois aucu.n ra.port direct n'est apparu, parmi les attributs du Nkisi énoncés par les informateurs, entre ces deux aspects de la puissance de Ngofo et du rôle d u Migofo. L'épouse favorite de ce dernier est également initiée et possédée par le Nkisi et se livre à l'in- vocation de ce dernier ; elle est la nkasi Ngofo ou « femme de Ngofo », et ne peu.t en aucun cas connaître d'autre homme que son mari, sous peine de détruire le pouvoir de celui-ci.

136 F. HAGENBUCHER - SACRIPANT1

Le ngüga Ngofo, assis avec son client sur un pagne de raphia place dans deux tessons ou fonds de calebasses les produits suivants :

n khüdika tukula ntchilika nvutu nlindji

liv3 fo

Puis ces ingrédients, exceptée la tukula, sont placés dans les orifices obtenus en sectionnant les extrémités de deux cornes d'antilopes-cheval, qui sont ensuite rebouchées avec de la résine également utilisée pour fixer un morceau de miroir adapté a la base de chaque corne. Ces quatre ustensiles sont remis au visiteur.

Le devin formule les interdits qui pèsent sur la femme de son client, désormais placée sous la sur- veillance de Ngofo : le tia:la (tilapia sp.) et le mphuli (siluridae), ainsi que le nkhumbi (rat de Gambie) ne doivent pas être consommés en compagnie d'une autre personne.

La femme, qui porte un bracelet au.quel sont attachés les ingrédients de Ngofo, ne doit plus fréquen- ter ni même saluer un autre homme que son mari et éviter particulièrement ceux qui sont étrangers a son clan. Le Nkisi l'obligera a avouer a son mari toute incartade ou dérogation à la ligne de conduite qui lui est imposée. Des transgressions répétées des interdits entraîneront la coupable dans une folie incurable.

« Liyilu 1ia:ku kutola buke tchikunda Tchimümbili ».

« Ton nez est gros comme le grelot de MZmbili » (moquerie).

Il s'agit d'un Nkisi très puissant, plus connu chez les Bayombe sous le nom de Nsafu. Le culte de Mümbili et les pratiques qui l'accom?agnent proviendraient, selon toutes les informations reçues, du pays Kugni.

Mümbili est invoqué au moyen d'un grelot (tchikunda) particulièrement volumineux dont la forme et les motifs décoratifs sont identiques à ceux des bikunda employés habituellement pour la sollicitation des puissances de l'invisible. Ses dimensions (40 cm de long) propres à rappeler la force de ce Nkisi et la puissance des moyens nécessaires pour le déclencher, produisent cependant un son plus grave et un rythme plus lent.

Les opérations du m i l ~ k o (déclenchement de l'action agressive du Nkisi) se dérodent selon le pro- cessus suivant : après avoir agité à trois reprises u.n grelot de dimensions normales, le ngüga Mümbili se met à débiter sur un ton monocorde parfois entrecoupé de sons suraigus, des insultes et des malédictions à l'intention de la future victime, tout en frottant six fois de suite le tchikunda Tchimümbili (grelot de Müm- bili) sur la natte fournie par le client. Puis demandant au Nkisi d'aair rapidement, i l enfonce une pointe dans un tison qu'il jette aussitôt dans I'eau ... « Ce tison ira chez Mwe tchikümbisi » nous affirma un devin.

Aucune précision ne fut cependant recueillie sur une relation unissant le Nkisi si Mwe tchikümbisi et le Nkisi Mümbili.

Le grelot de Mümbili contient un buti particulier : le lirjür~a (oiseau vivant surtout ab bord de I'eau et sur lequel n'ont pu être recueillies que des généralités vagues et imprécises) qui accentue les maux en- voyés par le Nkisi et est possédé par tout ngüga Mümbili.

La victime de ce Nkisi souffre particulièrement de douleurs aux articulations et d'hydropisie ; s'étant fait expliciter l'origine du mal par un ngüga kutesi, elle se verra interdire la consommation de cer-

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU ROYAUME DE LOANGO 137 tains aliments (piment, mulot) et ne devra pas avant sa guérison, recevoir la visite d'une personne ayant eu récemment des relations sexuelles.

Dès sa première visite, le client porte au devin deux nattes (nkwalla), deux pièces de tissu, deux assiettes en bois, deux hottes (sing. mphun :zi) (1) munies des deux ceintures frontales de portage (sing.

Iwali). Le tchikunda Tchimümbili est déposé sur la natte et recouvert d'un morceau de tissu. Le malade est étendu sur la natte, parallèlement au grelot. Bien que personne ne danse, deux tambours (un ngoma et un din:zi) résonnent sur les rythmes de la tchikandji. Debout de part et d'autre du patient, le ngüga agitant un grelot de dimensions normales, et une femme se font face. Tous deux ont u.n pied sur l'abdomen du malade qu'ils font osciller de droite à gauche, dans u.n lent mouvement de roulis, tout en chantant :

« Ke na :ni yimbukila mu1atü:mbi lu May6 :bi ngiga May6 :bi, fudi ng wa :ku ))

« Si moi, devin du Mayombe, je ne te guéris pas par la plante d u pied, fornique avec ta mère ».

Par ces paroles, le ngüga montre à l'assistance combien il est sûr de l'efficacité de ses méthodes thérapeutiques.

Puis le devin pose sur la natte une calebasse remplie d'eau de pluie (ma:si mandinga) recueillie dans le creux d'un arbre ou d'une souche, dans laquelle il dépose en infime quantité les produits suivants :

nküdika, ntchilika, nvutu, nlindji, mbüda mwi:ba,

nvesi nkhunzbi (os de rat de Gambie).

Le malade, le grelot de Mümbili, la calebasse, sont alors recouverts pendant quelques minutes par le second morceau de tissu.. Les roulements de tambour cessent et le devin agite par trois fois un petit tchikunda en criant :

« Sia, sia, sia, ndumuka, ndumuka, ndumuka. Awu14lu nl2ko bankula ))

« Sors, sors, sors, envole-toi, envole-toi, envole-toi ... Cela te fait sortir, te chasse D.

Découvrant brusquement le malade, le devin s'empare de la calebasse et la brise en la jetant à terre.

Aussitôt la foule s'écrie « ndumuka )) « envole-toi ». Tordant deux morceaux de nkwisa (en yombe : ndembo), l'opérant en fait jaillir la sève dont il asperge son client.

Après cette ultime phase thérapeutique, les assistants se séparent en chantant : « Nsavu ndembo ndembo

...

)) (2) tandis que le ngZga raccompagne le convalescent jusqu'à la sortie de la concession (ou celle d u village, si le client est venu d'ailleurs) en agitant trois fois vers lui le tchikunda Tchimünzbili, tenu à deux mains par une extrémité.

Le décou.page aisé du processus relaté ci-dessus, en phases successives correspondant aux diverses étapes de l'agression et de la guérison, permet l'appréhension de certaines significations et valeurs du ma- tériel techno1ogiqu.e et botanique manipulé :

- l'agitation préalable d'un grelot est destinée à solliciter 1'« attention » du Nkisi Mümbili ;

(1) Ces hottes sont surtout employées dans le Mayombe, ou le nrhcri n'est pratiquement pas utilisé.

(2) Notre observation a été effectuée dans le Mayombe ; c'est pourquoi le Nkisi est dénommé sous son appellation Yombe : Nsavu est la prononciation chantante de Nsafu. Pour la même raison le mot ndembo est employé à la place du terme nkwisa. La juxtaposition de ces deux mots souligne l'action de cette plante sur Nkisi.

138 F. H A G E N B U C H E R - S A C R I P A N T 1

- la répétition du frottement du tchikunda Tchimümbili sur la natte (( chauffe », prédispose pro- gressivement le Nkisi ;

- la pointe enfoncée par des chocs successifs dans le tison, la rencontre des éléments feu et eau, constituent le contraste, le choc final et violent qui déterminera les forces naturelles à assaillir, posséder la victime, qui souffrira bientôt de violentes douleurs articulaires. Les notions de mouvement et de répé- tition interviennent également dans la thérapeutique : la pression des pieds du ngüga et de son assistante insufflent au m.alade la vie, la fécondité et la force de la terre, dans une double transmission féminine et masculine, tandis que le guérisseur, affirmant triomphalement dans un refrain sa qualité de devin du Ma- yombe, savant et efficace, insulte, rabaisse psychologiquement son malade, l'(( objectivise », le rend soumis, passif, et apte a subir toutes les manipulations. L'emploi de la 1angu.e Kugni diminue l'impact des derniers mots de la chanson (,fudi ngwa:ku se dit en Vili : sun:gu ngu1ia:ku). L'énormité apparente de cette insulte, n'est cependant fonction dans la vie courante, que du ton sur lequel elle est proférée, et n'est pas, de ce point de vue, sans rappeler certains jurons méditerranéens : adressée au cours d'une dispute à une personne qui n'est ni un parent ni un intime, elle entraîne un règlement de compte sous forme violente oujudiciaire.

Elle peut cependant n'être qu'u.ne interjection nonchalante, une taquinerie ou une formule ironique et sarcastique très éloignée de la signification incestueuse im-liquée par la traduction littérale.

Un jeune homme de Diosso nous expliqua l'ambivalence de cette phrase : (( comme 'cela' est im- possible, nous pouvons rire et nous jeter parfois entre amis cette phrase a la tête sans en être offensés outre mesure. De telles paroles sont cependant grossières et ne peuvent être formulées devant les anciens ».

- Arrachant brusquement le voile qui recouvre le malade, après avoir chanté et mimé le départ du Nkisi, le ngüga concrétise la fin de l'exorcisme eii brisant la calebasse contenant les ingrédients.

Le ngüga Tchimümbili raccompagne son client jusqu'a sa route, le réinsère dans le normal, le quo- tidien, avant de le quitter.

Ce Nkisi Nthü:du, qui porte en Vili le nom de Ngoyo ou de Bun :zi (suivant la gravité des maux subis par le malade) est l'un des plus virulents. 11 sévit part0u.t et affecte ses victimes de rhumatismes et d'arthrite. Avant de le soigner, le ngüga exige de son client une natte et un coq (si le malade est du sexe féminin, il exige une poule).

Le Nkisi est invoqué à l'aide des éléments suivants : nlol6go

mwü:baJio :ta mwa :ba uben :ga nlimba

likayi linz6 :do

un bois tordu, représentant les articulations malades lit6 :di

tchiu :mu

Les feuilles et les plantes sont respectivement mises dans deux canaris distincts, dans lesquels le devin crache du kaolin préalablement mâché ; d'une incision faite à une patte de poulet, ce dernier verse un peu de sang dans chaque récipient, dans lequel i l ajoute ensuite Lin peu d'eau.

Puis recouvert d'un pagne, le malade effectue une fu.migation avec chacun de ces deux mélanges chauffés et portés à ébullition.

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU R O Y A U M E DE L O A N G O 139

Après cette opération le ngüga étend l'individu sur une natte et lui masse les articulations avec les deux solutions d'écorces et de feuilles. II mâche enfin quelques fragments de ntchiu:mu, lito:di, deux mor- ceaux de lutchefo lumplumbu, et les recrache sur le corps du patient ; nou.ant son auriculaire à celui du malade, il redresse ce dernier et lui fait étirer énergiquement ses quatre membres.

Ces opérations sont répétées matin et soir jusqu'à guérison complète

...

Les informateurs de Kakamoèka ont signalé l'existence de quatre variantes )) de ce Nkisi, dont ils n'ont cependant pu préciser les significations, ni distinguer les caractéristiques et les usages qui en sont respectivement faits. Trois de ces formes différentes du Nkisi sont dénommées par la juxtaposition du substantif Kwü:gu et du nom de l'élément principal des végétaux intervenant dans les manipulations cor- respondantes.

Kwü:gu biu:mu (biu:mu, plur. de tchiu:mu) dont les accessoires sont contenus dans un panier (nthenda).

Kwü:gu maka:su (maka:su, plur. de 1ika:su) dont les composants sont mis dans un tchikalu.

Kwü:gu mat5:di (mato:di, plur. de lit5:di) dont les végétaux sont placés et ficelés dans un morceau de pagne tressé.

Une dernière forme de ce Nkisi nous a été mentionnée sous l'appellation de Kwü:gu Bun:zi, (dont l'ingrédient essentiel est le m p h ~ s o ou kaolin). 11 affecte les femmes après leurs grossesses, d'une hyper- trophie des seins et perte de lait. L'origine du nom reste obscure.

Chansons d'invocation du Nkisi : lors de chaque séance curative, voisins et parents entourent le malade et entonnent des chants de circonstance :

1 . (( yisemona rchiorchi 'nrelemüga Kwü :gu éêéh ! yisemona rchiorchi 'ntelemüga kusi nleli

Kwü :gu ééêh ! Yayeêêéh ! Kwü :gu

...

! ))

(( Viens voir ce qui se dresse, oh ! Kwü :gu

...

! viens voir ce qui se dresse sous le pagne Kwü :gu, mon frère, Kwü :gu

...

! ))

Il existe une statuette de Kwü:gu dans laquelle le ngüga enfonce des pointes (kubü:da miü:da) afin d'orienter l'action du Nkisi contre l'auteur d'un méfait.

Une phase spéciale est parfois consacrée, pendant la dernière séance de soins, à retirer les pointes de la statuette, après avoir chanté le refrain qui précède.

Le terme ya:yE ne constitue qu'une manière de s'adresser au Nkisi et n'implique aucune notion de fraternité rituelle avec celui-ci.

2. Kwü :gu êêêh ! Ngoyo éêéh ! makilemba Kwü :gu Ngoyi, ééééh

...

!

Kwügu :di kulia mu :ru, malilemba Kwü :gu éééh Ngoyi 1).

(( Kwü :gu, Ngoyo, si I'on ne peut plus enlever les pointes (c'est-A-dire détruire le sort II),

Kwü :gu, Ngoyo, êêêêh, Kwü :gu lui aussi mangera la personne, si I'on ne peut enlever les pointes, Kwü :gu, Ngoyo 1).

Les deux noms du Nkisi, Ngoyo et Kwü:gu sont simultanément employés. Le mot Makilemba provient du verbe kulembakala (ne plus pouvoir) terme général et imprécis dont toute traduction unique et fidèle de la signification qui lui est ici conférée serait malaisée sinon impossible. C'est pourquoi plusieurs traductions de ce verbe, employé ici au style impersonnel, sont nécessaires pour en évaluer le sens ; I'im- possibilité d'enlever les pointes symbolisant l'agression du Nkisi, signifie la mort prochaine du patient.

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La minutie avec laquelle nous nous attachons à énumérer les divers produits employés pour dé- clencher chaque Nkisi ne doit pas faire oublier l'importante variété des méthodes utilisées pour solliciter un même Nkisi.

Nos observations ne livrent cependant que de faibles variations quantitatives et qualitatives entre les ingrédients utilisés par ces diverses méthodes d'invocation et révèlent la persistance de l'emploi de certaines plantes jugées primordiales. L'évaluation pharmaceutique et médicale de l'efficacité des différentes varian- tes de la composition d'une drogue soignant les maux dispensés par un même Nkisi devrait permettre de savoir si le caractère médicamenteux des drogues absorbées par les malades domine l'élément magique.

TROISIEME PARTIE

LIVITA LINI : MBI : LA GUERRE NOCTURNE »

Chapitre X

LE LlKUNDU

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