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Chapitre 2. Cristallisation des protéines en microfluidique

2.1. Systèmes microfluidiques

2.1.1. Principaux matériaux utilisés

De nombreux matériaux sont utilisés pour fabriquer des systèmes microfluidiques. En règle générale, le choix du matériau de fabrication est déterminé par plusieurs facteurs, tels que l'équipement et les technologies disponibles, le coût, la rapidité d’usinage, les applications du dispositif, et la nature des solutions utilisées (aqueuses, organiques, …).

L’un des matériaux les plus utilisés en microfluidique est le PDMS (Polydiméthylsiloxane). Il s’agit d’un élastomère hydrophobe souple, optiquement transparent, peu cher, et assez facile à préparer. Cependant, le PDMS est légèrement poreux à l’eau et aux gaz. De plus, il n’est pas compatible avec certains solvants organiques, tels que l’acétone par exemple (Fiorini and Chiu, 2005) .

Les dispositifs en verre ou en quartz sont aussi couramment utilisés. En effet, le verre dispose de nombreux avantages : il est compatible avec tous les solvants, il est transparent, n’est pas perméable et sa surface est stable au cours du temps. Cependant, le coût élevé des puces en verre reste un facteur limitant quant à leur utilisation en tant que dispositifs jetables (Fiorini and Chiu, 2005).

Des matériaux thermoplastiques rigides, tels que le COC (Cyclic Olefin Copolymer) ou le PMMA (Polyméthylméthacrylate), sont également utilisés en microfluidique. Ces deux matériaux hydrophobes sont assez peu chers et relativement facile à préparer. Ils disposent d’une bonne clarté optique du visible à l'UV, sont transparents aux rayons X, ne sont pas perméables, et sont compatibles avec des échantillons biologiques. Cependant, ces polymères ne sont pas compatibles avec certains solvants organiques, tels que l’acétone pour le PMMA, ou le toluène pour le COC (Nge et al., 2013).

Enfin, les polymères fluorés, comme le PFA (Perfluoroalkoxy) ou le FEP (Fluorinated EthylenePropylene)parexemple,présententdenombreuxavantages.Inerteschimiquement et flexibles, ils sont très hydrophobes, présentent une excellente résistance aux solvants organiques, et empêchent toute évaporation pendant plus d’une semaine (Ildefonso et al.,

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2012a). Ils ne sont cependant pas totalement transparents dans l’UV ou aux rayons X, ce qui peut en limiter les applications dans le cadre de la cristallographie, notamment des protéines (Nge et al., 2013).

2.1.2. Systèmes intégrés complexes

Le but principal du développement des systèmes microfluidiques est de réduire les volumes nécessaires aux expériences de cristallisation, par rapport aux volumes utilisés par les robots de cristallisation. Certains systèmes microfluidiques peuvent être très complexes et coûteux. Il s’agit de puces microfluidiques intégrant un très grand nombre de fonctions (valves intégrées, pompes intégrées, mélangeurs, …) et nécessitant un appareillage extérieur complexe (arrivées multiples de gaz sous pression par exemple).

Un exemple de ce type de puce est celle développée par Perry et al. (Perry et al., 2013). Il s’agit d’une plateforme microfluidique pour le criblage des conditions de cristallisation. Cette puce, de 24 ou 96 puits, est composée de COC, de PDMS et de Duralar (Figure 14a). Elle intègre des manipulations de fluides automatisées complexes (Figure 14b).

Figure 14 : (a) Schéma 3D éclaté montrant les matériaux utilisés pour former les différentes couches du dispositif microfluidique. (b) Représentation schématique d'une puce de 96 puits, montrant les différentes vannes et canaux permettant le remplissage des chambres avec les différents composants (protéine et agents de cristallisation) (Perry et al., 2013).

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Cette puce est constituée de couples de deux puits distincts, pour les solutions de protéine et d’agent de cristallisation. Des canaux dédiés pour chaque ensemble de puits permettent le remplissage des deux solutions indépendamment. Une pompe à vide est reliée au dispositif pour actionner différentes vannes permettant de remplir la puce. Dans un premier temps, les solutions d’agents de cristallisation sont chargées dans la puce en actionnant la vanne correspondante. Puis le même procédé permet ensuite de charger la solution de protéine dans les canaux appropriés. La dernière vanne, située entre les deux premières, permet le mélange des deux solutions. Pour chaque couple agent de cristallisation–protéine, différents ratios de concentration sont testés simultanément, ce qui permet le criblage d’un grand nombre de conditions (Perry et al., 2014). Cependant ce type de puces, très complexe, a généralement un coût élevé, et peut s’avérer difficile à utiliser pour des non-spécialistes de la technique.

2.1.3. Simplification du système en puces

Des systèmes moins complexes ont été développés. L’un d’entre eux a été développé au LoF (Laboratory of the Future) par l’équipe de J.B. Salmon. Il s’agit d’une puce microfluidique en PDMS dans laquelle des gouttes sont générées par flow-focusing ou cross-flowing (§ 3.1) (Laval et al., 2009). En cross-cross-flowing, la zone de génération permet d’introduire simultanément deux solutions miscibles « face à face » qui se mélangent juste avant la formation de gouttes. Ces gouttes sont séparées les unes des autres par une phase continue immiscible avec les deux premières solutions, généralement une huile (Figure 15a).

Ainsi, le mélange n’est réalisé que quelques instants avant la formation des gouttes, évitant que la réaction n’ait lieu avant la génération des gouttes. Dans cette configuration, chaque puce correspond à une expérience unique.

Afin de réaliser simultanément des expériences de cristallisation dans des conditions différentes (températures, concentrations, etc.), une méthode utilisant deux types de puces microfluidiques a été développée. Les gouttes sont générées dans la plug factory, puis conservées dans une puce de stockage. La plug factory est reliée à la puce de stockage par un capillaire en téflon. Plusieurs puces de stockage peuvent alors être remplies à l’aide d’une seule plug factory en connectant le capillaire successivement à différentes puces de stockage (Figure 15b). Ainsi, en passant d’une puce de stockage à l’autre, il est possible de changer les conditions de température ou de concentration (Ildefonso et al., 2011).

Un exemple de cristallisation du lysozyme dans une puce en PDMS est présenté dans la Figure 16. La génération de nombreuses gouttes de composition identique (Figure 16a) permet de mettre en évidence la stochasticité de la nucléation. En effet la Figure 16b montre que sur quatre gouttes identiques (en termes de température, de volume et de composition chimique), seules deux ont donné naissance à un cristal de lysozyme.

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Figure 15 : (a) Puce microfluidique en un seul bloc, avec en rouge l’arrivée de la phase continue (une huile), en bleu l’arrivée des solutions de réactifs (par exemple solutions de protéine et d’agent de cristallisation), et en vert la zone de stockage des gouttes.

(b) Utilisation de la puce microfluidique, une seule plug factory (à gauche) alimente en gouttes plusieurs puces de stockage (4 dans cet exemple).

Figure 16 : Cristallisation du lysozyme dans une puce en PDMS. Photographie (a) des nombreuses gouttes stockées (b) de quatre gouttes, dont deux avec un monocristal de lysozyme. Modifié d’après (Ildefonso et al., 2011, Ildefonso et al., 2012b).

Cependant, le PDMS étant légèrement poreux à l’eau, il ne permet pas un stockage à long terme des gouttes, ce qui peut être limitant dans le cadre de l’étude de phénomènes lents comme la cristallisation (Candoni et al., 2012b). D’autres polymères ont donc été utilisés pour fabriquer les puces microfluidiques.

Un exemple de puce en COC a été développé en 2008 par Gerdts et al. (Figure 17a).

Les différentes solutions (tampon, protéine et agent de cristallisation) sont mélangées en même temps que les gouttes sont générées, directement dans la puce (Figure 17b). La génération des gouttes nécessite cependant l’utilisation d’un robot, le Plug MakerTM. L’ensemble est aujourd’hui commercialisé par Protein Biosolutions. Un exemple d’application à la cristallisation de protéine (la ribose-phosphate pyrophosphokinase) est présenté dans la Figure 17c.

Ce type de système en puce est plus simple à utiliser que les puces intégrées très complexes présentées précédemment. Cependant, ces puces sont généralement à usage unique, et nécessitent des étapes de design et d’usinage qui peuvent être long. Leur géométrie est donc généralement figée.

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Figure 17 : (a) Photographie d’une puce montrant les deux micro-canaux (Christensen et al., 2011), (b) Microphotographie de la génération des gouttes dans une puce (Gerdts et al., 2008), (c) Cristaux de la ribose-phosphate pyrophosphokinase obtenus dans la puce (Gerdts et al., 2008). Le diamètre interne des canaux est de 200µm.

2.1.4. Systèmes en capillaires

Idéalement, les dispositifs microfluidiques devraient permettre un prototypage rapide. Or le design des puces nécessite souvent des étapes de synthèse parfois longues et coûteuses, ou des techniques spécialisées. De plus, les puces créées ne sont pas toujours réutilisables. Pour pallier ces inconvénients, des systèmes microfluidiques permettant de générer des gouttes dans un capillaire avec du matériel de laboratoire commun ont été développés (Trivedi et al., 2010, Quevedo et al., 2005, Su et al., 2007). Ces systèmes microfluidiques ont ensuite été adaptés à la cristallisation des petites molécules (Dombrowski et al., 2007).

Il est en effet possible de simplifier le système de génération des gouttes grâce à l’utilisation de jonctions et de capillaires commerciaux. La microfluidique est ainsi plus facile de fabrication et d'utilisation, même pour des non-spécialistes. De plus, il existe un grand choix de matériaux pour les capillaires (différents polymères, verre, …). Il est alors possible de choisir entre des surfaces hydrophiles ou hydrophobes, selon la nature des gouttes désirées. Il existe commercialement un large choix de longueurs et de diamètres internes et externes de capillaires. Enfin il est possible de choisir entre des jonctions en T (3 entrées), en croix (4 entrées) ou comprenant jusqu’à 7 entrées, adaptées aux diamètres interne et externe des capillaires. La microfluidique devient alors un outil polyvalent, facile à utiliser et peu coûteux (Trivedi et al., 2010).

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Il existe ainsi des systèmes microfluidiques sans « puce ». Un exemple est celui développé par Zhang et al. (Zhang et al., 2015a), qui utilise des jonctions en PEEK (Polyetheretherketone), dérivées de la HPLC (High Performance Liquid Chromatography), pour générer les gouttes directement dans un capillaire en téflon (Figure 18). La géométrie utilisée est la même que dans une puce microfluidique, mais ces jonctions commerciales présentent l’avantage de ne pas nécessiter d’étape de fabrication, il suffit de connecter le capillaire à la jonction pour générer des gouttes. Ce système a été appliqué au criblage des conditions de cristallisation de la rasburicase dans des gouttes de 65nL (Figure 19).

Figure 18 : Photographies et schémas des jonctions en PEEK dérivées de la HPLC permettant la génération des gouttes. (a) et (b) jonction en té ; (c) et (d) jonction en croix (Zhang et al., 2015a).

Figure 19 : Cristaux de rasburicase obtenus dans des gouttes de 65nL, dans des capillaires en téflon, pour différentes conditions de cristallisation. (a) PEG 10%, rasburicase 10mg/ml, 5°C.

(b) PEG 10%, rasburicase 10mg/ml, 20°C. (c) PEG 5%, rasburicase 10mg/ml, 5°C. (d) PEG 7,5%, rasburicase 5mg/ml, 5°C (e) PEG 7,5%, rasburicase 5mg/ml, 20°C (Zhang et al., 2015a).

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Chaque ligne de goutte correspond à une expérience de cristallisation indépendante et à une condition de cristallisation différente (concentration et/ou température). Un morphodrome de la cristallisation de la rasburicase est ainsi obtenu. Pour une même condition de cristallisation, différentes phases cristallines de la rasburicase (Vivares et al., 2006) peuvent être obtenues (aiguilles et plaquettes sur la Figure 19c par exemple), et une grande dispersion du nombre de cristaux est observée. Ces résultats mettent ainsi en évidence la stochasticité de la nucléation, et donc l'importance de la reproduction des expériences pour la réalisation d’études statistiques.

Ce système plug and play permet ainsi le prototypage rapide d’une géométrie microfluidique et les jonctions microfluidiques sont réutilisables, ce qui réduit les coûts nécessaires au montage microfluidique.