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On met en partie dans le même lieu, et dans un caveau voisin, les corps d'un grand nombre d'esclaves qu'on ne manque point de sacrijïer pour le service du roi dans un autre monde, et pour y rendre témoignage

Dans le document OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE (Page 84-90)

de la conduite qu'il a tenue pendant sa vie ».

A partir d'une époque lointaine et indéterminée, l'inhumation du MalwE:gu et des Fumu valeureux fut effectuée non loin de l'actuel village de Bas-Kouilou, en un lieu dénommé Tchibangabanga, tandis que les funérailles officielles se déroulaient à Tchimpundji, où étaient enterrés un tronc de bananier symbolisant

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le corps du souverain ou du prince, des fragments d'ongles, de peau et des cheveux du défunt. L'origine de cette caractéristique rituelle est constituée, selon les notables de Loubou, par un événement très ancien, qui souligne particulièrement l'influence de la parole sur les institutions sociales et la pérennité de ses effets

...

« il y a fort longtemps, un Fumu de Loandjili fut atteint de la lèpre. Son état s'étant aggravé, les plaies du malade se multiplièrent et empirèrent à tel point que ses parents, indisposés par l'odeur qui en émanait, décidèrent de se débarrasser de lui. L'oncle maternel du moribond, roula celui-ci, inconscient, dans des nattes liées à une perche et ordonna à deux hommes du clan d'aller le jeter à la mer, en leur recommandant d'affirmer à tous les curieux qu'il s'agissait d'un cadavre déjà en voie de décomposition. S'étant arrêtés en chemin à Loubou, pour se désaltérer, les porteurs furent questionnés par le chef de village sur la nature de ce qu'ils transportaient. Ils lui expliquaient le but de leur voyage lorsqu'une voix s'éleva soudain du colis et les interrompit : « mphani ma:si inwa » : (( donnez-moi de l'eau S. boire ». S'étant approché, le Fumu bwa:la (chef de village) s'aperçut que le malheureux pestiféré vivait encore. Interrogé, ce dernier rassembla ce qu'il lui restait de force pour raconter son histoire. Le chef de Loubou fut indigné et déclara que le Nkisi si Mümboma si Lubu manifesterait sa colère si l'on jetait le Fumu à la mer. II ordonna derechef qu'on le laissât sur place et qu'on l'enterrât décemment après sa mort. Avant de trépasser, le lépreux maudit les siens et interdit solennellement qu'on inhume à l'avenir les Fumu dans cette terre ».

Les deux clans nobles de Loubou, Mümboma si Lubu et Ngüga Mpundji dont les Bakisi basi (porteurs des mêmes noms) sont respectivement considérés comme mari et femme, jouent un rôle prépondérant dans le cérémonial qui entoure l'enterrement symbolique à Tchimpundji.

La demande d'inhumation d'un prince dans la terre de Loubou est tout d'abord adressée au Malwü:

gu par un parent du mort. S'il obtient l'approbation royale, le quémandeur, accompagné d'un notable, se rend secrètement chez le chef du clan Ngüga Mpundji qui le soumet à un interrogatoire précis et détaillé sur la généalogie du défunt, avant d'exiger des présents dont la nature et le nombre sont définis par la tradition :

- un esclave ;

- un ballot de 100 à 150 pagnes de raphia ;

- douze torches de résine d'okoumé (sing. mwinda mphaka) ;

- une grande quantité de vin de palme (nsümba) et de vin de palmier-raphia ou vin de bambou (ntobi).

Le représentant du clan Ngüga Mpuna'ji (Mügüga Mpundji) prévient le chef du clan Mümboma si Lubu qui convoque alors les habitants du village en tapant sur un nkh3ko et avertit la population de la datl de l'enterrement.

Chacun s'abstiendra de toute relation sexuelle plusieurs jours avant l'enterrement, car « il importe de ne pas mécontenter les Bakisi basi ». Cette explication qui nous fut donnée par tous les informateurs n'illustre certes pas toute la signification sémantique de ce tabou sexuel mais souligne la participation des génies tutélaires à cet événement, et par là même l'étroite imbrication du politique et du religieux.

Le cadavre du roi (nth~tila) ayant été préalablement enveloppé dans des nattes et enterré à Tchi- banga banga (lieu situé entre Tchissanga et Bas-Kouilou), le cercueil' (tchiefe) construit en bois de nloba (cf. annexe III) et préparé sur le lieu du décès, est lesté de pierres enveloppées dans des nattes et constituant le corps fictif du défunt. Les ongles (bigogolo) et les cheveux (milen:dji), contenant la force vitale (phüdu) du roi, soigneusement enfermés dans une pièce de raphia, sont placés auprès de l'extrémité de l'emballage représentant la tête du mort.

PROYART, qui ne fait pas mention de l'inhumation à Tchibangabanga, note que le « mort ingurgite tout l'alcool que son corps peut contenir », avant de décrire le cercueil : « monté sur roues, il avait la forme d'une maison à étages que dominait un clocher surmonté d'une croix. Des dessins d'actualité en

couleur ornaient les parois de ce monumental sarcophage...».

LES F O N D E M E N T S SPIRITUELS DU P O U V O I R A U R O Y A U M E DE L O A N G O 85

Des hommes sont attelés au char funèbre qiri se dirige vers le lieu de l'inhumation, par des chemins soigneusement aplanis pour la circonstance (selon PROYART, pour les morts particulièrement illustres on en perce neuf, de trente à quarante pieds chacun, à travers la campagne). Les Fumu et les Fumu si de Diosso, ainsi que les délégations venues de toutes les provinces, forment un bruyant cortège : certains battent du tambour en marchant, entourés et suivis par de nombreux danseurs ; tous chantent et pleurent en brandis- sant des gourdins. Le cortège arrive à la limite des terres de Diosso, dans la plaine de Nthidu Mbulu

PH. 22. - Simulacre de combat à Loubou, lors de l'enterrement d'un Fumu (cliché Makosso TCHIAPI).

PH. 23.

de Diosso.

- Décoration mwü :za

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(plaine du chacal) accueilli par une troupe de guerriers de Loubou commandés par le Mügüga Mpundji(1) (dont le corps est noirci au charbon de bois), par lesquels il est accompagné jusqu'en un lieu nommé Mpügu, où les attend la foule des gens de Loubou armés de bâtons, qui se groupent aussitôt derrière le Mügüga Mpundji. Les deux troupes s'immobilisent, le silence se fait, l'atmosphère s'alourdit

...

Mügüga Mpundji s'avance et interroge les chefs du convoi mortuaire à haute et intelligible voix, sur le nom du défunt, les conditions de sa mort, les faits marquants de son existence, le nombre de ses enfants

...

enfin l'ultime question déclenche l'affrontement entre les deux parties : (( qui veut partir avec lui ? » ; sous l'assaut furieux des gens de Loubou, les arrivants de Diosso s'écartent du cercueil et refluent en désordre. Les blessés s'écroulent ou battent en retraite; les morts ne sont pas rares au cours de cet engagement, qui pour être rituel, n'en est pas moins violent. Après l'inévitable déroute des Fumu de Diosso, le cercueil est amené à Tchimpundji, où Mümboma si Lubu, dont le corps est maquillé au kaolin, dirige l'enterrement du tronc de bananier et des débris humains.

Le même jour, aura lieu le partage des présents apportés par le clan du défunt : le nsümba et le ntobi seront bus par l'ensemble de la population ; Mügüga Mpundji reçoit les pagnes et six torches de résine ; Mümboma si Lubu a droit à l'esclave et aux six autres torches.

A la lumière de nombreux renseignements à caractère historique qui révèlent la brutale limitation apportée au pouvoir des princes par les Fumu si, le déroulement de l'enterrement royal paraît recréer le désordre initial, l'anarchie qui pesa sur le pays pendant la période séparant la mort du dernier des Buoüdji et la sacralisation de NGbo Sinda. Ces affrontements sanglants, qui marquent l'enterrement de tout Ngüga Mvumba ou Malwü:gu, annonçent la dangereuse période de l'interrègne ; réactualisant le scandaleux désordre qui caractérise toute société dépourvue de conservateur et de gardien de l'Ordre, ils constituent un appel au renouvellement de la royauté, comparable en cela aux déprédations commises aux îles Sandwich par la foule qui vient d'apprendre la mort du roi, ou à l'invasion, aux îles Fidji, de la capitale par les tribus, en cette même circonstance.

Le délaissement du site de Loandjili et l'établissement du cimetière royal sur la terre de Loubou constituent le rappel le plus spectaculaire des modifications qu'apportèrent les contestataires locaux à l'ordre antérieurement établi par les Fumu. Ces derniers, contraints de combattre, lors de cette lutte rituelle, pour remplir l'obligation qui leur fut jadis imposée d'enterrer désormais leurs morts prestigieux dans la terre de Loubou (obligation qui représente et rappelle en l'occurrence tous les autres changements et interdits auxquels ils se virent assujettis), manifestent ainsi leur (( allégeance » à l'ordre nouveau.

De plus, la substitution d'un tronc de bananier au. cadavre, la scission des obsèques royales en deux phases effectuées séparément en deux endroits différents, évoquent pour tous les esprits un événement jugé significatif de la mentalité et du comportement des princes, tout en rappelant solennellement que seuls les défauts et les abus de ces derniers furent à l'origine d'un conflit dont ils devaient sortir politiquement diminués. Ainsi s'affirme l'ambiguïté du statut et de la fonction du Fumu qui est réprouvé pour ses abus, combattu, dépouillé d'une partie de sa puissance, mais maintenu au pouvoir. La judicieuse prise en consi- dération par les Fumu si et leur utilisation d'un fait réel ou imaginaire aussi anodin que le dernier souhait d'un prince lépreux abandonné par les siens, deviennent le facteur dynamique de consolidation du système politique lors de chaque inhumation royale ou princière dans la terre de Loubou, qui consacre le prestige de ceux auxquels elle est accordée tout en obligeant les Fumu à manifester leur acceptation (sinon leur

(( attachement ») à une organisation sociale dont ils ne sont plus les maîtres exclusifs, mais dont ilsdeviennent les défenseurs au cours du combat rituel qui précède les funérailles.

(1) L'appellation Mügüga Mpundji (ainsi que toutes les dénominations des fonctions de dignitaires) est à la fois un titre et un nom pour celui qu'elle désigne, et peut donc être précédé ou non d'un article défini.

LES FONDEMENTS SPIRITUELS DU POUVOIR AU ROYAUME DE LOANGO 87 La mbembo est une danse effectuée à la mort du roi ou d'un prince, a u cours de laquelle hommes et femmes retroussent leurs pagnes, évoluent en se livrant aux mimiques les plus suggestives et en chantant des refrains dont la verdeur va à l'encontre d'une traditionnelle exigence de pudeur.

Eeeeh! Abu 'ntalüga Bwali 'nkwendowe Ndje kuvata 'nkala, vs:ka yinkala mphinda ? Ndje kula :la ne :no, ve :ka yinnu :ku ne :no ?

Eeeeh! E n ce moment tu regardes Bwali (le royaume) s'en aller (mourir).

Tu n'a pas semé dans le sillon, comment posséderais-tu un sillon d'arachides ? Tu n'a pas forniqué, comment porterais-tu l'odeur du vagin ?

Ne:no ve:ka vi bibofo ( 1 ) ? 'Nsutu na:ku uvü :ga ne :no bibofwe aya yu!

Ne :no waki budafi. 'Nsuru na :ku uvüga ne :no budafi aya yu!.

. .

Le vagin a-t-il des bibofo (1) ? c'est cette verge-ci qui a causé au vagin des sécrétions vaginales! ...

Le vagin secrète. C'est cette verge-ci qui fait secréter le vagin ...

'Nsuru 'neni, buke mwinda mphaka ; tchikolo fchineni buke tchikolo tchinzau.

'Nsufu neni buke bwim :ba bunzau.

La verge est grosse comme une torche de résine ; le clitoris est gros comme.celui d'un éléphant.

La verge est grosse comme la trompe d'un éléphant.

Etc.

La transgression des usages et des tabous qui accompagne tout événement extraordinaire comme la mort d'un prince ou la naissance de jumeaux, recrée, mime, évoque le chaos qui précéda la fondation de l'ordre social. Elle constitue par son « absurdité » délibérée un appel à l'ordre, une attente de la clarté organisatrice, de la norme.

L'exubérance et les excès des transports collectifs qui caractérisent cette « fête mortuaire », consti- tuent une « décharge d'activité », selon la formule de R. CAILLOIS, consécutive à une longue période d'ordre pendant laquelle le sacré s'est manifesté de manière essentiellement négative, par des interdits et des res- trictions ; ils éliminent les « toxines » accumulées par l'organisme social pendant la vie ordinaire, consti- tuant ainsi un véritable processus de recréation de l'ordre.

(1) Terme qualifiant les poussières ou secrétions lacrimales encombrant les yeux après un long sommeil ; il est employé ici à la place du mot budafi (sécrétions vaginales).

Chapitre V f f

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