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2. ÉCOSYSTÉMIE

2.3 Écosystème et système

2.3.1 Du système ouvert à l’écosystème

Allport (1960) définit de manière générique le système comme un complexe d’éléments en interaction mutuelle. Le système est généralement circonscrit autour des principes de la thermodynamique qui, en termes simples, tend à être associée à l’idée d’équilibre101. Alport (1960) définit ainsi le système fermé:

A closed system is defined as one that admits no matter from outside itself and is therefore subject to entropy according to the second law of thermodynamics. While some outside energies, such as change in temperature and wind may play upon a closed system, it has no restorative properties and no transactions with its environment, so that like a decaying bridge it sinks into thermodynamic equilibrium. (p. 303).

Il caractérise le système ouvert selon quatre critères:

there is intake and output of both matter and energy; there is the achievement and maintenance of steady (homeostatic) states, so that the intrusion of outer energy will not seriously disrupt internal form and order; there is generally an increase of order over time, owing to an increase in complexity and differentiation of parts; finally, at least at the human level, there is more than mere intake and output of matter and energy: there is extensive transactional commerce with the environment. (Ibid.).

101 Prigogine (1978), sur qui s’appuie Valsiner (1987), a toutefois développé une théorie thermodynamique non

Le système ouvert est autoproductif (autopoietic), au sens où il s’autogénère et où il maintient un certain ordre (négentropie) dans son rapport à l’environnement extérieur, selon ses paramètres internes et en fonction de mécanismes de rétroaction négative se traduisant par des ajustements (Moyer, 1994). Si la notion de système ouvert est au cœur des dynamic

system theory traitant des processus et dynamiques d’interaction dans une perspective

contextuelle et temporelle (Howe et Lewis, 2005), elle comporte des limites conceptuelles importantes, ceci par son rattachement à une logique homéostatique, lorsque celle-ci est associée à la notion d’équilibre.

Le concept d’équilibre, propre aux systèmes fermés (les machines), renvoie à un état stable que ceux-ci maintiennent. Les auteurs tendent à l’appliquer aux systèmes ouverts (caractéristiques des humains), en l’employant comme un synonyme d’homéostasie, concept qui permet d’étudier le changement qui survient autour de points stationnaires donnés qui eux-mêmes se modifient, mais qui est aussi associé à l’idée selon laquelle le système maintient (s’autoproduisant) un certain ordre sur une base qui, pour plusieurs considérations, peut être qualifié de statique (Bailey, 1984; Head, 2010). Wapner et Demick (1998), s’inscrivant dans les dynamic system theory, écrivent que :

We assume that the tendency toward equilibration is a basic end that operates at all levels of organizations […] Thus, person-in-environment systems are also assumed to operate in a dynamic equilibrium. Ongoing person-in-environment relations may be disturbed or perturbed by a change in the organism, in the environment, or in both. […] Moreover, following perturbations of the organism-in-environment system, the reestablishment of a new dynamic equilibrium or ongoing state directed toward accomplishing goals is assumed to take place. (p. 771).

Bailey (1984) montre qu’en sociologie, notamment, l’emploi des notions d’équilibre et d’homéostasie, selon lui propres aux auteurs fonctionnalistes, conduit ceux-ci à privilégier le statut quo plutôt que la diversité et le changement. Il critique l’accent qui est mis sur le maintien de l’ordre, idée associée à la notion d’autoproduction (autopoietic). Celle-ci a été introduite dans le champ de la systémie par Maturana et Varela (1980). Les auteurs renvoyant aux dynamic system theory font une lecture particulièrement dynamique du rapport entre le système ouvert autoproductif et son environnement, en faisant de la variabilité même, et non pas de l’ordre, la condition du développement de l’individu, en fonction de patrons d’organisation systémique émergeants (selon une lecture irréversible du temps), soit des

attracteurs (Overton, 2007). Le système trouve un nouvel équilibre autour de ces attracteurs dont les constituantes ne sont pas nécessairement présentes au départ. L’unité d’analyse généralement privilégiée est le rapport système/environnement qui peut être appréhendé en termes dynamiques (Overton, 1998; Wapner et Demick, 1998).

Toutefois, bien qu’épistémologiquement légitime (Zittoun et al., 2013), cette perspective s’applique difficilement lorsque ce sont deux systèmes en interaction dans un environnement (écosystème) qui forment l’unité d’analyse. Nous nous retrouvons en effet dans une situation où chacun des systèmes tend à déployer des mécanismes homéostatiques vis-à-vis de l’autre, surtout lorsque les systèmes ne sont pas compatibles (discontinuité). Les systèmes ne font alors que se répondre mutuellement, mais défensivement pour ainsi dire, par des mécanismes de rétroaction négative (Hoffman, 1985). Voyons comment Maturana et Varela (1980) conçoivent le lien entre deux systèmes autorégulés ou autoproductifs:

An autopoietic system can become a component of another system if some aspects of its path of autopoietic change can participate in the realization of this other system. As has been said, this can take place in the present through a coupling that makes use of the homeostatic resorts of the interacting systems, or through evolution by the recursive effect of a maintained selective pressure on the course of transformation of a reproductive historical network, which results in a subordination of the individual component autopoiesis (through historical change in the way these are realized) to the ambivalence of reciprocal perturbations which they specify. Whichever the case, an observer can describe an autopoietic component of a composite system as playing an allopoietic102 role in the realization of the larger system which it contributes to realize through its autopoiesis. In other words, the autopoietic unity functions in the context of the composite system in a manner that the observer would describe as allopoietic. (p. 110).

Le lien inter-systémique est alors déterminé par les propriétés internes de chacun des systèmes en présence. Hoffman (1985) émet conséquemment l’interrogation suivante: « How do we link up this isolationist view, in which the biological unit is cordoned off, with Bateson's description of mental process as organism-plus-environment?» (p. 386). Hoffman (1985) suggère alors de suivre Varela: « He has been somewhat more concerned than Maturana to find a way to generalize the concept of autopoiesis (which, strictly speaking, only describes biological organisms) to systems representing larger orders of inclusion.» (Ibid). C’est donc le fait d’inscrire le système dans un écosystème qui est privilégié plutôt que de

situer les systèmes côte à côte, sur un même niveau hiérarchique. En outre, la logique du système étant appliquée (transitivement) à l’écosystème (Duncan, 1973; Fergus et Reid, 2002), celui-ci est souvent conçu selon une perspective homéostatique, en particulier centrée sur l’équilibre (Bailey, 1984). Lorsque deux systèmes sont mis en relation dans un écosystème, nous nous retrouvons dans une situation où l’un deux fait office de référence, de norme, ceci sur une base interne, en fonction de ses paramètres homéostatiques, ou sur une base externe, selon les normes, représentations et valeurs dominantes de la collectivité (Boulanger, 2014; Carver et Scheier, 1982; Hoffman, 1985).

La proposition, que font Tateo et Marsico (2013), de recadrer la notion de système autour d’une perspective non-homéostatique, plus particulièrement non centrée sur l’équilibre, nous semble viable. Ils s’appuient sur le concept de tenségrité:

The idea is that tension is not a pathology of a system, rather one of its complementary constitutive elements, providing stability and integrity. Every system, natural of artificial, is made of sub-parts that are in a hierarchical relationship of continuous tension and discontinuous compression, which is called “self-stress” or “prestress”. “As the term ‘tensegrity system’ implies, the interplay between the tension and compression elements may be interpreted as a whole as systemic behaviour unpredictable from the behaviour of the parts considered individually” (IUED, 1978, 261). […] Thus, environmental pressure

does not exert on a system in a state of static equilibrium, rather interact with a self-stressed system which is already in a state of dynamic tensegrity. (p. 8-9).103

Le système est donc a priori dynamique, en mouvement, et c’est sur la base de tensions qu’il interagit avec l’environnement. La logique de système peut alors, dans ces conditions épistémologiques et conceptuelles, être généralisée à l’écosystème, sans que celui- ci soit situé dans une logique réductionniste. L’utilisation du concept de système dans les théories systémiques développementales (Lerner, 1998) ne pose alors pas, pour nous, un risque pour la conception dynamique de l’écosystème qui y est véhiculée, dans la mesure où nous adoptons la perspective de Tateo et Marsico (2013), ce qui nous permet de prendre, dans les théories systémiques développementales, le concept de plasticité.

Dans la logique de ces théories, la plasticité concerne l’idée selon laquelle le développement prend des formes variées et qu’elle touche à plusieurs types de domaines (cognitifs, comportementaux, etc), selon les caractéristiques de l’individu (Baltes, 1987).

Contrairement aux modèles ou aux théories du développement qui fondent le développement de l’individu sur des patrons de continuité (Bloom, 1964), le modèle systémique développemental insiste sur le rôle prépondérant du processus de discontinuité (Lerner, 2007) que nous avons soutenu dans la problématique. Si les trajectoires de l’individu sont chevauchées par des « phases » de continuité et de discontinuité en perpétuelle alternance, les périodes de rupture (discontinuité) sont au cœur de son développement. Ces zones de discontinuité touchent à différentes interfaces qui concernent tant le lien vertical qu’horizontal entre les systèmes. Le principe de plasticité s’applique alors au rapport entre des systèmes. Dans cette mesure, cette rupture est vectrice d’évolution pour chacun des systèmes et pour la nature de leur liaison. Nous pouvons alors considérer que ces liens sont eux-mêmes constamment en tension, ceci selon le principe de tenségrité.